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5 mai 2009

La poule aux yeux d'or, par J.C. Boyrie

La poule aux yeux d'or.

 

   " Ses yeux sont toujours aussi noirs... d'un noir si intense qu'il en paraissent d'or "

( Malika dans "Mouvement des corps" )

[ Voici pour conclure le "cycle du Gitan" un quatrième et dernier épisode. Après les trois autres personnages de cette histoire - dont la guitare - c'est au tour de Carmen Escudier, l'Inspecteur de police devenue entre temps Commissaire principal, de s'exprimer ].

La dernière fois que j'ai rencontré Lluis, c''était pour la mission d'inspection qui a suivi la prise d'otages au Centre Commercial. J'aurais préféré revoir mon ancien chef en des circonstances moins éprouvantes. Pourtant, croyez-moi, j'assume pleinement le rôle que j'ai joué dans cette affaire. Inutile de tout vous raconter. Au sens propre comme au figuré, la fusillade a fait « du bruit dans Landernau », je devrais dire à Clapas-sur-Lez.

Tout le monde ici connaît la Galerie des Marques. Chacun se souvient des bisbilles entre élus qui ont précédé son implantation. Tout(e) Clapassien(nne)  digne de ce nom se doit de l'avoir parcourue en long, en large et en travers pour chercher la « bonne affaire ». Entendez les fringues dégriffées ou prétendues telles.

Laissons de côté ces futilités. Les évènements dont je parle ne relèvent pas de la rubrique « faits divers ». Ils ont fait un mort (le terroriste abattu par la B.L.I.N.G.) et trois blessés parmi les clients de la Galerie, dont un grave.

Tous trois victimes de « balles perdues » dont on ne sait pas bien qui, des gendarmes ou des terroristes, les a tirées. Sale affaire !

Croyez bien que ce n'est pas ce ramdam qui me tracasse le plus. L'expertise balistique en cours permettra forcément d'y voir plus clair. Seulement, la balistique n'est pas tout  : elle n'empêche pas que des rumeurs de tous ordres m'éclaboussent. D'où cette enquête actuellement menée par l'I.G.P.N., la Police des polices, qui peut mener loin.

Elle porte sur le contexte de la prise d'otages et l'opportunité du recours à la la B.L.I.N.G.

C'est pour ce motif que l'Inspecteur Général Lluis Llobet vient de se rendre à Clapas-sur-Lez, investi de pouvoirs d'investigation spéciaux. Tout le monde a capté qu'il s'agit essentiellement d'une mission politique.  « En haut lieu », on compte sur lui pour désamorcer la bombe, éteindre le brûlot.

Car le drame qui vient de se dérouler a fait la « une » des journaux, la France entière s'en est émue. Les polémiques vont bon train, l'opinion cherche un bouc-émissaire. Alors pourquoi pas moi, faible femme, égérie de la Cellule de crise, considérée comme à l'origine de l'intervention « musclée » de la Brigade ? Non, rien de rien, je ne regrette rien, je n'ai rien à me reprocher, est-ce ma faute si l'assaut final a mal tourné ? Je m'expliquerai de tout cela le moment venu.
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Autant vous l'avouer : mon coeur battait la chamade lorsque Lluis a poussé la porte de mon bureau du Commissariat Central. Ce n'est pas que je redoute l'interrogatoire en règles qu'il envisage de m'infliger. Non, simplement, je suis émue. Aujourd'hui, j'atteins, avec le mitan de la vie, le faîte de ma carrière. Et pourtant moi, Carmen Escudier, quarante cinq balais, Commissaire principal en charge d'un service important, bientôt à l'échelle-lettre, me surprends encore à réagir comme une adolescente. On ne se refait pas.

Voyez-vous, il y a vingt ans, dans mon premier poste, à Castell Rossello, Lluis Llobet est quelqu'un qui a beaucoup compté pour moi. Non parce que c'était mon patron de l'époque, mais parce que.... Zut ! Juste parce que c'était lui. Lorsqu'il arrive ( Dieu, c'est si rare... ) que nos pas se croisent encore, je le regarde, non pas avec les yeux d'autrefois, mais pour ce qu'il est devenu : un homme aux tempes grisonnantes, à la calvitie naissante, plutôt voûté. Un vieux flic, en somme. Rien à voir avec le fier-à-bras des années quatre-vingt.

Si Lluis a définitivement cessé de rouler les mécaniques, il n'en est tout de même pas encore à sucrer les fraises. Tout bien considéré, je le préfère comme il est aujourd'hui.

Moins d'abattage, plus de professionnalisme, égalent : que du bonheur !

Le fin limier qu'il est conserve son regard perspicace et malicieux. L'homme se devine sous la carapace du fonctionnaire. Son formalisme apparent masque une grande sensibilité.

En ce moment, je cherche une épaule pour m'appuyer. La sienne. Pas celle du premier matamore venu. Ce n'est pas non plus d'un gourou dont j'ai besoin. Moins encore d'une étoile filante.

Et lui ? me dis-je. Comment me voit-il, à présent ? Me voici devenue quadra-, bientôt quinquagénaire. Je crains qu'il ne me refuse le droit de vieillir. Et même celui d'évoluer. Qu'il s'accroche à des souvenirs usés, périmés. A cette image absurdement décalée de la Carmen d'il y a vingt ans, éternellement jeune, inusablement belle. Trop belle pour être authentique.

Sa représentation mentale méconnaît de toute évidence ma réalité d'aujourd'hui.

Au fond, je me trouve plutôt con. J'envie Lluis de se sentir bien dans sa peau. A lui, tout  va comme un gant : la presque soixantaine, ce rôle d'ami fidèle et sûr. Sa vie de météore qui périodiquement le ramène à moi. Je calcule que son occurrence de retour  est mitoyenne entre le battement du métronome et la révolution de la Comète de Halley.  A l'occasion de chaque passage, la comète m'embrasse sur les deux joues. Là, changement de scénario. Le grand frère me serre fort dans ses bras.

[ Arrête un peu tes simagrées, Boss, tu n'es pas ici pour mes obsèques !  Mais enfin, qu'est-ce qui te prend ? Le regret subit de n'avoir pas su me voir – ou m'aimer ? La nostalgie de notre rencontre manquée ? Non, ce serait trop beau, ça ne te ressemble pas, je rêve. Crois-tu que tu vas découvrir des éléments compromettants sur mon compte ? Tu n'as rien à craindre de ce côté-là ! ]

L'essentiel est qu'il m'embrasse. J'aurais préféré bien sûr qu'il me roule une pelle. Même comme ça,  je fonds carrément. Je trouve à son étreinte le goût des émotions oubliées. Comme enfouies au fond de moi-même.

Heureusement, cet homme habituellement prolixe a la bonne idée de ne rien dire. Mieux vaut se taire en un moment pareil. Les mots n'auraient pas de sens.

Un ange passe. La minute de silence achevée, mon interlocuteur toussote pour s'éclaircir la voix.

« Ce n'est pas tout ça... fait-il.

[ Tout ça pour ça ! Comme si m'embrasser n'était rien ! Lluis poursuit d'un ton plus officiel : ]

Carmen, je suis venu m'entretenir avec toi de la fusillade de la Galerie.

[ Qu'est-ce que tu crois que je m'imagine ? Qu'on est là pour taper le carton ? Bien sûr que je le 

sais, pourquoi tu viens : c'est pour me tirer les vers du nez ! J'esquisse un geste évasif  : ]
  - On en parle tant que tu veux, Lluis, fais-je d'un ton las. Tu sais déjà tout sur cette affaire. Tourne et retourne les faits dans tous les sens, tu ne les changeras pas, ils sont têtus !
  - Calme-toi ! Je ne suis pas le Grand Inquisiteur et tu n'es pas en position d'accusée, Carmen ! Maintenant, dis-moi : lorsque tu as fait demander par ton préfet l'intervention de la B.L.I.N.G., tu avais, j'espère, pesé le pour et le contre...
.

[ Voilà une insinuation franchement injurieuse pour moi,  je bondis ]
  - Non ! protesté-je. Je m'attendais au pire, gros malin ! Sérieusement, Lluis, crois-tu que j'aie eu ce jour-là d'autres priorités que la vie des otages ? Tu t'y serais pris comment, toi ?
  - Il me semble que j'aurais tenté de négocier avec le commando. Feint de céder à ses exigences.
  - Facile à dire après coup !
  - Les contacts permettent d'évaluer l'état psychologique des preneurs d'otages... En même temps, ils détournent leur attention.
  - On dirait que tu récites par coeur un extrait du manuel antiterroriste ! Monsieur le bon élève, tu n'oublies qu'un détail et non le moindre : la consigne de fermeté donnée par le ministre. Je n'ai fait que l'appliquer. Enfin, cela prouve une fois de plus que lorsque les choses tournent mal, l'autorité supérieure se défile, donc c'est le fonctionnaire de service qui trinque. Vrai ou faux ?
  - Ce n'est que trop vrai, Carmen. Mais ne monte pas sur tes grands chevaux. Reste zen. Reprenons méthodiquement le film des évènements. Que se passe-t-il sur site après que les forces de l'ordre ont procédé aux sommations d'usage ?
  - Les tireurs d'élite font feu. Pan pan ! Ce sont des gens censés connaître leur boulot, non ?
  - En principe, leur mission consiste à réduire les terroristes à l'impuissance.
Pas à les buter,        autant que possible... Pour ça, viser les bras et les jambes... Quant à ces fameuses  « bavures »...
  - Lluis, tu pratiques toujours la langue de bois ! Tu dis tout ça, tranquillement installé dans ton fauteuil ! Sur le moment, j'aurais voulu t'y voir ! Bon, je te prends au mot. Viens avec moi sur les lieux. Tu situeras mieux la scène du drame et ses acteurs. Ensuite, tu jugeras.

Lluis accepte et me chine un peu :
  - Commissaire principal Escudier, je crains que tu ne sois encore à me donner des ordres. Comme autrefois dans l'affaire du Gitan, tu te souviens ?
  - Nuance, monsieur l'Inspecteur Général : à Castell Rossello, je t'avais seulement
proposé de m'accompagner. Et tu avais gentiment accepté.
  - Tu as toujours raison, Carmen, on ne peut rien contre toi !

Ce disant, Lluis pose doucement sa main sur la mienne.

[ J'adore cette façon qu'il a de me dire :« Va, je ne te hais point ! » ]
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Ma 908 de fonctions ronronne devant la porte de l'Hôtel de Police, prête à démarrer. Je m'installe au volant. Lluis prend place à mon côté. Rien que pour le faire enrager, j'observe que mon carrosse de Cendrillon en uniforme est autrement fastueux ( plus neuf, plus rutilant, plus tout ) que sa vieille casserole minable de Castell Rossello. Preuve éclatante de l'importance qui s'attache à  mes fonctions d'aujourd'hui. Bien sûr, il prend la mouche, relève le gant.

« Mais non, fait-il, le bling bling du véhicule auquel tu as droit n'a rien à voir avec ta fulgurante ascension. Si ce modèle est tape-à-l'oeil, c'est que le constructeur a élargi sa gamme, voilà tout.
  - En tous cas, rétorqué-je, ma conduite est plus cool que la tienne. Te rappelles-tu comme tu t'énervais au volant dans les embouteillages parce que c'était l'heure de sortie des bureaux ?
  - Je dois avoir une mauvaise mémoire Carmen. Aussi mauvaise que l'excuse dont je me prévaux : Ce soir-là, j'avais très envie de t'embrasser.
[ Ce mot lâché me fait rougir de honte... ]
  - Tiens donc ! Que ne l'as-tu fait, grand nigaud ?
  - Parce que j'étais ton chef. Parce qu'il me fallait garder les distances avec toi.
  - Allons, Lluis... Tu craignais surtout que je ne me laisse pas faire. Rien d'original à cela. Les hommes n'aiment pas qu'une femme résiste à leurs avances.
  - Crois-tu, Carmen, que les choses auraient tourné différemment si... euh ... enfin si je t'avais embrassée pour de bon ce soir-là ?
  - Honnêtement, je ne crois pas... enfin, je n'en sais rien.

[ J'interromps cette conversation qui ne mène à rien. Si je la transcris ici, c'est pour que nul ne croie plus jamais qu'un fic et une fliquette, lorsqu'ils sont seuls ensemble en voiture, n'échangent que des propos professionnels. ]

Donc, point final sur cette question. Nous voici parvenus à l'esplanade du Centre commercial. Un emplacement réservé ( selon l'expression consacrée ) aux seuls ayant-droit.

« Eh bien, Lluis, nous voici à pied d'oeuvre, fais-je. Regarde à présent vers l'escalator. Imagine le commando terroriste massé en haut de l'escalier roulant, les gendarmes de la B.L.I.N.G. faisant irruption par l'accès inférieur ( là où nous nous trouvons ). Représente-toi les clients pris otage coincés sur les marches, sans pouvoir avancer ni reculer. Que dis-tu de la situation ?
  - Je dis qu'il faut l'analyser lucidement en prenant les problèmes par ordre d'importance. Primo, l'escalator est-il à la norme ?

Je sursaute, désarçonnée par cet interrogatoire. Je trouve la question carrément incongrue.
  - Franchement, aucune idée. Je n'ai pas eu le temps de vérifier sa conformité. Vingt mille personnes passent là chaque jour. Si l'escalator n'était pas  à la norme, ça se saurait.
   - As-tu vérifié l'identité des membres du commando ?
- Pas facile d'identifier des terroristes cagoulés et armés. Je savais seulement qu'ils venaient du Bachi-Bouzoukistan...
  - Waouh ! Le pire état-voyou sur l'axe du Mal ( selon Bush ). Truffé de camps d'entraînement pour islamistes purs et durs!
T'es-tu au moins renseignée sur leurs exigences ?
  - A ce que j'ai compris, ils voulaient chasser tous les vendeurs-hommes des magasins de lingerie féminine.
  - Je ne vois pas bien le problème.
  - Parce que tu ne connais pas les femmes musulmanes et leur goût effréné pour les dessous chic.
  - Mais elles sont voilées, ces mousmées, enfin pour la plupart...
  - Justement. Leurs maris veulent être seuls à savoir ce qu'elles portent. Ils ne supportent pas l'idée que leurs sous-vêtements passent entre les mains du personnel masculin de la Galerie.
  - En ce cas, pour épargner la vie d'otages innocents, il fallait annoncer sur le champ que les boutiques de lingerie ne recruteraient plus que des femmes.
  - Tu n'y es pas, Lluis ! Une telle discrimination serait contraire au Code du Travail. Et puis que pouvais-je faire là, tout de suite ? Pour calmer la folie meurtrière des Bachi-Bouzouks, on n'allait tout de même pas licencier sur le champ tout les vendeurs !
  - Il y avait peut-être une autre solution, qui eût satisfait les islamistes...
  - Je ne vois pas laquelle.
  - Eh bien, proposer que leurs odalisques, au lieu de fréquenter la Galerie, restent confinées au harem, que leurs maris ou compagnons fassent les courses à leur place.
  - Objection ! Dans ce sens, tu ne fais qu'inverser le problème et même l'aggraver. Lesdits époux se trouvant alors en contact direct avec de jeunes et jolies vendeuses dévoilées,
[ je n'ai pas dit : dévoyées ] seraient exposés à de multiples tentations.
  - Laisse les vendeuses où elles sont. Inutile de les chasser. Je suis persuadé que les islamistes se feront une raison, même les plus enragés sauront tirer parti de la situation.

A ce point d'absurdité de notre raisonnement, nous avons du mal à garder notre sérieux. J'éclate de rire. Sans oublier pour autant que Lluis est investi d'une mission très officielle à mon sujet :

« Puisque tu as réponse à tout, Monsieur l'Inspecteur Général, puis-je te demander comment tu comptes conclure ton rapport ?
  - Je te trouve bien curieuse, Carmen. Eh bien, si tu veux le savoir,  je compte écrire ceci :
« Nonobstant les circonstances tragiques et un contexte émotionnel difficile à supporter, le Commissaire Principal Carmen Escudier n'a pas failli à sa tâche et a su garder tout son sang-froid. Subséquemment, c'est à juste raison qu'elle a demandé l'intervention de la B.L.I.N.G., unité réputée la mieux entraînée à la maîtrise de la violence et au tir en milieu clos. On ne peut donc faire grief à la susdite de dommages collatéraux parmi les otages. Etant bien entendu que le sigle même de B.L.I.N.G. ( Brigade légère d'intervention non garantie ) sous-entend que  cette structure a l'obligation de moyens mais non de résultats. »

[ Ah, qu'en termes galants... Vraiment, le charabia de mon ancien chef me dépasse un peu. D'ailleurs, je ne pratique pas le langage institutionnel. Je comprends juste que Lluis n'a pas l'intention de me dézinguer, c'est l'essentiel. ]
  -
Trop heureuse que tu ne cherches pas à  m'éreinter. Scellons notre réconciliation devant le verre de l'amitié !
  -
Mais nous n'avons jamais été fâchés, Carmen !

[ Décidément, cet homme est désarmant de candeur ! Je reprends : ]
  - Raison de plus pour boire quelque quelque chose  ensemble. Il y a une « station uvale », comme on dit, au rez-de-chaussée. Tu n'y consommes que des fruits pressés devant toi. Je t'offre un
« smoothie jus plus » ou quelque chose d'approchant.
  - Eh bien, si c'est ta tournée, va pour le cocktail sans alcool ! fait-il avec une pointe de regret dans la voix. Au moins, les islamistes ne trouveront rien à redire.
  - Eux non, soupiré-je. Mais il reste encore pour tout casser les activistes du Comité régional d'action viticole. Le lobby des vignerons n'apprécie guère les jus de fruits.
  - On ne peut pas plaire à tout le monde, Carmen. Et puis, s'il n'y avait plus de casseurs, notre Société n'aurait plus besoins de ses flics.
  - Si tel était le cas, mais j'en doute, je chercherais volontiers  du travail ailleurs.

[ Que des lieux communs ! Je constate avec dépit que notre entretien tourne à la discussion de Café du Commerce, autant parler de la pluie et du beau temps. Dommage. Nous avions tant de choses à nous dire et si peu de temps pour le faire. Alors, je risque le tout pour le tout :]
  - Lluis, je vais te faire un aveu. Je voudrais de tout coeur que nous revenions  tous les deux par la pensée au bord de la Fosseille, un soir de février 1989 où nous enquêtions sur la mort du Gitan.
  - Il m'arrive aussi de songer, Carmen, à cet instant magique que nous n'avons pas su fixer. Depuis, le temps a passé. Mais hélas, la Grande Roue ne tourne que dans un sens.
Revenir vingt ans plus tôt, repartir à zéro, comme si rien n'était, cela se voit dans les fictions.
  - La vie réelle aussi peut nous faire de
s cadeaux. C'est rare, bien sûr, mais ça arrive. Sachons d'autant mieux saisir l'opportunité qui se présente pour en faire une seconde chance.
Lluis... si cela se pouvait, ce serait merveilleux.

[ Mon interlocuteur  me gratifie d'un beau sourire énigmatique. Cela veut dire, soit qu'il a tout compris, soit qu'il n'a rien compris. Je poursuis,  feignant de croire ce qui m'arrange... ]
  - Au fait, je ne te l'avais pas dit, j'ai revu récemment Malika, l'ancienne prostituée marocaine. Elle est devenue depuis lors assistante sociale. Cela signifie que rien n'est écrit. Que celui ou celle qui le veut peut infléchir son destin.

[ J'espérais, par cette diversion, conduire Lluis à faire un parallèle avec notre cas personnel. Il n'en est rien. Mon interlocuteur, loin de saisir la balle au bond, revient à l'affaire « Manouche ». ]
  - Ah oui, Malika ? Elle nous a bien eus, cette petite !
  - Certes, à la lecture de sa déposition, n'importe quel crétin  pouvait deviner qu'elle nous menait en bateau. Rien ne concordait, son histoire était cousue de fil blanc.
  - Il y a tout de même eu un rapport médical...
  - Parlons-en ! Le médecin concluait qu'elle aurait pu se faire elle-même les traces de coups qu'elle portait sur le corps !
  - Ce n'était donc qu'une affabulatrice...
  - Pas si sûr. C'est pour en avoir le coeur net que je t'ai proposé de poursuivre l'enquête à Sant Jaume. Puis sur les lieux du crime, au bord de la Fosseille...
  - ... Où nous avons trouvé la guitare de Manouche accrochée aux branches d'un arbre.
  - Avec cet instrument auquel il manquait une corde, je t'ai joué
« Mélodie au crépuscule ».
  - J'ai  bien vu qu'il manquait une corde, mais je n'ai pas attaché grande importance à ce détail.
  - Tu n'as pas remarqué que la corde manquante traînait dans l'herbe à deux pas de toi. A l'endroit précis où Manouche a été assassiné. Où son cadavre a été jeté à la rivière. Puis repêché.
  - Cela ne donne pas le fin mot de l'affaire.
  - La clé de l'énigme, tu me l'as fournie toi-même sans le savoir, en évoquant l'histoire du Calife et de sa Favorite. Rappelle-toi : Zahra chante une romance en s'accompagnant sur son luth, avant d'étrangler son Seigneur et Maître. Avec une corde de l'oud.
  - Eh bien ?...
  - La « corde qui tue » est l'arme du crime. Manouche est mort de la même manière.
  - Ce qu'a confirmé par la suite le rapport d'autopsie ! Mes compliments, Mrs. Holmes !
  - Elémentaire, mon cher Watson !
  - Une fois à la retraite, j'envisage d'écrire un bon polar, un livre dont tu serais l'héroïne. Ce roman pourrait s'intituler  :
« La poule aux yeux d'or ».
  - Si c'est de moi qu'il s'agit, permets-moi de te dire que je trouve le jeu de mots très moyen ! Va pour « les yeux d'or », c'est plutôt flatteur, d'ailleurs on me l'a déjà dit. Mais « poule », non, je n'accepte pas ! C'est malme connaître. Je n'ai rien d'une géline.
  - Excuse-moi, Carmen.  A l'approche de Pâques, je trouvais cette image d'actualité. Je ne pensais pas te vexer.
  - Tu ne me vexes pas, crâne d'oeuf ! Tu me déçois, c'est pire ! Je pourrais te sonner des cloches pour tenue de propos machistes. Heureusement pour toi, les cloches sont parties à Rome. D'ici qu'elles reviennent, tu as encore le temps de t'amender. De changer ton regard sur les femmes
[ en particulier sur moi... ]. De changer la femme-objet en femme-sujet.
Aie les yeux en face des trous, Lluis. Comprends surtout, Monsieur l'homme de ma vie, que si l'oeuf fait la poule, c'est d'abord la poule qui a fait l'oeuf....

[ Avec ces points de suspension s'achève "Le cyle du Gitan". La fin d'un rêve est forcément frustrante, ainsi vont les choses de la vie  : Carmen et Lluis prendront-ils conscience que leur histoire d'amour, la seule, la vraie, est celle qu'ils n'écriront jamais ? ]

POUSSIN

 

 

 

 

 

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