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11 décembre 2008

Sous une pluie d'étoiles

 Sous une pluie d'étoiles.

« Oh! mon Dieu! C'est plein d'étoiles! »

La porte s'ouvrit, puis se referma sur le néant.

L'espace se contractait sur lui-même.

D'impossibles étoiles brillaient au coeur obscur du puits.

Arthur B. Clarke: « 2001, l'Odyssée de l'espace ».

ICARE

 

Enfant, tu aimais le spectacle des étoiles filant dans la nuit.

 Quand venait le solstice d'été, tu t'installais, seul sur la grève déserte. La nuit s'obscurcissant, tu t'enroulais dans une couverture. Tu scrutais la voûte céleste. Tu guettais le passage d'éventuels  météores. Un éclair furtif surgissait. Puis un autre. Tu vivais des sensations chaotiques et contraires: impatience  de voir, peur de  ne rien voir, oppression du noir, angoisse existentielle. Tu attendais que le ciel se résorbe en une pluie d'étoiles filantes. Enfin, ton attente fut récompensée: les étoiles arrivèrent en nombre comme s'il en pleuvait. C'était le point d'orgue du concert. Le bouquet final du feu d'artifice.

 Bien des années plus tard, l'obscurité se fit pour toi sous un ciel factice. Un point lumineux, puis un autre plus petit, plus faible, plus lointain, paraissaient inopinément dans ton champ visuel. Tu devais réagir à la seconde, exprimer par un signal électronique que l'étoile était là. Lorsqu'elle n'était pas là, tu croyais l'avoir vue, ou tu faisais comme si. Tu te mis à tricher. Quand cette étoile, tu ne la vis plus du tout, tu finis même par mentir.

 A tes côtés, la Vierge sacrée (une opératrice en blouse blanche) pianotait sur un appareil de Science-fiction: « Hal », l'ordinateur fou. A l'écran, tes hésitations, tes erreurs, tes mensonges, se traduisaient en courbes, contre-courbes et diagrammes. Le résultat obtenu n'était pas cohérent. Tu persistais pourtant dans tes dénégations. La Vestale notait tout, n'y comprenait goutte et manifestait ainsi sa réprobation: « Ce n'est pas bon signe, Monsieur, votre champ n'est pas bien du tout! »

 Vint la sanction méritée. Lorsque l'homme au profil dur, au crâne dégarni qui se tenait face à toi, eut ton dossier en mains, il hocha la tête et prit son ton sévère de Maître de la Galaxie: « Aucun doute. Il faut opérer! »
La sentence du Grand Prêtre était sans appel.

 Le jour du solstice d'hiver, tu retrouvas, noyée dans un épais brouillard, la grève d'autrefois. Il y avait là toute une rangée de fauteuils sagement alignés comme on en voit sur  la plage, attendant leurs occupants en peignoir. Avant d'entrer, on te fit quitter tes habits de ville pour revêtir une tunique ridicule qui, s'arrêtant au genou, se fermait bizarrement par derrière. Tu te retrouvas démuni, moins que nu, dans cet uniforme indécent.

 Ce lieu glauque était un astre inhospitalier: l'astéroïde « Glaucome », antichambre de l'enfer. Fuyant les affrontements de la planète « Dune », où l'on se déchire pour conquérir l'Epice, tu cherchas refuge dans la salle de relaxation d'un improbable hammam. Mais il faisait trop froid pour qu'on pût se croire au bain turc. Ici, les murs étaient peints d'une couleur terne, indéfinissable; tu compris alors ce que signifiait, dans certain conte de ton enfance, l'expression « couleur de temps ».

 Une affiche, un instant, capta ton attention. C'était l'image engageante d'une station balnéaire en été. On y voyait des terriens bronzés, insouciants, en tenue décontractée, au visage heureux. Puis la vision se brouilla. Tout s'évanouit brusquement. La plage s'engloutit dans l'océan du songe. Le lieu de vacances disparut, les lointains s'estompèrent, les riches couleurs se fondirent dans le magma confus de la nuit la plus longue.

 Advint le matin. Le petit jour du dernier jour. La lugubre salle s'éclaira, du côté du levant. Un rayon de soleil darda, se faufila par la fenêtre. Hésita. Vint chatouiller le carrelage. Se joua sur ce cadran solaire improvisé, te donnant  une idée de l'heure en sa perspective irréelle.

 Car dans cet univers déshumanisé, ce monde sans pitié, tu n'avais nul repère. On t'avait ôté jusqu'à ta montre. Tu ne savais rien du temps qu'il fait, ni du temps qui passe, cette notion avait perdu pour toi toute importance. Tu avais oublié jusqu'à ton nom quand un plagiste extra-terrestre – ou plutôt: l'infirmier de service – appela le condamné suivant. Non, ce n'était pas ton tour, pas encore, mais celui de ton voisin le plus proche. Un grincement désagréable se fit entendre: le bruit d'un fauteuil roulant qu'on pousse à  l'abîme. Et puis plus rien. La pièce à nouveau se mura dans son silence.

« Ouvrez l'oeil, et le bon. Ne bougez pas! Ne clignez pas votre paupière. Ne battez pas des cils! Attention, n'ayez pas peur! Cela va piquer! »

    La voix « off » se fit péremptoire. Une main effleura ton chef, pour aussitôt s'en retirer. Une goutte de liquide tiède, urticant, brillante comme une perle de rosée, coula sur ton globe oculaire, y glissa sans demeurer. Tu compris que par ce simple geste, une imposition de mains, la prêtresse- infirmière venait d'ouvrir ton troisième oeil au milieu du front. Celui de l'esprit, qui perçoit l'univers invisible aux yeux du corps. Celui qu'on appelle  « tika » chez les Hindous.

Enfin, l'on vint te chercher. Sorti du vestibule, tu fus transféré dans le sanctuaire, le Saint des Saints. Les ministres de ce culte barbare t'étendirent, victime consentante, sur l'autel du sacrifice. Une bienfaisante piqûre au creux du bras te procura l'étourdissement tant attendu. Peu après, tu te sentis flotter dans le vide de l'inconscience et du demi-sommeil.

 Spationaute égaré, tu naviguais dans l'extrême-ailleurs.

 C'est alors que tu entrevis le le visage du Grand Prêtre, déformé par un rictus hideux.  Autour de toi, les voix étouffées d'extra-terrestres proféraient d'incompréhensibles incantations. Tu tressaillis, car tu sentais que leurs injonctions dénuées de sens te concernaient de près. Au dessus de ta tête, jaillit soudain la couronne lumineuse d'un spot iridescent. Telle une étoile inconnue, éblouissante.

 Immobile au point d'en oublier de respirer, tandis qu'on ôtait la prunelle de tes yeux, tu fixais ce maudit soleil de ton orbite énucléée. Combien de temps dura ton infernale apnée? Un siècle? à moins que ce ne fût quelques minutes.

 C'est alors que retentit dans le silence la voix caverneuse du Grand Prêtre - Chirurgien.

 « Tout s'est bien passé. L'implant est en bonne position. »

 C'était fini. La Vestale- Assistante plaça l'oeil opéré dans une coque que maintenait un bandage. Tu revins au grand jour. La lumière filtrait à travers le pansement comme par l'échancrure d'un rideau qu'on écarte. Quoique ne discernant aucun détail précis, tu vérifias avec soulagement que tu n'étais pas encore tout-à-fait aveugle. L'espoir te revint. Ce serait encore bon pour cette fois. Bientôt tu reverrais le monde avec des yeux neufs. Des yeux artificiels, qui ne seraient plus les tiens.

Illustration: « Icare » de Henri Matisse, gouache découpée, 1947, série « Jazz ».

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