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5 mai 2009

Une vie de chien, par J.C. Boyrie

Une vie de chien.

 

CARAMEL

 Ouah, ouah (bonjour) ! Moi, c'est Caramel. Je suis affublé de ce nom stupide à cause de mon pelage jaune pisseux, vaguement taché de brun.

 Tout le monde dit que je suis un bâtard. Un corniaud.

 Je suis né de la rue, du caniveau, petit dernier d'une chiée de chiots. A ma venue au monde, personne ne m'a trouvé beau.  Mon maître a voulu me noyer, comme il a fait de tous mes frères.

 J'en ai réchappé, dissimulé dans un pli de serviette, j'étais si petit, si menu, si nu !

 Chienne de vie ! Je n'avais rien fait pour mériter ça.

 Ma mère est une chienne de race pure. Une levrette. J'ai contre elle une dent canine. On l'appelle Cannelle parce que sa peau est sucrée. Du moins, c'est ce que disent ceux ( ils sont nombreux ) qui y ont goûté. Elle au moins, on lui trouve « du chien ». Son maître en est fou. Même qu'il a voulait pour elle un mariage dans les  règles. Il l'a présentée à de nombreux lévriers, du meilleur pedigree. En pure perte. Elle a dédaigneusement rejeté tous ses prétendants.

 En des temps forts lointains, levrette était symbole de fidélité. Celle qui me tient lieu de mère dément cette image. C'est une coureuse invétérée, connue pour ses ardeurs caniculaires. Elle n'aime que l'amour braque. C'est plus fort qu'elle.

 Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle s'emplit. A force de battre le trottoir, Cannelle s'est fait prendre en levrette, engrosser par un bichon. Je suis né de leur brève étreinte. Le croisement ne pouvait rien donner de bon, autant marier la carpe et le lapin ! Voilà pourquoi je ne ressemble à rien.

 Je suis un chien perdu sans collier, sans feu ni lieu. Ma liberté, c'est la rue. Pour survivre, je fais les poubelles. Alors qu'une faim canine me tenaille, je me contente d'un os à ronger.

 Sans compter les pâtées que je prends. L'un me flanque un pain, l'autre une châtaigne. Tout cela ne nourrit pas son chien. Je n'ai pas la pêche.

 L'autre jour, j'ai connu l'asile de nuit, lieu de passage, plate-forme de transit. Le dernier refuge des animaux errants, sans domicile fixe. Des inconnus m'ont embarqué, fourré sans ménagement dans un fourgon. Je me suis retrouvé au chenil de la S.P. A. Traduisez « sans pitié pour les animaux ». Ceux qui échouent dans ce séjour sont des condamnés. Au mieux à vivre captifs dans la promiscuité, s'ils y restent. Condamnés à mort dans le pire cas, du fait que les amis des bêtes ne peuvent les garder longtemps, n'ayant pas de sous pour les entretenir.

 Tout de suite, j'ai droit au vaccin : ça pique. Au tatouage à l'oreille : ça brûle. A l'écuelle de viande d'équarrissage : ça requinque. Au moins, je n'aurai plus l'air d'un chien battu.

 On m'amène de force au marché : la foire aux animaux de compagnie, c'est ma dernière chance. Deux, trois, cinq fois, je suis présenté comme une bête curieuse. Au bout de quelques jours, si personne ne veut de moi, je serai bon pour l'euthanasie. Un joli mot pour dire qu'on va m'estourbir. Je sens déjà planer sur moi l'ombre de la seringue.

 Au dernier moment, quand approche l'heure fatale, miracle ! Quelqu'un m'achète. C'est une mère à chiens. Une dame qui vit seule. A besoin d'animaux autour d'elle pour lui tenir compagnie. Je ferais bien son affaire, mais elle renâcle au prix. Tiens ! Je vaux donc quelque chose ?

 Âpre marchandage. Un suspense insoutenable. Quand je vois la dame tirer les gros billets de son sac, je capte enfin que c'est gagné. Waouh ! Je suis parti pour un nouveau bail avec la vie.

 Enfin ! Je suis tombé sur quelqu'un qui ne me traite pas comme un chien. Ma nouvelle maîtresse me cajole, me lustre, ma bichonne. Noblesse oblige : ne suis-je pas fils de bichon ? Elle me nourrit au Canigou, le caviar des mets pour la gent canine.

 Dès que j'aperçois ma bienfaitrice, je frétille de la queue, jappe affectueusement. Je la suis partout où elle va, lui saute au cou, lèche ses escarpins.

 A force de manifestations d'affection, je dois même en faire un peu trop... Voici qu'elle me trouve à présent chien fou, jeune chien. Elle me dit que je suis trop remuant, que je m'agite à tort et à travers...  je vais finir par la renverser. Décidément, les humains ne savent pas ce qu'il veulent.

 Du coup, me voilà bon pour le dressage. Vous rendez-vous compte ? Elle veut me faire dresser, moi qui n'ai jamais connu la discipline, qui n'en ai jamais fait qu'à ma tête. Elle rêve.

 Non, c'est un cauchemar. J'apprends tout d'abord à répondre à l'appel de  mon  nom : Caramel. Passe encore, ça c'est simple. Ensuite, il faut que je me tienne coi à l'énoncé du mot « Tranquille ! »

 Que je m'allonge illico quand le dresseur dit : « Couché ! ». Puis que je me redresse et fasse le beau  quand il me tend un su-sucre. Bêtifiant ! Nous n'en sommes pourtant qu'au B -A -BA.

 Dans un second temps, cet homme infernal lance au loin quelque chose qui ressemble à un os. Mais qui ne se mange pas, c'est du plastique. Il me crie « Rapporte ! »  et je dois m'exécuter. Me prend-il pour un larbin ? Je ne suis pas son chien.

 Troisième niveau : mes progrès étant plus rapides que prévu, j'accède à la phase « perfectionnement ». On m'apprend à ramener entre mes dents toutes sortes de choses : le courrier de ma maîtresse, son quotidien favori, même en saisissant proprement le pain dans sa pochette, une baguette de boulanger. Madame est trop bonne ! Me voici qui tourne à l'animal savant.

 Je m'acquitte à la perfection de tout ce qu'on me demande, j'en suis fier et commence à faire du zèle. Tenez ! C'est aujourd'hui l'anniversaire de ma maîtresse. Ce serait impoli de lui demander lequel, une chance que je ne sache pas parler. Malgré son âge, j'observe qu'il lui reste quelques dents. Je ne vais tout de même pas lui laisser manger son pain sec un jour de fête. Pour varier l'ordinaire, je vais lui faire une surprise. Lui rapporter un steack bien saignant.

 A son expression, au cri d'horreur qu'elle pousse, je comprends que j'ai dû mal agir. Je m'en mords les babines, mais il est trop tard. Elle me traite de cani-bale. Je sais qu'une grave punition m'attend pour avoir prélevé le mollet du facteur.

 A nouveau le chenil ? Ou bien, la maison de correction ? Non ! Destination : la clinique vétérinaire.

 Ce lieu ne me dit rien qui vaille. Ma maîtresse s'entretient à voix basse avec un personnage en blouse blanche. Je dresse l'oreille. Redoute d'entendre le mot cruel : « euthanasie ».

 Mais il n'en est rien. C'est d'une « opération » qu'il est question. J'ai oublié d'être idiot : je comprends qu'on va m'ôter un organe essentiel. Je deviendrai ( paraît-il ) doux comme un agneau... moyennant, hélas, la perte de ma clébardité !

 Je ne supporte pas cette idée. Pendant que ma maîtresse et le docteur sont encore à discuter, je profite de ce que la porte de la clinique est ouverte pour m'esbigner. Personne ne m'a vu sortir, me voici à nouveau dans la rue, et pour longtemps. Tous comptes faits, je préfère cette vie de chien.

 Mon histoire est simple, exemplaire. Nino Ferrer en a tiré cette chanson pour la postérité :

 « Z'avez pas vu Caramel ? Oh la la...  oh la la ! Où est passé ce chien ?  je le cherche partout. Sacré Caramel, il va me rendre fou ! Oh, ça y est je le vois.  Mmmm, sale bête, va !  Veux-tu venir ici ? Oh, il est reparti ! »

 

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Commentaires
V
Texte très drôle et amusant sur les jeux de mots. Bravo !
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M
de la part d'Antoine et Nino...<br /> <br /> s'il te plait des guillemets pour" je l'appelle<br /> Canelle parceque sa peau est sucrée!"<br /> <br /> Nino s'est retourné sous terre car :<br /> Z'avez pas vu MIRZA", Caramel ,un pied<br /> de trop! ça boite! amicalement michelle
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