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27 mai 2009

Voici venir l'orage.... par J.C. Boyrie

Voici venir l'orage....

ou : « Comment Plumedor a sauvé sa tête de la guillotine ».


 Paris, place de la Révolution ( ci-devant place Royale ), ce 7 Prairial de l'an III de la République -

Le nom de ce mois symbolise « la fécondité des récoltes des prairies ». Une aire octogonale : au milieu se trouvait la statue équestre de Louis XV. Le roi de bronze, accoutré à la romaine et couronné de lauriers, a paradé là quarante ans. Jusqu'à ce que les patriotes mettent à bas ce symbole de la monarchie. Face à l'hôtel de Crillon, les « bois de justice » ont été dressés. Entendez : la guillotine. Pas très loin de l'échafaud, sous les marronniers de la promenade des Champs Elysées, se trouve un théâtre de marionnettes. Le public, composé de jeunes et de moins jeunes, passe - apparemment sans  gêne aucune - de l'une à l'autre installation, de la machine à donner la mort aux tréteaux faits pour l'agrément de la vie.

 Musique de scène :

 « Voici venir l'orage, je vois l'éclair qui luit,
J'entends sur le feuillage l'eau qui tombe à grand bruit. »

 Orage sur le jardin des Tuileries... simple coup de tonnerre ? Ou bien la Révolution qui gronde ? Le bruit sourd qu'on entend, c'est celui de la charrette des condamnés qui s'avance. Une remorque pleine à craquer de gens qui vont mourir.

 Grincement d'essieux. Le lourd convoi cahote sur les pavés inégaux.

 Rrrrroulements de tambour. Décidément, l'Accusateur public en fa ait un peu trop. Si ce n'est pas du zèle, cela y ressemble.... N'en jetez plus, monsieur Fouquier-Tinville ! Le Tribunal révolutionnaire ne chôme pas, il frôle même la surcharge. Ici, tout le monde est logé à la même enseigne. Les têtes n'ont pas fini de rouler. Le bourreau se prépare à raccourcir pêle-mêle et dans le désordre : un petit marquis, sa belle maîtresse, un prêtre réfractaire, un financier véreux et deux poètes surannés.

 L'un s'appelle André Chénier. L'autre a nom : Fabre d'Eglantine.  Il pleut, il pleut,  bergère.

 Au suivant de ces messieurs !

 « Approchez, citoyennes et citoyens, le spectacle va commencer ! »

 Le montreur de marionnettes, juché sur son estrade, présente au public avec sa verve habituelle une attraction inédite. On se presse autour de la curiosité du jour. Sa nouvelle recrue est un poète en miniature. Des poètes, est-ce qu'on n'en a pas assez vu pour aujourd'hui ? Oui, mais celui-ci n'a rien à voir avec les deux qu'on décapite. Sa tête n'est pas destinée au billot, elle demeure solide sur ses épaules. D'autant que notre héros n'est pas un personnage ordinaire. C'est un automate. Il s'appelle Plumedor. Il a l'allure d'un tout jeune homme, presque un enfant. L'écrivain miniature porte un habit de velours écarlate et des chausses de satin broché. On le croit sorti d'une autre époque, tant l'image qu'il donne est désuète. Les traits de cet enfant qui ne grandira jamais évoquent, en plus juvéniles,  ceux de son père : l'horloger de Neuchâtel. Pierre Jaquet Droz, qui l'a mis au monde un demi-siècle auparavant par le miracle de la mécanique, est mort et enterré depuis belle lurette ! Tout comme Monsieur Rameau, le talentueux musicien pour qui Plumedor a composé des vers élégiaques.

 Beau-pastel, Plumedor, Céphise, quel trio ! ... Ce sont les trois créatures d'un moderne Pygmalion.   

 On a loué leur talent, beaucoup glosé sur elles. Chacune a vécu plusieurs vies, connu différents destins. Les automates sont des êtres bizarres. Ils n'évoluent pas, ne changent pas de corps ni de visage, ne meurent jamais, sauf quand on les casse. Leurs gestes sont répétitifs, ils ont une allure éternellement jeune. Tels ils étaient le jour de leur naissance, tels ont les voit encore aujourd'hui.

 Qui serait assez fou pour s'en prendre à un mannequin ?

 Alors, pourquoi ces cris, ces huées, ces lazzi ? Ce qui suscite l'ire du public, c'est l'habit d'apparat de l'automate. Les patriotes le raillent d'être vêtu comme un ci-devant.

 L'on chante  à tue-tête : « Ah, ça ira, ça ira, ça ira ! Les aristocrates à la lanterne ! »

 Une harengère arrache son jabot de dentelle, enlève la perruque pour la remplacer par un bonnet phrygien. Un fort des halles déchire son pourpoint. La grisette du quartier Saint-Denis porte la main dans ses chausses. Les quolibets fusent : « Aie au moins l'air d'un sans-culotte ! Sans quoi nous te couperons la tête... et le reste ! »

 Le montreur de marionnettes a du mal à rétablir le calme. « Allons mes amis, cette pauvre créature est inoffensive, ce n'est qu'un jouet, fait  pour vous divertir, au moins laissez-lui sa chance ! Plumedor, montre à tes détracteurs tout ce que tu sais faire ! »

 L'androïde s'exécute. Les badauds font silence et bientôt s'extasient. Merveille que ce stylet qui semble courir seul sur la feuille vierge. Mu par la main de l'automate, il assemble des signes mystérieux, propres à composer des mots, puis des phrases, enfin un texte. Les spectateurs médusés voient là quelque magie. Aucun ne devine le mécanisme caché dans la coque, nul ne voit la main du bateleur actionnant par derrière la clef qui en remonte le ressort.

 On croit que l'enfant-poète improvise, il ne fait que régurgiter la leçon apprise. On loue sa prestation, qui n'est qu'artifice. On cherche l'essence de l'être où n'est que le paraître. Un mot du jeune écrivain, jeté sur le papier, fait mouche : « la Concorde ».

 Concorde dérive de : cor, le coeur. C'est l'expression de l'harmonie universelle. Concorde signifie que les coeurs sont animés d'un même sentiment, qu'ils vibrent à l'unisson en faveur d'un idéal commun de paix, de justice et d'équité. Le public applaudit très fort : au terme d'une époque troublée, qu'advienne la Concorde ! Cette idée plaît, le mot seul restera.

 La place de la Révolution s'appellera plus tard  : « Place de la Concorde ».

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Singulier parcours en vérité que celui de ce petit personnage, si proche et si lointain. Plumedor est né tout à la fois du Siècle des Lumières, de l'imagination d'un mage illusionniste et du savoir-faire d'un horloger. Par un caprice du destin, plutôt le revirement de son artisan de père, Pierre Jaquet Droz, Plumedor n'a pas été livré à son commanditaire. Ce qui fait que le roi Louis XV auquel il était destiné ne l'a jamais connu. N'importe, vogue la galère ! Depuis ce temps, l'automate a beaucoup voyagé, bourlingué, roulé sa bosse. Il est passé d'Allemagne en Russie, d'Italie en France, emboîtant le pas à l'aventurier le plus célèbre de son époque : Giacomo Casanova.

 Casanova, dit « Saint-Galle », est l'initiateur de cette aventure peu commune. Irrité tout d'abord par le désistement subit de l'horloger, il s'est ravisé, s'est fait une raison. N'a pas oublié d'empocher les cent louis d'or d'acompte à la commande, qu'a scrupuleusement remboursés l'artisan. Peu soucieux de ce qui se passerait ensuite, le mage a passé son chemin. Passez muscade ! 

 A la mort de Pierre Jaquet Droz, ses héritiers de ce dernier ont cédé pour une bouchée de pain l'automate à un saltimbanque espagnol. Pas fou, le montreur de marionnettes ! Il a eu largement le retour de son investissement. Il a promené partout, exhibé pour de l'argent ce jouet de luxe auprès des Cours royales et princières d'Europe. Plumedor et la jolie Céphise, androïde-musicienne, ont été présentés à Marie-Antoinette en même temps que le jeune Mozart et sa soeur Nanette. Les deux automates ont eu l'heur de plaire à la Reine autant que les enfants-prodiges en chair et en os.

 Hélas, voici déjà venir l'an 1789. Octobre. Les baladins doivent fuir Versailles en même temps que la famille royale et sa suite :  la Révolution vient d'éclater.

 Paris sera donc l'étape suivante de ce périple, la dernière peut-être. La vie y est si différente... il va falloir changer de style ! L'actuel impresario de l'androïde est un opportuniste. Puisque le vocabulaire a changé, eh bien qu'on toilette les mots ! Le glissement sémantique leur donne une nouvelle jeunesse. Plumedor est reprogrammé pour un autre discours. Voilà que l'ex-chantre des Lumières, spécialiste ès vers galants, revisite son propre langage, adopte celui des patriotes ! Qu'il devient leur porte-parole, leur mascotte, leur écrivain-fétiche. Qui croirait à cette métamorphose ? Vous voulez un exemple ?

 Prenez dans l'ordre ces trois mots d'apparence anodine: « Liberté, égalité, fraternité. »

 La liberté, pour commencer. En est-il de plus douce que de presser la main de la belle Céphise ? L'égalité, ensuite. Un homme de qualité manifeste en toutes circonstances une humeur égale. Pour ce qui est de la fraternité, c'est une autre histoire. Plumedor n'en a connu que les mauvais côtés. Son frère Beau-Pastel était son rival dans le coeur de sa belle.

 Trois petits mots qui, pris séparément, n'ont pas de contenu particulier. Mais qui, mis bout à bout, seront du meilleur effet. « Liberté, égalité, fraternité », oui : cela fonctionne à merveille. On pourrait en faire la devise de la République. Notre héros jubile. Une maxime nouvelle est née de sa plume d'or. Ces trois mots, porteurs d'un message ambigu, lui vaudront la célébrité. Peut-être deviendra-t-il un jour « poète institutionnel de la République ». Quel titre plaisant, mais quelle gloire aussi ! Quelle promotion en perspective pour l'humble automate de Neuchâtel !

 Hélas, tout passe, tout lasse, tout casse.... Si la belle devise fait florès, elle finira sans nul doute  par s'éroder à son tour. Ses trois mots perdront leur vertu magique; à force d'être galvaudés, ils échoueront comme leur auteur au cabinet des Curiosités.

PLUMEDOR

 

Notes et commentaires :

 Ce texte constitue un raccourci narratif – écrit à la troisième personne - de la nouvelle « Androïdes à Neuchâtel ». Il relate un épisode particulier de la longue vie de Plumedor, automate-écrivain. Deux autres épisodes suivront, concernant respectivement Beau-Pastel ( le dessinateur ) et Céphise ( la musicienne ).

 Le 7 prairial de l'an III correspond dans le calendrier révolutionnaire au 27 mai 1794. Les poètes André Chénier et Philippe Fabre d'Eglantine ( auteur du calendrier révolutionnaire et de la chanson : « Il pleut, il pleut bergère... » ) ont été guillotinés cette année-là, même si leur exécution n'a pas eu lieu le même jour. Plumedor n'a pas suivi leur exemple. Il a sauvé sa tête en se faisant  thuriféraire du pouvoir.


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