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14 décembre 2007

La maison partagée

 

 

 

La maison partagée.

 

MONTHOLON

 

 

 

Et si les vieilles demeures pouvaient parler?

 

    Non! Ce n'est pas un rêve! Les maisons vivent, respirent, elles ont leur propre langage, accessible à qui sait être écouter.

 

    Une maison, c'est un lieu commun, est faite pour traverser des siècles. Disons plutôt qu'elle naît, évolue et meurt comme un être humain. Les murs de pierre ont des oreilles, ils se taisent et gardent la mémoire des faits. Le toit qui abrite la génération présente sous son aile protectrice se doit d'entendre les ris et les jeux de ses futurs enfants et petits-enfants; à même enseigne, il se souvient des parents et grands parents.

 

    C'est trop beau pour être vrai? Vous n'y croyez pas? Prêtez à ce qui suit une oreille attentive. Oyez, bonnes gens, l'étonnante saga des Monte-au-long, contée par l'hôtel du même nom.

 

 

 

    Cet ostal se situe hors les murs de Montpellier, sur la rive droite du Merdanson, ainsi nommé parce qu'il reçoit l'égoût de la ville. On a depuis changé son patronyme en « Verdanson », ce qui sonne infiniment mieux.
   A cet endroit, sous les murs de l'Hôpital Général, sourd la Font Putanelle, face à la rue des Amoureux, rebaptisée rue des Carmélites, et la calade de la Petite Vertu. Cette fontaine -la bien nommée, car c'est un lieu propre aux rendez-vous galants- remonte à Jacques Coeur, elle en porte fièrement les armoiries (1).

 

 

 

    Ainsi en va-t-il des amours éphémères, ainsi dit la chanson:
                                                        Evitez, jeunesse belle
                                                        la Fontaine Putanelle,
                                                        car plus d'une jouvencelle
                                                        y brisa son petit cruchon. »

Ce qui rejoint le dicton populaire: « Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se brise... »

 

 

 

BUGAUDIERE

 

 

 

    Aujourd'hui, sous les frondaisons, les bugadières (2) font leur lessive dans l'eau plus ou moins claire du ruisseau. Le Verdanson alimente aussi des jardins familiaux, nombreux en ce faubourg. Des platanes d'origine fort ancienne agrémentent ses berges verdoyantes.

 

 

 

    Les riverains circulent tous les jours, sans lui prêter la moindre attention, sous les murs de l'Ostal de Monte-au-long, 5 impasse de la Tempérance au débouché de la rue du Nadir aux Pommes...
    Cette artère connaît de nos jours un important trafic. Il est même question d'y faire passer en 2057 la cinquième ligne de tramway. En attendant les prochaines échéances électorales, le site est trop excentré pour que les guides conférenciers du Comité du Tourisme y mènent les visiteurs.
    Dommage, car c'est un lieu chargé d'histoire, qui gagnerait à être mieux connu.

 

 

 

L'union de la cochenille et du verdet:

 

 

 

    C'est là qu'au mitan du siècle des Lumières, le fondateur de la dynastie, Népomucène Montolon, commerçant drapier, fait édifier à son usage une maison de maître. Par fantaisie ou coquetterie sémantique, c'est alors courant, le signataire ajoute une « h » à son nom, c'est pourquoi on trouve l'orthographe « Montholon » dans l'acte notarié.
    A cette époque, la population montpelliéraine, en pleine explosion démographique, ne trouve plus place dans l'Ecusson. Le quartier saint Charles, mi-artisanal, mi-paysan, s'étend de l'autre côté de la « commune clôture » (3). C'est pour la ville un champ d'expansion tout trouvé.
    La famille Montolon (ou Montholon) bénéficie d'importantes concessions de chêne kermès dans les garrigues avoisinantes. On y récolte le carmin que produit la cochenille, un puceron miraculeux, du point de vue tinctorial s'entend.

 

 

 

    Un bonheur ne venant jamais seul, Népomucène va rencontrer bientôt l'âme soeur.
    En 1760, il convole en justes noces avec la demoiselle Victorine Vert-de-gris, riche héritière d'une famille enrichie dans la fabrication et le commerce du « verdet ». Cet oxyde de cuivre entre dans la composition des couleurs employées pour teindre les indiennes, alors très en vogue.
    De cette union de la cochenille et du verdet, naît un héritier, Ange Séraphin Montholon (l'acte de baptême comporte une « h », notez le bien). Ce rejeton révèle un tempérament martial et manifestera bientôt des idées libérales; c'est lui qui va s'engager, vingt ans plus tard, dans l'armée royale. Il va se battre aux Amériques -et se faire remarquer du souverain - sous les ordres du marquis de La Fayette. Ange Séraphin fait alors figure de héros. Il est anobli par Louis XVI, ajoute une particule à son nom, qu'on écrit à présent Mont-Tholon, en mémoire d'hypothétiques faits d'armes de ses aïeux, censés avoir arraché des mains des Infidèles quelque éminence imaginaire.
Entre deux liaisons tumultueuses, il épouse une jeune aristocrate, Sophie Adélaïde des Stupres du Clapas, qui sera la mère de Charles Tristan, futur représentant de la troisième génération des Montholon (4).

 

 

 

    En attendant fêtes et bals se succèdent dans sa « demeure au milieu des feuilles ». Car la modeste « manse » de Népomucène Montolon est devenue la « folie » du Mont-Tholon, un hôtel « entre cour et jardin » construit dans le goût néo-classique. A cette époque, on aime l'antiquité dans tous ses états. La façade aux pilastres engagés affiche un luxe ostentatoire, une vaste cour de plan barlong entourée d'un péristyle à chapiteaux corinthiens s'ouvre sur un portique majestueux, dont la corniche s'orne de lourdes guirlandes florales. Au frontispice, les fesses de naïades charnues, à la croupe cambrée, se cachent en partie sous les feuilles d'un lierre opportun (5).
    Aux yeux de certains, tout cela fait un peu parvenu.

 

 

 

FESSALAIR

 

 

 

   Huit ans plus tard, éclate la Révolution.

    Courageux, mais pas téméraire, Ange Népomucène devient le « Citoyen Montot » tout court. Ceci n'ôte rien, hélas, à la gravité des fautes qui lui sont reprochées par l'Accusateur public. Au greffier du Tribunal révolutionnaire qui reconnaît en lui le ci-devant Comte de Mont-Tholon, le prévenu répond: « Bourreau tu n'es pas là pour m'allonger, mais pour me raccoucir! »
Admirant son courage et pour ce trait d'esprit, la foule s'écrie: « Elargissez-le! ». Nous sommes en 1793, en pleine Terreur. Quelques jours après, la tête d'Ange Séraphin roule sur le billot.

 

 

 

    Le petit Charles Tristan -il n'a que douze ans- est désormais seul héritier de la famille. En théorie du moins, c'est le tenant du titre. Quant à l'hôtel de Montholon (qu'on orthographie désormais Monte-au-long) il est vendu comme bien national.

 Arsenic et porte-jarretelles:

 

 

 

    On dit que les siècles finissent et commencent avec quinze ans de retard. Cela a commencé en 1515 avec Marignan. Cela s'est vérifié pour le Grand siècle avec la mort de Louis XIV. Waterloo fait partie de ces échéances incontournables.
L'après-midi du 27 juin, l'issue funeste de la bataille est annoncée. Anglais, Russes et Prussiens vont faire leur jonction à Paris, Napoléon abdique. A Vienne, le Congrès s'amuse.

 

 

 

    A Montpellier, on crie dans les rues: « Vive le roi! » Le drapeau blanc flotte sur la ville. Un peu prématurément, sans doute, car le gouverneur bonapartiste de la place, replié dans la citadelle, refuse de reconnaître l'autorité royale. La bataille fait rage, les hommes de troupe se livrent au massacre et au pillage, les boulets pleuvent sur le Clapas. Le 2 juillet, l'un d'eux atteint le mur extérieur de l'hôtel de Monte-au-long. On l'y voit toujours incrusté (6). Cet acte de représailles -si c'en est un- paraît doublement absurde: d'une part, parce qu'il précède de quelques heures le cessez-le-feu. En second lieu, parce que celui qu'on vise: le Général-Comte Charles Tristan de Montholon, n'habite plus là depuis belle lurette. Avec sa jeune épouse Albine, il fait partie des derniers fidèles de l'empereur. En tant qu'aide de camp, il est en partance pour sainte Hélène, c'est aussi une manière comme une autre de se faire oublier quelque temps par le nouveau régime.

 

 

 

    Quant à son hôtel montpelliérain, il est présentement arrenté. Les somptueux appartements ont été divisés de manière à pouvoir être habités séparément. Salle ou salon, chambres et cuisines, sont distribués par des antichambres et des corridors, distincts des parties communes. Autre temps, autres moeurs. La chère « folie » est devenue une maison partagée, en clair un immeuble de rapport.

 

 

 

    Certains locataires illustres vont laisser trace de leur passage. Un certain François-Xavier Fabre, peintre de renom émigré à Florence, s'installe là pour quelques mois à son retour d'exil. En guise de loyer, il offre à la famille un huile sur toile: « la Madeleine repentante », chef d'oeuvre du parfait académisme autant que d'hypocrisie picturale. La pécheresse, bien en chair et totalement dénudée, serre une tête de mort sur son giron, son expression extatique en dit long sur la nature de son repentir. Des saintes comme elle, on en redemande.
Fabre peint aussi une « Prédication de saint Jean Baptiste » pour la chapelle des Pénitents bleus de Montpelllier. C'est là que sera inhumée un jour Albine de Montholon, mais elle ne le sait pas.

 

 

 

   Au retour de Sainte Hélène, après 1821, la jeune femme est précédée par sa réputation sulfureuse. Albine a vingt ans de moins que son époux, c'est une coquette qui collectionne les amants. A Longwood, elle sera la dernière maîtresse de l'Empereur, qui se meurt à petit feu. Mérite-t-elle pour autant sa réputation d'empoisonneuse (au sens propre)? Le général, sans nul doute, est un mari complaisant. Enfin, pas tant qu'on le dit. Peut-être aimerait-il se débarrasser au plus tôt d'un rival encombrant. Et puis, le couple s'ennuie à sainte Hélène, Hudson Lowe est pressé d'en finir. Il faut ici se souvenir que la famille de Montholon a bâti sa fortune sur le commerce du verdet. Or l'oxyde de cuivre est un poison violent. Si l'on n'en produit pas à Longwood, on utilise l'arsenic comme mort-au-rat. Une pincée mise à chaque repas dans la nourriture peut venir à bout d'un humain sans que les symptômes soient trop visibles.

 

 

 

    La suite appartient à l'Histoire et, sur les causes de la mort de Napoléon, l'Histoire n'a pas vraiment tranché. Reste la légende, et celle d'Albine est édifiante. Notre héroïne a encore de nombreuses années à vivre sous la Restauration. Elle va poursuivre en paix sa vie mondaine et, pour tout dire, rôtir le balai jusqu'au manche. Elle finit -c'est tout aussi classique- en dame patronnesse: sa dépouille repose de nos jours sous l'autel de la chapelle des Pénitents.

 

 

 

    C'est une momie: la putréfaction n'a pas voulu de ce corps que les mains d'un empereur ont caressé. Des lambeaux parcheminés d'épiderme, dont le toucher fut si doux, s'accrochent aux os décharnés. Dans son cercueil de verre, légère jusqu'au fond du trépas, Albine porte une robe de mousseline vaporeuse et un bonnet ruché. La mort lui va si bien, le mystère aussi! Ses orbites vides fixent hideusement le visiteur. A partir de quelques cheveux, des experts ont tenté de percer le terrible secret. Des traces d'arsenic ont été trouvées. Cet indice ne prouve évidemment rien; c'est bien connu: les cimetières regorgent d'arsenic.

 

 

 

    Mais le passage d'Albine a frappé d'un sort funeste l'hôtel de Monte-au-long. Depuis cent cinquante ans, une fois par mois, les soirs de pleine lune, un pâle fantôme en voiles blancs erre sous les colonnes du péristyle. Le spectre de l'empoisonneuse continuera de hanter ce lieu jusqu'à ce que son crime soit enfin racheté. Ce n'est qu'avec les amours d'un jeune couple innocent que prendra fin, Dieu sait quand, la malédiction des Montholon.

 

 

 

[A suivre!]

 

 

 

Notes et commentaires:

 

 

 

(1) Cette fontaine, très dégradée, est encore visible sous les mirs de l'actuel Hôpital saint Charles (illustration: vue du Verdanson avant qu'il soit canalisé, eau-forte gravée en 1886) . v. Jolivet, op. cit.

 

(2) Lavandières.

 

(3) Celle édifiée au Xiième siècle (il en reste la tour de la Babotte et la tour des Pins)

 

(4) Albine et Charles Tristan de Montholon sont des personnages réels, alors que leurs ancêtres sont inventés. La localisation ici donnée à leur hôtel est purement fictive.

 

(5) Ce motif, dû au sculpteur Injalbert, orne aujourd'hui la cour intérieure du musée Fabre.

 

(6) Le fait est authentique, mais la trace du boulet tiré par la garnison du général bonapartiste Gilly se trouve en réalité: 2, rue Salle l'évêque (hôtel Durand) – voir Jolivet, op. cit.

 

(7) Les deux tableaux cités figurent à l'actuelle exposition François Xavier Fabre, il est exact que la « Prédication de saint Jean Baptiste » fut exécutée pour la chapelle des Pénitents bleus de Montpellier, où repose encore la dépouille d'Albine de Montholon.

 

Pour en savoir plus...

 

- Sur l'empoisonnement supposé de l'Empereur à sainte Hélène: cette énigme de l'Histoire fait l'objet d'une abondante littérature. Il suffit de chercher sur Google les références concernant Albine de Montholon. Trois ouvrages sont consultables à la bibliothèque d'études Emile Zola (Denis Maurice, réf. 99022, Louis Perrier, réf. LEG036, mais surtout « le Journal secret d'Albine de Montholon » présenté par son descendant François de Candé Montholon, réf. B17691 et 92).

 

- Sur le thème de la « maison partagée », voir les Cahiers du Patrimoine: « Montpellier, la demeure classique», pp. 228-230, mais aussi l'ouvrage de Roland Jolivet: « Montpellier secrète et dévoilée », imprimeries Fournier, 2003, où l'on retrouvera la source de diverses anecdotes.

 

 

 

 

 

 

 

 

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