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24 mars 2008

AFF. "POT DE TERRE C./ POT DE FER"

aff. « Pot de terre c./ Pot de fer »

VIRGINIE

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     Ce 10 décembre 2007, à 19 heures. Je reçois la dernière cliente pour ce soir. Décidément, j'ai toujours du mal « boucler » mes  journées. Lorsque je ferme mon Cabinet d'avocat – en général aux environs de 20 heures- il y a trois plombes que mon assistante est partie. Je ne vous raconte pas lorsqu'elle est en A.R.T.T., la peste soit des trente cinq heures!

 

     En ce qui me concerne, je ne ménage pas mon temps de travail. Pas plus que je ne compte les heures passées à recevoir mes clients, ou pour défendre leurs intérêts. Jusqu'au moment de leur facturer mes honoraires, sur la base d'un barème horaire. Là, bien évidemment, je me rattrape.

 

        Ma visiteuse est une toute jeune femme. Grande, mince, intéressante. N'était son buste avantageux, je dirais qu'il émane d'elle un charme impalpable. Cette personne a tout pour inspirer la sympathie: avec elle, au moins, on a envie de communiquer. Elle se présente:
  - Virginie Dupont, d'Avignon. Mon nom vous dit sans doute quelque chose....                             

 Je me creuse. Ce patronyme évoque pour moi certaine  célèbre comptine,  quelque part  il renvoie à Georges Brassens:  « Tout le monde ne peut pas s'appeler Dupont. ». C'est vrai que « Corne d'auroch » est moins courant dans notre pays!

 Cette fille, au fait, où l'ai-je vue?... Mon interlocutrice vient opportunément secourir ma mémoire défaillante:
- Ne cherchez pas, Maître, il n'y a qu'une Virginie Dupont élue Miss Clapas 2007: c'est moi. Maintenant que je me suis identifiée, vous comprendrez facilement ce qui m'amène....
    Bien sûr! Où avais-je la tête?
  - Votre affaire, tout le monde en parle!

 Virginie, c'est une reine de beauté sans couronne, ou tout au moins menacée de la perdre. Ses démêlés avec la présidente du Comité, Geneviève de Montholon, ont défrayé la chronique. Tout cela pour une absurde histoire de photos, qui traînent dans un magazine pipeule. Pour connaître les détails, il faudrait être lecteur de « Voili-voiçà »; personnellement, je n'accorde à cette revue qu'un coup d'oeil distrait, lorsque j'attends mon tour chez le coiffeur. A présent, l'héroïne de cette histoire, celle par qui le scandale arrive, se présente en chair et en os dans mon cabinet. Voilà qui est original. La situation ne manque pas de piquant. Je considère ma vis-à-vis avec curiosité.

 Assise en face de moi, sanglée dans un tailleur bon chic bon genre, son sac à mains posé sur les genoux, Virginie Dupont ne donne pas l'image d'une fille de magazine. Son allure ferait plutôt penser à Bernie en plus jeune, une contractuelle en mal de contredanse ou quelque secrétaire des années soixante en train de prendre le courrier en dictée. Un métier, me confie-t-elle, auquel elle se destina quelque temps.

  - Donc, vous êtes originaire du Vaucluse....
  - Oui. Ma famille habite Avignon, rue des Teinturiers.

 Cette rue, si pittoresque avec le canal qui la jouxte et ses roues à aubes, je la connais pour l'avoir maintes fois parcourue en touriste. A défaut de teinturiers – il n'y en a plus ici depuis belle lurette -  on trouve dans ce quartier des boutiques d'antiquaires, des galeries de peinture, des librairies d'art. En été s'y donnent des spectacles du festival « off ».

 Quelque chose m'intrigue, tout de même:
  -  Comment se fait-il que provençale d'origine, vous ayez concouru pour le titre de Miss Clapas?
  - Le Rhône n'est pas une frontière infranchissable.
Il suffit de passer le pont, et c'est tout de suite l'aventure (re-Brassens). Tout cela parce que j'avais envie en fait de faire mes études à Montpellier.
  - Quel genre d'études?
  - Sociologie aggravée. Hélas, je n'étais pas douée pour l'abstraction. Alors, je me suis rabattue sur la sténographie allégée. Mais la perspective de faire du secrétariat toute ma vie, fût-ce de Direction, n'était guère plus affriolante. Au final, le travail de bureau ne m'intéresse pas. Alors, j'ai répondu à une annonce parue dans le
« Réveil du Midi ».
  - Ah oui? Précisez....

  - L'avis de recrutement d'une agence de « top models ». Entre filles qui rêvent d'être mannequins, la concurrence est effrénée. Ce n'est pas facile de réussir dans cette branche. Il y a d'abord le barrage de la taille. En dessous d'un mètre soixante quinze, inutile de se présenter. Mais ne croyez surtout pas qu'il suffit d'être grande et mince pour faire ce métier, mieux vaut être carrément filiforme ou le devenir. L'obsession de la ligne rend anorexique. Au régime d'un yaourt par jour, plus un verre de jus de citron, j'ai fini par craquer.
  - Je compatis. C'est alors que vous êtes entrée en contact avec Madame de Montholon?
  - Par agents recruteurs interposés. Le comité « Miss Clapas » est à la fois plus et moins exigeant qu'une agence de mannequins. Pour sa présidente, le moral compte autant que le physique. Non seulement Geneviève de Montholon demande aux candidates d'avoir la silhouette idéale, elle veut que leur maintien soit parfait, mais elle apprécie aussi qu'elles soient élégantes et raffinées, bien pensantes, intelligentes et cultivées. Rien que ça. Le « plus » qui fait la différence!
    - D'après ce portrait, vous étiez pour elle l'archétype même de la Montpelliéraine idéale?
  - Au début, oui! On peut dire les choses comme cela. Nos rapports étaient bons, la présidente m'appréciait, me trouvait très « classe », elle me traitait même comme sa propre fille. J'étais très fière en ce qui me concerne de répondre à des critères de sélection si restrictifs. Ce qui m'a permis de franchir avec succès les étapes successives du concours de
Misses.
  - Pour finalement triompher le grand soir, sous les
sunlights! Cela dut être une sensation grisante?
  - Ô combien! Mais hélas, pour peu de temps! Après cette éclatante victoire, je n'aurais jamais cru que
les choses se gâteraient si vite.
  -  La roche tarpéienne est près du podium! Mais d'abord, une question... ces fameuses photos, qui ont tout gâché, sont-ce bien les vôtres? Sont-elles authentiques?
  - S
i l'on veut; il s'agit de prises de vue anciennes. Elles ont été réalisées en manière de jeu par un ami photographe, lors de mes débuts dans le mannequinat.
  - On peut les voir?
  - Bien sûr. Je vous ai amené les originaux pour constituer un dossier.

CRUCIFIX

     Virginie me tend  l'objet du litige. Honnêtement, il n'y pas de quoi fouetter un chat, ni même exciter la concupiscence des esprits mal tournés!  Sur le cliché réputé le plus « osé », Virginie pose en bikini, bras et jambes allongés sur deux poutres disposées en croix. Avec un peu d'imagination, on peut y voir l'évocation d'un crucifix. L'image n'est pas neuve. Je n'irais pas crier au blasphème.... Madonna n'en était pas à ça près. Si j'ai bonne mémoire, elle s'est permis une provocation de ce genre à l'occasion de je ne sais plus quel show. Un pétard mouillé, qui a fait « pschitt! » et lui a valu quand même un commentaire aigre-doux dans l'Osservatore Romano. Le problème, c'est que les photos de ma cliente, qu'elle croyait oubliées depuis belle lurette, ont circulé sur internet après l'élection de Miss Clapas, avant d'être publiées à grand tapage dans « France-Machin » et « Voili-voiçà ».
  - Quand elle a appris cela, Madame de Montholon était folle de rage... elle m'a demandé de démissionner immédiatement de mon titre.
  - Il faut la comprendre. Elle tient à l'image de ses
Misses! A présent, qu'attendez-vous de moi, Mademoiselle Dupont?
  - Que vous m'aidiez à faire reconnaître mes droits par la Justice.
   - Excusez-moi... Je ne saisis pas...Vos droits? Quels droits?
   - Eh bien, la validité de mon élection, et tout ce qui s'ensuit... les perspectives qu'on m'avait fait miroiter... .
   - Ne rêvez pas, Virginie. Rien n'était dû!

     Ce qu'elle ignore, cette petite, c'est que le Droit est une science exacte. Il ne suffit pas d'être de bonne foi pour avoir raison. On ne va pas au Tribunal comme ça, en claquant des doigts. Mon rôle d'avocat consiste d'abord à évaluer son dossier pour mieux la conseiller. Se précipiter ne sert à rien. Mais je ne veux pas non plus la décourager.... Je sors de mon tiroir une chemise cartonnée où j'inscris au crayon: « Aff. Dupont/ c. Montholon. ». J'y range les photos litigieuses. Puis, je demande sur un ton bienveillant:
  - Avez-vous un écrit? Il faut que je voie exactement ce que vous avez signé.
  - Je vous ai apporté l'acte d'engagement réciproque.
  - Fort bien! Je vais l'étudier. Comme vous le savez, c'est le contrat qui fait la loi des parties. Rien qu'à voir son en-tête, il faut déjà que je change l'intitulé de votre dossier. Je biffe la mention
« Lonthomon » pour inscrire à la place: « Comité Miss Clapas ».
  - Je ne vois pas la différence, c'est bien Madame de Lonthomon qui a signé le document...
  - Oui, mais elle l'a fait au nom du Comité, lequel a le statut juridique d'une  S.V.H.L.   
  - A savoir?
  - Société à vocation hautement lucrative.
  - J'aurais pu m'en apercevoir....
  - Et surtout lire les clauses en petits caractères. Oh, je ne vous en fais pas grief, personne ne s'intéresse à ces fameuses « conditions générales » tant qu'elles n'ont pas servi. Ce qui me fait encore rectifier le titre du dossier pour inscrire:
Aff. « Pot de terre c./ pot de fer ». C'est à peine une boutade, l'expression n'a rien d'exagéré. Virginie se bat sans moyens, à mains nues. Elle a pour elle sa jeunesse et son enthousiasme; contre elle, tout le poids d'une structure qui bénéficie de solides appuis juridiques et financiers.
  - Enfin, tout ça, c'est la vie. Il se fait tard, nous nous reverrons dans huit jours.

     Contrairement à ce que me dicte ma longue expérience d'avocaillon de province, spécialisé dans le contentieux commercial et les servitudes foncières, je ne réclame pas de provisions sur honoraires à Virginie. Son cas est, il est vrai, peu courant. Elle ne roule pas sur l'or et ne se rend pas compte de ce que coûte une procédure. Pour l'instant, son dossier ne me semble pas très solide. Si d'aventure elle obtient gain de cause, il sera toujours temps de lui présenter la note. Et puis, que voulez-vous, l'empathie a joué.

 Deux ou trois jours passent, je prends le temps de lire à fond le fameux contrat d'engagement. Ce qu'elle n'a sûrement jamais fait. Comme je le craignais un peu, les dispositions en sont léonines. Non seulement, les postulantes au titre envié de « Miss Clapas » s'engagent à observer une conduite irréprochable, mais tout incident susceptible de ternir leur image ou d'entacher leur réputation relève de la seule appréciation du Comité. Ce dernier, régenté par l'omnipuissante Geneviève, est et reste souverain en cas de propos impertinents ou déplacés, d'attitude inconvenante, j'en passe. Je ne parle pas des photos de charme, elles sont explicitement citées comme une faute irrémissible et entraînent à ce titre la résolution du contrat.

     Bon. nous voilà propres! Reste à savoir ce qu'on nomme « photos de charme ». Où se situe la frontière entre l'art et la provocation, l'érotisme et la pornographie? D'éminents spécialistes en ont abondamment disserté. Comme il on l'a galvaudé, ce corps féminin « qui tant est souefv et précieux » (Villon). Même à court d'arguments, je puis toujours pérorer là-dessus.

TENTATION

 Ainsi, les plus grands artistes du XXème siècle et même celui d'avant ont usé et abusé des photographies de modèles nus. En 1878, sous le titre évocateur de « La tentation de saint Antoine », un certain Félicien (pas Daniel) Rops campe dans une pose avantageuse une belle fille dévêtue sur un crucifix. Saint Antoine au visage effaré tente, mais en vain, de se concentrer sur quelque lecture édifiante. Vade retro, Satanas! On peut voir à son choix dans cette oeuvre une gravure licencieuse, une satire anticléricale primaire, une représentation symboliste ou le surréalisme avant l'heure. Ce thème abondamment illustré par les clichés croustillants de E. Bayard, publiés dans « Le nu esthétique » en 1905. Messieurs les censeurs, bonsoir! Point n'était point besoin d'attendre Madonna, ni Virginie!

 Ces considérants ne vont pas figurer dans mon argumentaire, ils n'auraient pour effet que d'égayer la magistrature. Je me verrais assez bien conclure:

« La présidente du Comité soutient que les photos de ma cliente sont obscènes. Que ne dénonce-t-elle une image absurde et frelatée, celle  de la femme-objet? Justement l'image que donne son prétendu concours de reines de beauté! Non, l'abjection n'est pas dans ces photos. Je la trouve dans le regard du spectateur, reflété par la Toile avec complaisance, ou dans les commentaires des revues à scandale. Par ces motifs, plaise au Tribunal de réhabiliter Mademoiselle Dupont d'Avignon, lui restituer son titre de Miss Clapas et sa couronne. »

 Tout bien réfléchi, lors de l'entretien suivant avec la susdite, je lui déconseille formellement d'ester en justice. Elle proteste pour la forme:

  - Sans doute pensez-vous que je vais perdre mon procès!

  -  Je n'ai pas dit cela! Une affaire n'est jamais perdue d'avance. Ni jamais gagnée non plus, d'ailleurs. Selon la sagesse populaire, un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès. Et si je négociais pour vous un compromis avec Madame de Lonthomon?
  -
Aucun compromis n'est possible avec cette femme: on ne discute pas avec l'arbitraire
  - Vo
us sans doute ne le pouvez pas. Moi, si! C'est mon métier. Je suis avocat d'affaires.
  -
Quel rôle me reste-t-il à jouer, dans tout cela?

 

  - Organiser la rencontre, ce ne serait pas si mal!

 Virginie se révèle efficace. Loin de la réputation qu'on fait aux blondes, cette fille n'est pas une potiche ni godiche, je l'ai capté. Mieux, elle se lance avec moi dans un jeu de rôles, qui prend la tournure d'une vraie mission de « coaching ». Ceci pour mieux me préparer à mon duel proche avec cette redoutable adversaire.
  - N'en faisons nous pas un peu trop? Ce n'est qu'une femme, après tout!
  - Vous ne connaissez-pas Geneviève de Lonthomon! En affaires, elle est diabolique. Vous ne voyez qu'une apparence, elle avance masquée et ne révèle à personne son jeu. Pour l'avoir approchée de près, je connais son caractère, alors que j'ignore ses traits. Geneviève dissimule constamment son visage sous une capeline à large bords.

  - Elle a raison, cette petite! A l'intérieur comme à l'extérieur, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, la présidente de Miss Clapas ne se départit jamais de cet incroyable galure qu'on lui voit sur toutes les photos. A croire qu'elle dort avec! Je renchéris:
  - Je suppose qu'elle a de bonnes raisons pour cacher son visage. A force de liftings, cette femme doit avoir
la peau tellement tendue que lorsqu'elle ouvre la paupière....
  - Je connais la chanson, épargnez-moi la suite. Ou bien, chantez comme Johny:
ça ne change pas un homme, un homme ça vieillit. Les femmes sont plus vulnérables aux  ravages du temps...
  - Avec celle-là, convenez qu'il est difficile trouver
« le point G ».
  - G
 comme Geneviève. G comme gourmandise. Invitez la donc à dîner. Ce n'est pas une idée, ça?

 Ce que je fais. Le rendez-vous est fixé au 13 décembre, jour de la sainte Lucie, proche du solstice d'hiver. C'est « la nuit la plus longue », la nouvelle lune selon le calendrier. A Lyon, dont je suis originaire, les habitants placent à leur fenêtres de petites bougies, infimes lumignons pour fêter le retour prochain de la lumière.

 En attendant, quelque chose me chiffonne. Il faut que j'en sache un peu plus sur la Lonthomon. Pour cela, je fais appel à un témoin « incontournable ». Un certain Jean Robidou, journaliste au « Réveil du Midi », généalogiste à ses heures, qui connaît bien la famille. Robidou me reçoit sans façons. Il est à la retraite depuis bientôt trois ans, ce qui lui ménage du temps libre et une grande liberté d'expression.
  - Les Lonthomon? C'est un sujet sur lequel je puis, Maître, satisfaire votre curiosité. En toute modestie, car il n'est pas difficile de suivre cette famille montpelliéraine à la trace, du XVIIIème siècle à nos jours.
  - C'est surtout son histoire récente qui m'intéresse.
  - Eh bien, en 1974, j'ai personnellement rencontré Claude Aglaé, « la colonelle Fabienne », à l'occasion d'une interview. J'étais alors journaliste débutant en charge d'un reportage sur Montpellier pendant l'Occupation. Je ne suis pas sûr d'avoir fait l'article qu'on attendait de moi, mais cette rencontre a changé beaucoup de préjugés que j'avais sur cette période douloureuse.
    Claude Aglaé est morte en 76. Je fus aussi l'auteur de sa fiche nécrologique. Dix ans plus tard, en 86, l'hiver du grand gel, j'ai fait la connaissance à Mauguio de sa fille Brigitte, l'amie des animaux. Elle s'occupait alors d'une opération de sauvetage des flamants roses.
  - Venons en à Geneviève, l'actuelle descendante des Lonthomon. Que savez-vous d'elle...?
  - Désolé de vous décevoir...Je n'en sais que ce que dit la Presse à propos de la présidente du Comité « Miss Clapas ». En fait, je n'ai pas eu de contact direct avec elle.
  - A ce qu'il paraît, c'est quelqu'un de très dissimulé. Quel âge lui donneriez vous?
  - Ce n'est pas le genre de questions qu'on puisse poser à une femme! Si l'on compte un intervalle moyen de 25 ans entre générations, Geneviève pourrait avoir... mettons: une soixantaine d'années aujourd'hui. Faute de possibilité de recoupements,  je ne garantis rien.
  - Ce calcul m'a tout l'air plausible.
- Oui, mais il y a un « hic ». Tout le monde sait que Brigitte a été mariée trois fois, pour ne pas citer ses innombrables amants.  Or, on ne lui connaît pas de fille...
  - Alors, Geneviève...
  - Est-ce que je sais, moi? Faisons deux hypothèses : ou bien Geneviève appartient à une autre branche de la famille! C'est très possible, on trouve aujourd'hui partout des  descendants des Montholon ... jusqu'aux Etats-Unis. Ou bien... là, je recule devant quelque chose de terrifiant. I
l règne autour de cette femme une ambiance singulière! On dirait qu'elle porte la mort avec elle.  Je n'irai pas plus loin. Cela sort du domaine de la généalogie pour franchir la frontière du surnaturel. Si vous tenez à en savoir plus, consultez Père Dupanloup.

    Père Dupanloup, c'est une sorte de Nostradamus des temps modernes, le mage attitré de la presse du Midi. Il prédit la pluie et le beau temps, les soubresauts de la Bourse, les résultats des élections municipales et ceux du Quinté plus. Père Dupanloup dès le berceau montrait qu'il n'était point un sot. Vagissements de nourrisson ne sont que vaticinations. Aujourd'hui fort âgé, Père Dupanloup mène une vie de cénobite tranquille au sommet du mont saint Baudile.

 Je rencontre en son ermitage l'auteur des « Nouvelles Centuries », identifiable à sa barbe blanche et son bonnet pointu. « La Saga des Montholon s'achève, me dit-il, la malédiction qui les frappe touche à son terme. Lorsqu'une pure jeune fille se présentera sur l'autel du sacrifice, munie d'un crucifix et d'une gousse d'ail, alors un ultime quatrain des Centuries s'inscrira sur l'album de la Comtesse en lettres de feu: la faute d'Albine sera rachetée et le maléfice rompu. A présent, j'en ai assez dit. Qu'il soit fait ainsi qu'il est requis.»

 Ainsi parla Père Dupanloup. Ce qu'il a prédit doit advenir. Maintenant, le mage se réfugie dans un profond mutisme et je réfléchis au sens caché de ses propos. La jeune fille de l'oracle, c'est Virginie, un prénom prédestiné. Le crucifix dont il est question ne peut être que celui de la photographie où elle pose à peu près nue, objet du scandale.


    Il manque un troisième ingrédient: la gousse d'ail.... On dit que les exorcistes usent de ce végétal pour conjurer les vampires.

Epilogue: 

 Dans la cour d'honneur de l'hôtel de Montholon, on apprête le festin de pierre. En fait, une «  messe noire » qui va se dire à l'ombre portée de deux poutres disposées en croix. Au milieu du péristyle, des laquais en livrée s'affairent pour disposer la table: un cénotaphe où est gravé le nom d'Albine. Sur cette « fabrique », tombeau factice, repose un cercueil de verre, pour l'instant vide. Des pénitents bleus encagoulés marmonnent leurs funèbres litanies. La scène est éclairée par des « bras de lumière ». Les flambeaux sont tenus par des mains humaines, surgies de nulle part, des murs ou des colonnes, on ne sait d'où. Ces torches vivantes répandent sur les convives une lueur fuligineuse.

 Au menu figure l'aïgo sau, le plat des jours de Carême et du Vendredi Saint. Cette vielle recette des pêcheurs  de l'étang de l'Or est à base d'anguilles bouillies dans l'eau salée, avec des pommes de terre et de l'ail.

 Virginie s'avance vers l'autel, telle une prêtresse antique vêtue de voiles transparents. Elle tient une gousse d'ail à la main. Elle le broie avec un pilon dans le mortier où se prépare l'aïoli. Puis elle prononce une conjuration rituelle:

 - « Albine, regagne ton sépulcre! Geneviève, rends-moi ma couronne! »

 L'assistance retient son souffle, le silence s'établit. Minuit sonne. Onze coups s'égrènent. Tout le monde attend, mais en vain, le douzième qui ne se décide pas à venir. On sent qu'un événement exceptionnel est sur le point de se produire. Geneviève arrive à pas comptés. En robe de mousseline blanche, la présidente ressemble étrangement à son aïeule. Soudain, la capeline tombe. Cri d'horreur: la tête d'une momie apparaît sous un bonnet ruché. Le visage grimace, les membres se contorsionnent, les chairs se disloquent. Enfin s'ouvrent les mains aux doigts crochus crispées sur le diadème scintillant des misses. Albine abandonne cette parure à Virginie avant d'entrer dans le cercueil et de s'y allonger pour toujours. Maintenant, ce n'est plus qu'un cadavre rigide.

 Au loin, du mont Saint Baudile, parvient la voix caverneuse de Père Dupanloup. Un souffle de tramontane a porté jusque là l'ultime quatrain des « Centuries ». Cette épitaphe s'inscrit sur la tombe en lettres de feu sur le tombeau:

                                           Par une nuit sans lune, un fantôme sans os

A la vierge sans tache a rendu sa couronne.

Aux signes réunis de la Croix et des aulx,

Albine dort en paix. L'empereur lui pardonne.

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