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Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
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21 septembre 2007

Maman, y'en a qu'une!

 

                                                                                                   « Maman, y'en a qu'une! »

    Depuis des années que j'anime un atelier d'écriture pour les enfants, c'est toujours la même activité fébrile à l'approche de la fête des mères.

    Pas qu'un peu galvaudée, cette célébration des valeurs familiales née de Vichy (qui s 'en souvient?). Ni exempte des préoccupations mercantiles de fleuristes et parfumeurs, mais attendue, ô combien, de nos chers petits... et de leurs mamans!

    Revenons à mon travail d'animatrice. Il consiste à trouver une alternative acceptable au collier de nouilles et/ ou au compliment récité. Ce n'est pas gagné d'avance. Non que les chéris manquent d'imagination, ce serait même plutôt le contraire: mille idées fusent, il faut canaliser ce flot sous peine qu'il se répande un peu partout.

    Mon atelier n'a de prétention ni littéraire, ni pédagogique, ni quoi que ce soit d'intello. Si j'arrive à développer le goût de l'écriture chez les plus jeunes, j'estime avoir pleinement rempli mon objectif... en espérant qu'une fois devenus adultes, ils garderont un  peu de la fraîcheur de l'enfant qu'ils furent. Car, voyez-vous, si l'enfant est un adulte en puissance, l'adulte demeure jusqu'à sa mort un gosse qui s'ignore.

    J'attache de l'importance à la boîte à outils. Je devrais dire le coffre à joujoux, la malle au trésor, ma caverne d'Ali Baba. Son contenu? Des mots, tout simplement. Les ingrédients de base avec lesquels on élabore des propositions, on bâtit des phrases, on ajuste ses idées. Donc, pas question de s'exclamer « C trop cool! »  à tout bout de champ, ni se contenter du langage phonétique des textos.

    Il me faut de vrais mots, des plus recherchés aux plus incongrus, une avalanche, un déluge, un feu d'artifice de mots. Du clinquant, des paillettes et du strass, mêlés parfois de l'étincelle du génie.

    Naturellement, je donne une consigne, un point de départ, un quelconque sujet. Ce jour-là, j'avais proposé à ces chérubins de raconter une histoire, un souvenir, une anecdote mettant leur mère en valeur et débouchant sur cette conclusion imposée: « Maman, il n'y en a qu'une! »

   Enfin, telle est la formule grammaticalement correcte que j'avais énoncée. Mes diablotins se sont empressés d'en faire l'horrible «Maman, y'en a qu'une! » que le souci de la vérité m'oblige à transcrire ici.   

    Voici donc ce petit monde enfin prêt pour l'exercice. « Fastoche », le thème, comme ils disent? Pas tant que ça! Enfin, chiche, allons-y! Les chères têtes blondes se penchent dans un bel ensemble sur leur feuille quadrillée, l'heure est à la concentration. Du moins en apparence, car on chuchote, on rit en sourdine.  Je fais taire les plus bavards, surveille du coin de l'oeil ceux qui ont tendance à bayer aux corneilles... ou à bailler tout court. Puis c'est le grincement des stylos sur le papier, parfois entrecoupé de toussotements. Les petits s'activent, leurs copies se recouvrent d'une écriture malhabile.

    Qu'est-ce qui va sortir de tout ça? Pour l'instant, je livre les jeunes auteurs à leur inspiration. Mettons une demi-heure. Au delà de ce délai, le suspense devient insoutenable. Vient enfin l'heure de la restitution. Je pose la question rituelle: « Qui veut commencer? »

    Timidement, le petit Nicolas lève le doigt. Ce garnement semble monté sur des ressorts, il ne rêve que plaies et bosses. Allez savoir pourquoi, ses histoires se passent toujours à la récré, dessins à l'appui. J'en attends le meilleur et le pire. « Bon, je t'écoute.... »

    "La semaine dernière, à la récréation (rires) j'ai fait la course avec les copains et je me suis couronné le genou. Maîtresse a regardé mon bobo, elle l'a trouvé vilain. Comme il n'y avait personne à l'infirmerie, elle a prévenu ma maman. Maman est venue tout de suite, avec de quoi  me soigner. Elle ne m'a pas disputé. Même, pour que je n'aie pas mal, elle a nettoyé la plaie à l'eau oxygénée, pas avec l'alcool qui pique. Je n'ai pas du tout pleuré. Ensuite elle a barbouillé mon genou de mercurochrome et mis du tricostéril dessus. Le lendemain, il n'y paraissait plus: Maman, y'en a qu'une!"

  - Pâs mâl, Ni-co-lâs! fais-je en appuyant sur les finales. [Mes bouts de chou adorent qu'on les complimente, ce qui ne les différencie pas des adultes]. A toi, Timothée!

   Cet adorable bambin est à la fois et le chouchou du groupe. Bien sûr, ce qu'il dit paraîtrait scatologique à l'extérieur du groupe; mais dans le contexte de l'atelier, sa prose acquiert de la légèreté tant il parle d'une voix ingénue.

   "Des fois, la nuit, je me lève pour aller au petit coin. Je mets mes pantoufles et je fais le moins de bruit possible pour ne réveiller personne. Quand c'est fini et que je reviens me coucher, je trouve mon lit fait. Maman, y'en a qu'une!"

  - Su-per! commenté-je.

   Parmi les copains, certains émettent des sifflements admiratifs, d'autres se taisent, trouvant peut-être que la mère en fait un peu trop.

    Vient le tour de Sophie, la seule fille du groupe. En dépit de son prénom qui signifie « sagesse », elle collectionne les malheurs. Ce jour-là, dans une grande surface, elle avait -selon l'expression consacrée- échappé à la surveillance de ses parents.

    "Comme c'est la Fête des Mères, j'ai cassé ma tirelire pour faire un cadeau à maman. J'ai fait semblant de la suivre pendant qu'elle faisait ses courses. En arrivant au rayon « cosmétiques », je me suis escampée pour acheter un parfum. Le vendeur m'a dit que c'était bien trop cher pour l'argent que j'avais. Je suis revenue vers Maman, mais elle avait disparu, son chariot n'était plus au même endroit, alors je me suis mise à pleurer. Une dame très gentille m'a prise par la main, elle m'a menée à l'accueil. « Je comprends ton gros chagrin!» qu'elle a fait. Tu sais, j'ai une petite fille de ton âge, je suis une Maman aussi. » Moi, je pleurais toujours: Maman, y'en a qu'une!
 
   Un ange passe. Apparemment, Sophie n'est pas la seule du groupe a avoir connu ce genre de mésaventure. Du reste, Sébastien, qui prend la suite, nous raconte un peu la même histoire.

   Séb, comme on l'appelle ici a le regard grave et désemparé des enfants du divorce. Je fais de mon mieux pour qu'il trouve avec nous ses repères, je ne crois pas vraiment y être arrivée.

    "Un dimanche sur deux, c'est ma maman qui me garde, le dimanche d'après, c'est mon papa. Ils me gâtent chacun de son côté: en fait, tout ce que je demande, et même ce que je ne demande pas je l'aurais deux fois plutôt qu'une. Non, je ne me plains de rien, mon père et ma mère sont gentils avec moi, tout de même, j'aimerais mieux qu'ils soient ensemble.
    Dimanche dernier, Papa m'a présenté à une dame très élégante, que je ne connaissais pas. Comme j'avais l'air triste, ils m'ont amené au Parc d'attractions. La dame m'a proposé de faire un tour de manège. Elle a même dit « Je serais comme une mère pour toi! ». Moi j'ai répondu:
  « Maman, y'en a qu'une! »

    Un silence gêné suit cette confession. D'ailleurs, il n'y a rien à commenter, personne n'en a envie. Pour changer de registre, je passe la parole au petit Josep, le dernier du groupe qui attend pour rendre sa copie. Josep, c'est « l'affreux Jojo », la « tête de mule » de l'atelier, le petit Catalan égaré sur le Clapas.

    Mal intégré au groupe, il est surtout rétif à toute forme d'écriture.

    Néanmoins, pour la bonne cause -la Fête des Mères qui s'approche-, Josep a fait un effort. Je m'en rends compte et l'encourage par un compliment en demi-teinte du genre: « C'est moins mal que si c'était pire ».

    Voici donc le récit qui lui vaut cet éloge mitigé:

  "Maman, elle passe sa journée entière à bronzer sur la terrasse. Elle ne se tracasse pas trop pour moi. C'est normal, vu que je joue à présent dans la cour des grands. La preuve, je me rends tout seul à l'école, qui n'est pas loin de la maison. Pour les devoirs, je me débrouille comme je peux. Des fois même, je ne les fais pas. Personne ne me dit rien. Surtout pas Maman: j'ai l'impression qu'elle s'en fiche. Comme j'ai bon appétit, elle me traite de « jamais pas faim ». Des fois, à l'heure du goûter, elle me crie du solarium: « Jojo, il y a deux rousquilles pour toi sur le buffet! »

    Moi, je rétorque aussi sec: « Maman, y'en a qu'une! »

                                                                                                    Arlette Plumedor

ROUSQUILLE

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