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1 octobre 2007

La Ciotat Plage, par Jacqueline Chauvet Poggi

un faux article de presse qui résume mes impressions sur une plage très peu sauvage

Au loin derrière les rochers aigus quelques silhouettes de grues, fantômes des chantiers morts, rappellent l’activité industrielle de La Ciotat. Après des accès de colère, des soubresauts douloureux, des promesses utopiques effondrées sitôt conçues, la ville s’est résignée à tourner la page de ce passé et s’est contentée de l’entretien des yachts de luxe et convertie en station balnéaire.

La plage est  là pour ça, bande de sable fin pas très large, peu profonde, des minces vaguelettes sur lesquelles joue le soleil en stries parallèles.

Elle a toujours fait la joie des dimanches familiaux. « Je me rappelle, dit Pierre, ouvrier des chantiers navals  aujourd’hui à la retraite, nous pouvions profiter de la mer dès le mois de juin. On y venait le plus souvent à pied, on amenait le pique- nique, parfois un pliant pour la Mémé.Il y avait de la place pour tout le monde ».

Colette, sa compagne, ajoute « En semaine, après le boulot, plusieurs bandes de jeunes s’y retrouvaient. On apportait en tout et pour tout une serviette pour s’étriller et se réchauffer les jours de vent. On faisait des courses de crawl, des bagarres dans le sable, des poursuites tant qu’on avait pied, au milieu des éclaboussures. Qu’est ce qu’on a pu rire ! »

Aujourd’hui, même sable, mêmes mouettes criardes, même air légèrement iodé, même soleil ardent. Mais le décor est tout autre. En hauteur, sur l’avenue, la circulation ronfle et klaxonne. Au pied du mur qui borde la plage s’alignent des boutiques de fringues et de jeux de plage, des marchands de canettes et de sandwiches et surtout les domaines des « plagistes ». Des alignements de transats et de parasols orange vif, des canisses pour séparer la clientèle «chic» qui peut payer location et consommations du reste de la populace.

 

 

«  Que nous laissent ils  ? » regrette amèrement Marie qui est là avec ses deux enfants, autour d’un drap de bain sur le sable,  « Quelques mètres coincés entre les derniers transats et la mer. Tous ceux qui vont et viennent traversent les jeux des enfants, personne ne peut plus jouer ni au ballon ni aux raquettes ».

 

 

Dans l’enceinte réservée, ce qu’on respire c’est l’odeur de l’ambre solaire décliné sous toutes ses formes, celle du vernis à ongles avec lequel on vient de faire un raccord. Ce qu’on entend c’est le tintement des glaçons dans le coca ou le whisky (« Jean Loup, comme d’habitude pour moi ! »), les insupportables portables qui échangent d’inutiles propos avec l’accent «pointu» des estivants.

 

 

Ici pas question de s’abîmer le brushing avec du crawl ou de la brasse coulée, on se trempe pour se rafraîchir et on revient s’adonner au bronzage, lunettes de soleil relevées sur le front, on lit la presse people en faisant quelques sudokus, on lorgne les autres qui ont de beaux seins au silicone ou des poitrines étalées comme des méduses, on suppute le prix et la marque des maillots de plus en plus petits et de plus en plus chers.

 

 

« Vous vous rendez compte, fait constater Chantal, le chignon blond retenu par une pince strassée, on ne peut plus être tranquille, ils nous bouchent la vue. Jusqu’à l’an dernier on pouvait louer les transats du premier rang. Cette année un décret oblige les plages privées à laisser cinq mètres libres. Alors les « gueux » viennent avec leur marmaille, leurs bouées monstrueuses, il y en a qui ont des parasols, j’ai même vu une tente ! C’est inouï ! »

 

 

 

Alors la plage est elle un des derniers lieux de confrontation des classes ? Une sociologie sommaire de ses usagers montre que c’est plus nuancé. Une famille que Chantal a remarquée car leur drap de bain est signé Kenzo, que Madame a au poignet des amulettes de chez Scooter et des cheveux savamment méchés de blond roux donne son opinion

 

 

« Nous sommes toujours venus ici pour profiter librement de ce qui est à tout le monde. Nous boycottons ostensiblement la main mise des profiteurs sur cet espace ouvert. Et puis malgré l’exiguïté de la plage nous avons plus de place que sur ces transats à dix centimètres les uns des autres »

 

 

A ses côtés ses enfants jouent avec d’autres gamins à l’accent local coloré, au vocabulaire cru et imagé et ils ont l’air de se régaler. 

 

 

Par quels chemins passe-t-on du bien public au bien privé ? Un long effort sur les sentiers pénibles de l’ascension sociale ? Un coup de poker gagnant en choisissant un jeune mari qui « réussit » et devient un homme mûr «nanti» ?

 

 

Pour l’instant je ne trancherai pas. Je m’engourdis lentement dans la lumière du soleil d’août, dans le confort d’un transat moelleux, avec à mes côtés une petite table où Jean Loup vient de déposer une bière fraîche. Je sens au fond de moi un nuage de culpabilité, je ferme les yeux. J’ai la conscience tranquille, je suis en mission de reportage, j’enverrai la note au journal.

 

La Ciotat Plage– Août 2007

 

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