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4 novembre 2008

Le vide sans contour, par Christine Jouhaud Mille

Le vide sans contours,

 

 

Ce matin au réveil je savais d’instinct que mes pas m’entraîneraient vers le connu ou l’inconnu, peu m’importait.

 

J’ouvris donc l’armoire, mon bol de café dans la main gauche. Tout en sirotant ce breuvage que j’appréciais brûlant j’extirpai de la main droite quelques vêtements, les jetant tour à tour sur le lit.

 

Enfin je retrouvai ma salopette en coton noir, défraîchie à force de lavages ; mon visage s’éclaira d’un demi sourire, sous entendu des pensées qui me traversaient tandis que je la regardais.

 

Puis je rajoutai un tee-shirt bleu, couleur du ciel que j’avais entraperçu par la fenêtre-vasistas percée au plus haut de la salle d’eau. Je l’identifiais à un œil, regard sur l’extérieur ; changeant de couleur selon l’heure ou le climat de la journée.

Pour finir, je dénichai une paire de sandales à lanières de cuir noir, tapie dans le fond de l’armoire.

 

Je savais, je l’avais décidé ; aujourd’hui tout serait exceptionnel. Je vis alors mon visage heureux dans la glace de ma chambre. Par réflexe ma main droite glissa dans mes cheveux. Ma main gauche posa le bol sur le guéridon et vint à son tour glisser avec la même rythmique.

 

Je souris à mon reflet dans la psyché moderne et me lançai un clin d’œil complice et amusé. Cette façon de s’habiller à l’arrache convenait parfaitement à mon humeur.

 

Enfin prête, je quittai mon nid d’aigle du vingtième étage. L’ascenseur m’avala.

 

Au rez-de-chaussée de l’immeuble, dans le hall d’entrée aux grandes dalles de marbre blanc, trois fillettes jouaient à la corde à sauter.

Elles me lancèrent des « Bonjour Madame ! » ponctués de gloussements.

 

Passant près d’elles tel un alizé, je leur soufflais à mon tour  « Bonjour les filles ! »

Mue par la pulsion du plaisir, par l’attrait d’une journée qui commençait, par la promesse de toutes les heures à venir et le soleil qui irradiait jusque dans le cœur, la tête…, je poussai avec entrain la porte vitrée.

 

Dehors, mes pas s’alanguirent sur les trottoirs, les rues et les quartiers que je traversais. Je n’étais pas aujourd’hui le petit soldat au garde-à-vous de son emploi du temps. J’étais Druide et fêtai le jour du printemps.

 

Par quel détour arrivai-je à la rue des tanneurs, je ne puis le définir, et je ne fus pas vraiment surprise  d’arpenter ce ruban bigarré de façades colorées à l’italienne ; passementerie qui se métamorphosait, vers son extrémité, en quai.

 

Il ne se parcourait que sur une courte distance, d’environ 300 mètres. Plus loin la ville avait caché et englouti la petite rivière en la couvrant de dalles de béton.
Barré par l'écran naturel des pâtés de maisons, le vrombissement des voitures me parvenait en sourdine.
Ce havre de paix, éloigné de la pollution, s'enflammait de senteurs. J'y décelais l'amertume venant de feuillages abondants et la douceur sucrée du miel, fragrance de fleurs écloses
.

 

 

 

 

J’avisai un banc de bois, je m’y délassai en m’étendant de tout mon long. Les yeux fermés j’écoutais la course de l’eau. Mon corps absorbait le microclimat.

 

Un mouvement sensible s’imposa, d’imperceptible il devint insistant, comme le flux et le reflux de la mer. J’avais le sentiment que l’eau s’infiltrait en moi, arrondissant mon ventre ; ce liquide tiède qui m’avait investi faisait tendre la toile de ma salopette.

Le soleil perçait le feuillage, il jouait à poser sur mon abdomen désormais arrondi comme un monde, des tâches de lumières transformant l’uni en tissu à pois.

 

Un sentiment de plénitude, une force cachée jaillirent du plus profond de mes entrailles, bouleversant la naissance d’un phénix ; merveilleuse image, alors même que mon ventre se consumait dans l’absence de son fruit.

 

Alors, mes perceptions s’exacerbèrent. J’entendais, avec une extraordinaire acuité, les spasmes lents et irréguliers de la roue. A chaque passage les godés s’enfonçaient comme des mains jointes, recueillant l’eau que la rivière contenait entre ses berges de pierre. Puis ils se vidaient,  cristallisant des notes résonantes et enveloppantes.

 

 

J’étais troublée, mon corps trembla. Lentement je soulevai mes paupières lourdes, qui restèrent mi-closes, ne laissant passer que l’éclat irisé de la lumière difractée par la barrière de mes cils. Je devinais le vide sans contours…

 

 Je me redressai avec lenteur pour ne pas effacer trop vite l’empreinte intime de ce que je venais de vivre. Puis je repartis en ayant le sentiment d’abandonner sur ce quai quelques minutes de moi-même ; sans regret pourtant.

 

Mes pas m’entraîneraient vers le connu ou l’inconnu, peu m’importait…

 


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