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25 octobre 2007

"Cojones de toro"

                                                                                             « Cojones de toro »

« Les belles étrangères qui vont aux corridas
    et qui se pâment d'aise devant la muleta... »
                                 (Jean Ferrat)

TORO

- ¿ Que pensez-vous de l'Espagne en été, Seňora ?  C'est charmant à cette saison, vous ne trouvez pas?
-   Si, Seňor, Séville est d'un charme fou, je dirais même plus: torride!
    

    Pour déambuler dans Séville en plein mois d'août, lorsque la température atteint son paroxysme, il faut être soit un noctambule, soit quelqu'un de très matinal. Ou bien l'on rentre dans la catégorie des touristes non avertis, autant dire inconscients. L'étranger pris au piège de la canicule andalouse tend à raser les murs blanchis à la chaux, côté ombre. Entre ce trottoir et l'autre, il n'est pas rare de compter jusqu'à vingt degrés de différence au coeur de la fournaise. A partir de onze heures, quand sur les remparts de Séville (ô Carmen!), la garde montante vient relayer la garde descendante, le soleil déjà haut chauffe à blanc les callejones (venelles) étroites, où vibre une éternité de poussière et de fange. Scories de la cité, crasse accumulée, remugle de vie! Les caniveaux attendent patiemment la prochaine pluie pour le grand nettoyage... en direction du Guadalquivir tout proche.
   
    Le « barrio » gitan est un labyrinthe, une pulsation de chaleur et d'exubérance. Clocher ou minaret? La silhouette finement découpée de la Giralda, tour emblématique de la ville, se repère de loin. Il existe à Séville un multitude d'églises, plus quelques synagogues. Dans ces lieux de culte, le bruit de foule se change en ferveur mystique. Les passions s'exacerbent à l'approche des arènes de la Maestranza (notez bien: les secondes d'Espagne, hombre, chapeau bas!)  Car la Real Maestranza de Caballeria de Sevilla a ses lettres de noblesse.

    Cette confrérie puise ses racines dans la fine fleur de la chevalerie andalouse. Je ne vous parle pas des peňas taurines qui groupent les aficionados sévillans. La corrida peut bien être considérée comme un jeu cruel en d'autres lieux. Mais en Andalousie, elle n'a rien d'un sport ni d'un spectacle, au sens où nous l'entendons: c'est un rite à l'ordonnance immuable, hérité d'un lointain passé. La tradition des ancêtres ibères est proche des jeux de Minos et du culte de Mithra, comprenez: le sacrifice du taureau. Du sang versé jaillit la renaissance!

   Midi tombe sur Séville comme du plomb fondu, ou la vérole sur le bas-clergé espagnol. Les bureaux se vident de leurs employés, les rues de leurs passants. Figaro-ci, Figaro-là! L'échoppe du célèbre barbier congédie ses clients. Qu'on ne parle surtout pas de pause méridienne lorsque la cité sombre dans une lourde somnolence. Cela va  jusqu'au coucher du soleil, et bien au-delà!

    Vient enfin cette heure vespérale où les flâneurs et les amoureux trouvent refuge sous les platanes du parc María Luisa. Ce lieu de verdure aux épais feuillages favorise le rêve, comme il se prête à la rencontre et au repos. Fontaines, et bassins évoquent la féerie des califes; ailleurs, la disposition d'étangs et boqueteaux offre tout l'imprévu d'un jardin anglais.

    Les espaces verts affrontent une rude concurrence  dès que les bars à tapas ouvrent leurs portes. Les tapas, vous savez ce que c'est: des amuse-gueule en tous genres, pistaches, pipas ou olives. Mais connaissez-vous le « tapeo »? C'est une coutume typiquement sévillane. On se retrouve entre amis, au moment de l'apéritif, pour écumer les tabernas et cervecerias de la ville, Dieu sait qu'elles sont sont nombreuses. Inutile de le préciser: dans cet univers machiste, la majorité des consommateurs attablés sont du sexe mâle. Encore que depuis peu d'années, les chicas, (terme auquel s'accole un épithète obligé: « guapas »)  ne craignent pas s'affranchir de l'intimité du patio familial pour se montrer au comptoir. On les interpelle, ces  muchachas, évidemment. Et l'on jure, Madre de Dio! Comparé à ta sainte Mère, Jesùs Cristo, toi tu n'es qu'un hijo de puta. Et l'on rit bruyamment en commentant les noticias du jour sans troubler les clients qui jouent aux dés ou tapent le carton.

    Il y a bien sûr une pléiade de restaurants classiques, ceux où l'on dîne.  Une valeur sûre des villes touristiques... et des autres. A Séville, on s'est fait aux habitudes de la clientèle internationale. Trois groupes, trois services, trois façons de faire. Le personnel y trouve son compte, au moins comme ça, tout le monde n'arrive pas en même temps. Diviser pour mieux régner, travailler plus pour gagner plus! Traduisez-moi donc ça en Espagnol.

    A partir de dix neuf heures on commence à servir les Allemands, catégorie vite élargie à tous les Nordiques. Facile d'appâter les chevaliers teutoniques: il leur faut des Delikatessen en pagaïe, de la bière qui coule à flots, des Gretchen aux nattes blondes et des flons-flons.
   
    Vingt heures (trente): les Francés rappliquent, bientôt suivis par les Inglés. Les restaurateurs font aisément la différence, et du premier coup d'oeil. Le ramage des Français l'emporte en exubérance, leur tenue en décontraction sur celle des British, qui s'habillent pour dîner et gardent leur réserve. Les uns et les autres ont un point commun: il leur faut de la couleur locale. Alors, on en remet une couche. Allons-y de la paëlla graisseuse arrosée de vino tinto de la casa, avec en prime un intermède flamenco, tout aussi frelaté que la cuisine: castagnettes, envol de jupes, claquement de talons entrecoupés de « Olé, olé! » repris à foison. Où sont les accents rauques du cante jondo, le vrai, celui qui jaillit des profondeurs de l'âme andalouse?

FLAMENCO

    On le réserve aux hôtes du troisième et dernier service, celui qui débute vers minuit et s'adresse à la clientèle locale. Les Espagnols venus dîner en ville s'attarderont jusqu'au petit matin, longtemps après que les touristes soient couchés. Les Sévillans estiment qu'on est beaucoup mieux « entre soi ». C'est parmi eux qu'on recrute les noctambules, venus goûter jusqu'à potron minet un zeste de fraîcheur retrouvée. Ceux qui ont le goût et les moyens de faire la fête trouvent à foison, comme partout ailleurs, des bars, boîtes de nuit et discothèques en tous genres. Les plus jeunes et les moins argentés tiennent en pleine rue des botellones: cette pratique consiste à se regrouper par bandes pour écluser des bouteilles d'alcool achetées en grande surface ou pour fumer un joint. Les autorités préfèrent fermer les yeux sur cette cour des miracles.... "Sur la place, chacun passe, chacun vient, chacun va. Drôles de gens que ces gens -là". Allons donc! La ville est tranquille... au moins sur les prospectus des agences!

    L'expérience apprend qu'à Séville, il faut s'émerveiller de tout et ne s'étonner de rien. Lors d'un premier voyage, je repérai près des arènes une guinguette du nom de « Tio Pepe », calle Adriano. Cocina tipica. Trois toques au Guide Michelin, une sacrée référence en matière culinaire! Enfin, je tenais une valeur sûre! J'entrai dans la salle du restaurante: un cadre sévillan presque authentique agrémenté d'azulejos me fit apprécier la découverte du lieu. Celle de la carte ne lui cédait en rien. Pour entrer en matière, quel gastronome eût dédaigné le gazpacho andaluz, potage servi froid à base de tomates, concombres, ail oignon, poivron, généreusement additionné d'huile d'olive? Suivaient dans l'ordre alphabétique (j'en oublie): les albondigas, boulettes de viande, le flamenquín, roulé frit de jambon de montagne, les gambas à l'ail, les huevos à la flamenca, accommodés avec tomate et chorizo, le solomillo, filet mignon de porc flambé. Comment résister? Comment choisir parmi tant de gourmandes sollicitations? Le chef me tira de l'embarras en me proposant le plat du jour avec un sourire entendu: « Cojones de toro con papas aliňas ».

    Cela sonnait bien aux oreilles, et c'était de bon augure pour les papilles. Enfin, plus que le fameux « rabo de toro ». Il faut vous dire qu'en période de corridas, on vous sert communément à Séville un infect ragoût à base de viande de taureaux morts au champ d'honneur. Le problème, c'est que la chair de ces pauvres bêtes fouaillées par le picador, martyrisées par les banderilles et vidées de leur sang à l'estocade est inconsommable en l'état. Pour éliminer les toxines et compenser le stress, les restaurateurs  mettent les victimes par quartiers entiers à mariner dans du vinaigre pendant deux ou trois jours. Malgré cette sage précaution, la daube de taureau reste un aliment éminemment coriace.

    A côté de ce plat pour touristes, les cojones représentent un morceau de roi. C'est la virilité même de la bête que vous allez déguster. Un mets exotique et recherché, ni plus ni moins qu'en France les « rognons blancs sautés au Madère » ou les « daintiers de cerf sauce Grand Veneur ».

    On me servit donc ce soir là de grosses boules gélatineuses sur lit de pommes de terre marinées dans l'huile d'Olive et de vinaigre de Jerez à grand renfort d'oignon finement haché, d'ail et de persil. Un délice! La cuenta fut en conséquence, mais je me jurai que je reviendrais!

    Je revins en effet l'année suivante pour la grande corrida du dimanche de Pâques, la plus prestigieuse de l'année, celle qui ouvre le cycle annuel. A cette période, il fait nettement moins chaud à Séville qu'au mois d'août, mais l'afflux des aficionados et des touristes fait qu'il est beaucoup plus difficile de se loger. J'avais donc prudemment réservé ma chambre à l'avance et deux couverts chez Tio Pepe.

   Devinez ce que nous commandâmes? Des cojones de toro, cela va de soi.
   Embarras du garçon venu prendre la commande: « Seňor, ce soir, nous n'en avons que pour une personne! »

   « Qu'à cela ne tienne! Servez nous aussi de la zarzuela, nous partagerons! »

    Vingt minutes plus tard, le garçon revint porteur d'une assiette minable où deux boules de la taille d'une grosse olive se dissimulaient entre les pommes de terre.

    Je lui fis part de mon désappointement. Je ne reconnaissais pas mon plat favori. Ce soir-là, décidément, la maison n'était pas à la hauteur de sa réputation!
  - Seňor, répondit le serveur. On voit que vous n'êtes pas du pays! Tout le monde sait ici qu'à la corrida, ce n'est pas toujours le matador qui gagne!

   Nous avons avalé notre salive et mangé la zarzuela puis nous sommes partis. Que voulez-vous? Les choses sont comme ça quand on voyage.... « ¿Verdad, Seňor? Quien tiene boca se equivova! » Vérité en deçà des Pyrénes, erreur au delà! Tout le monde peut se tromper....

 

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Commentaires
M
Bonjour Jean-Claude, c'était un plaisir de relire ton texte, agrémenté de ces deux belles reproductions... épicé et tonique!<br /> A bientôt!
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