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30 octobre 2008

L'étudiant et la vielle dame, par Nicole Artaud

Le voilà enfin à Oxford. Il sourit béatement en contemplant les vieux bâtiments en pierres. Il est si proche de la réalisation de son rêve : finir ses études par cette année dans l’une des plus prestigieuses universités du monde.

Il se secoue. Après les formalités administratives, le plus urgent est de trouver un logement. Il n’est pas trop inquiet car avec le nombre d’étudiants qui fréquentent l’université, il doit y avoir du choix dans ce domaine.

Ce qu’il voudrait, c’est une chambre chez l’habitant pour se fondre entièrement dans la vie anglaise et vivre au rythme britannique.

Dans le dossier d’accueil que lui a remis l’administration, il y a justement une liste de logeurs. Il va sélectionner en priorité les adresses qui correspondent, pense-t-il, à des cottages typiques avec leurs jardins si verts et abondamment fleuris.

Ses premiers essais sont infructueux, les chambres sont déjà louées. Pourtant certaines maisons lui plaisaient bien, mais il ne se décourage pas. Il faut s’éloigner de la périphérie immédiate de l’université ; il fera de la marche à pieds ou s’achètera un vélo (ne pas oublier de rouler à gauche !).

La prochaine adresse correspond exactement à ce qu’il cherche : une petite maison enfouie sous la verdure. Un chèvrefeuille grimpe le long du porche et embaume encore en cette fin d’été. Il n’y a pas de sonnette, mais une cloche dont on tire la chaîne avertit les habitants qu’un visiteur est là.

Un coin de rideau se soulève, et il aperçoit un œil qui le jauge avant que la porte ne s’ouvre.

Une vieille dame toute menue se tient sur le seuil. Elle a les yeux d’un bleu si clair qu’ils semblent de glace. Ses cheveux blancs sont ramenés sur sa nuque en un chignon serré entouré d’un ruban rouge vif. Elle est vêtue d’une jupe longue en velours noir et d’un corsage blanc en dentelle aux manches gigot, fermé au col par un camée. Des bottines à petits talons bobines complètent la tenue. On la croirait tout droit sortie d’une gravure du XIX ème siècle.

Pour lui, elle est l’image même de ces excentriques aristocrates anglais, dont les autres européens se moquent un peu tout en les enviant.

Il accepte avec plaisir de prendre le thé avec elle : ils doivent s’apprivoiser l’un, l’autre pour que la cohabitation soit possible, et il est curieux de savoir si sa façon de vivre est en harmonie avec l’image qu’elle donne.

Il pénètre à sa suite dans un salon vieillot, mais chaleureux. Le canapé est accueillant avec son tissu de chintz fleuri assorti aux rideaux. Un fauteuil club en cuir marron, quelques chaises cannées et des tables juponnées surchargées de photos et de bibelots complètent  l’ameublement.

Pendant que la vieille dame s’affaire dans la cuisine, il peut examiner la pièce plus en détail. Il se rend compte, alors, qu’il ne voit rien qui peut ressembler à une ampoule électrique. Des lampes à pétrole et des bougies sont disposées sur les guéridons, et un lustre avec des vraies bougies, et non des ampoules en forme de flamme, descend du plafond.

Il commence à être un peu inquiet : si cette maison n’a pas l’électricité, où va-t-il brancher son ordinateur et son rasoir électrique ?

Discrètement, il se rapproche de la cuisine pour y jeter un coup d’œil ; l’eau pour le thé est en train de bouillir sur une antique cuisinière à bois. Ses craintes se confirment. Il soupire, car il ne peut pas loger ici. C’est dommage, il aime bien l’atmosphère surannée qui se dégage de cette maison et de son étrange propriétaire. Il se rassoit, en ayant bien l’intention d’en profiter encore un peu.

La vieille dame revient portant un plateau lourdement chargé. Il veut l’aider, mais d’un sourire et d’un hochement de tête, elle décline l’offre et pose sans effort le plateau sur la table.

C’est un vrai « Five O’ Clock Tea » : un thé parfumé, des scones, des sablés, de la marmelade d‘orange, de la crème épaisse. Il prend son thé nature pour mieux en savourer tout l’arôme, tandis que la vieille dame « of course » l’agrémente d’un nuage de lait.

Ils bavardent de tout, de rien, des ses études… Le temps s’étire.

- Je vais vous montrer la chambre, je suis sûre qu’elle vous plaira. C’est au premier étage.

Il ne dit rien et la suit, dubitatif.

Au premier étage, se trouvent aussi sa chambre et sa salle de bain à elle. Les portes sont ouvertes, et il ne peut s’empêcher de regarder. Cela confirme ses craintes. Tout est aussi vieillot qu’au rez de chaussée. Il n’a même pas vu de robinets au dessus du grand baquet en bois qui sert de baignoire. Pas d’électricité, mais pas d’eau courante non plus ! Peut-on encore vivre ainsi ?

Puis la vieille dame s’arrête devant une porte, l’ouvre, s’efface pour qu’il puisse passer, et l’observe, les yeux pétillants de malice.

Il est prêt à dire que la chambre ne lui convient pas, mais se tait brusquement, la bouche et les yeux grand ouverts. La chambre est du dernier cri : des meubles contemporains, de belles matières, un bureau spacieux avec lampes et prises électriques. La salle de bain est à l’avenant : cabine de douche à jets hydro-massants et rampes lumineuses.

La vieille dame rie de voir sa réaction.

- J’étais sûre que cette chambre vous plairait ! Vous la prenez ?

- Oui, mais…

- Tss, tss, pas de questions indiscrètes s’il vous plaît. Je sais que les étudiants ont besoin de tout ce confort moderne, je le mets à leur disposition.

Il décide de ne plus se poser de questions et emménage avec enthousiasme.

La demeure est à une vingtaine de minutes de marche rapide de l’université. Un peu d’exercice lui fera la plus grand bien.

La cohabitation se révèle agréable. La vieille dame est souriante et attentionnée, mais toujours discrète. La chambre est un havre de paix où il se sent bien. Le calme et la verdure favorisent la concentration. De sa fenêtre, il voit le fouillis d’un jardin à l’anglaise, où des nichées d’oiseaux se répondent joyeusement.

Certains étudiants ont un sourire entendu lorsqu’il annonce son adresse, d’autres secouent la tête d’un air perplexe, mais il ne s’en inquiète pas. Tout se passe bien et il ne cherche pas à percer le secret de la vieille dame.

Puis une nuit il est tiré de son sommeil, par des bruits dans le couloir, des frôlements, des murmures, lui semble-t-il ; Mais il se rendort rapidement et le matin pense avoir rêvé. Ou peut-être que sa logeuse est somnambule ?

Cela se répète les nuits suivantes. Plongé dans un demi-sommeil, il a l’impression que quelqu’un essaie d’ouvrir sa porte. Il ne sait plus très bien ce qui est rêve et ce qui est réalité.

Il essaie de s’informer auprès des étudiants les plus anciens. Peine perdue, personne ne sait rien, ou plutôt ne veut rien dire, pense-t-il. La vieille dame aurait toujours suscité à la fois crainte et intérêt. Mais la chambre est toujours louée à des étudiants étrangers.

Les bruits continuant, il décide de mener son enquête.

Aussi discrètement que possible, il commence à examiner tous les recoins de la maison. Ce n’est pas facile car la vieille dame est toujours dans les parages.

Un jour enfin, il remarque une porte derrière un rideau qu’il a toujours pris pour de la décoration.

Mais cette fois le rideau est mal tiré. Il a une piste, il lui faut juste attendre le bon moment.

Quelques jours plus tard, la vieille dame l’informe qu’elle doit s’absenter tout l’après-midi, mais elle lui a préparé un plateau, il n’aura plus qu’à faire bouillir l’eau pour le thé.

Tout en la remerciant, il jubile intérieurement : voilà enfin l’occasion qu’il attendait.

Il n’ira pas en cours et aura ainsi plus de temps pour essayer d’ouvrir la porte qui en toute logique doit être verrouillée avec des serrures compliquées.

Mais à sa grande surprise, lorsqu’il tire le rideau, il constate qu’un simple verrou ferme la porte.

Tout ceci n’est-il pas trop facile ? Une porte qu’il voit, l’absence de la vieille dame, un simple verrou ! Que va-t-il trouver ? Il hésite, mais la curiosité l’emporte.

La porte tourne sans bruit sur des gonds bien huilés. Il se trouve sur le seuil d’une petite pièce. Une vague lueur provient de l’écran d’un ordinateur : des lignes de couleur s’enchevêtrent sur l’écran de sauvegarde.

Il y a donc une autre pièce que sa chambre qui possède l’électricité ! Il cherche un interrupteur le long du mur. Une lumière tamisée jaillit d’une lampe posée sur le bureau. Il constate que la pièce est très sobre comparée au reste de la maison : des murs ivoires nus et lisses, excepté un pan couvert d’étagères où les livres s’entassent, une plaque de verre sur deux tréteaux en acier sert de bureau. Une chaise confortable, une lampe et un ordinateur dernière génération complètent l’inventaire.

Ebahi, il s’avance, comme aimanté par l’écran. Il effleure la souris, un texte apparaît : « la curiosité est un vilain défaut ! »

De surprise, il fait un bond en arrière et se cogne contre l’étagère aux livres qui dégringolent en cascade.

Il se baisse pour les ramasser et regarde les titres et les auteurs pour essayer de les remettre en ordre. Il s’aperçoit alors qu’il n’y a qu’un seul nom : un auteur célèbre de romans policiers qui se passent au début du vingtième siècle. Il jette un coup d’œil aux quatrièmes de couverture où le sourire malicieux de sa logeuse lui saute aux yeux. Dire qu’il n’avait jamais fait le rapprochement !

Absorbé par sa découverte, il n’a pas entendu la vieille dame revenir.

- Enfin vous avez découvert mon secret, il faut dire que je vous ai un peu aidé, vous êtes si timide ! Mais vous m’avez bien inspirée pour ma dernière histoire.

- Moi ?

- Mais oui, vous. J’étudie le comportement et les réactions de mes locataires, et j’aime me replonger dans l’atmosphère surannée des années 1900 même si ensuite je rédige tout sur mon ordinateur, ce qui est beaucoup plus pratique. Vous en restez sans voix ? Une bonne tasse de thé vous remettra d’aplomb !

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Commentaires
V
Je relis une nouvelle fois cette histoire et elle me plaît toujours autant.J'aime toujours autant cette phrase :"De sa fenêtre, il voit le fouillis d’un jardin à l’anglaise, où des nichées d’oiseaux se répondent joyeusement"
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