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2 juin 2009

Avis de décès, épisode 2, par Marcelle Laurent

       Avis de décès, épisode 2

 La matinée se traîna, et Lino avec elle. Il avait conservé le journal. De temps en temps il relisait le petit encadré.

 Il fut à St Lazare bien avant 15h, pour repérer les lieux, voir « son cercueil » et lire son nom dessus… Il était seul, ne sachant trop quoi faire. Etait-il sensé faire quelque chose ?

Devait-il prier ?

Pour qui ?

Pour lui ?

Enfin le curé arriva suivi de deux hommes portant des pelles.

- Vous êtes de la famille ? demanda le curé.

- Mm, répondit Lino en hochant la tête.

- Je ne connais pas bien tous mes fidèles, mais celui-ci je ne le connaissais pas du tout.

- C’était un con ! (Décidément, Lino ne lui pardonnait pas cette mort idiote.)

- Ah… vous le connaissiez bien ?

- Comme moi-même !

Ils parcoururent en silence la distance qui les séparait du trou où les fossoyeurs avaient descendu le cercueil.

L’homme de Dieu prononça quelques phrases dans un murmure si léger que Lino n’entendit clairement que le «amen ». Après quoi, le curé se tourna vers lui, lui tendit la main en disant: « sincères condoléances » et s’en alla, pressé!

Lino resta là un moment à regarder les fossoyeurs jeter la terre à pleines pellées. Il ne ressentait rien du tout. 

«Voilà, conclut-il, je suis enterré ! Paix à mon âme ! »

 Les mains nouées dans le dos, il se dirigeait vers la sortie quand il croisa un chien gris. Lino se retourna. Peu après, le chien le doubla, fier, son trognon de queue pointé vers le ciel. Il tenait un os dans sa gueule. C’était comme s’il disait : « Moi, je ne suis pas venu pour rien ! » Drôle de détrousseur, pensa Lino.

 Comme il franchissait la grille, le gardien du cimetière fondit sur lui, furibond.

- Qu’est-ce que le chien fait là ? J’vous avais expliqué. J’pouvais plus le garder. Son truc c’est les trous, il en fait partout ! Si ça s’était su, j’aurais perdu mon emploi.

Faire des trous dans un cimetière ! Lino ne comprenait rien à ce galimatias et comme le gardien lui barrait la route, il l’écarta sans mot dire, mais fermement. Dehors, par terre, rouge, oublié ou perdu, un collier de chien. Machinalement, Lino le ramassa, lut « Pongo » et une adresse sur la médaille avant de le fourrer dans la poche du vieil imperméable.

 Il avançait à grandes enjambées. Brusquement il stoppa net. Il venait de se rappeler : le chien, c’était celui du « Lorrenzzi » décédé dans l’accident. Il relut plusieurs fois l’adresse gravée sur la médaille avant de sauter dans le tramway en direction des Beaux arts. Il connaissait assez bien le coin, surtout le parc où il dormait, parfois, les belles nuits d’été. L’immeuble, banal, de deux étages, se dressait en plein milieu. A 15h45, Lino ne croisa personne.

« Lorrenzzi » ne figurant pas sur les portes du rez-de-chaussée, il prit l’escalier. Il monta lentement, aux aguets. Il croisa deux gaillards lourdement chargés : téléviseur, ordinateur…Ils dévalaient les marches. Lino se poussa pour les laisser passer. Au deuxième étage, une porte était ouverte. Lino s’arrêta. C’était là ! Lentement il entra et s’arrêta net. Il y avait de tout partout. Un cambriolage ! Lorrenzzi avait été cambriolé ! Lino fit demi tour pour rattraper ses voleurs. Il les vit démarrer en trombe et filer, oui, comme des voleurs ! Lino regagna l’appartement, se laissa choir sur le canapé, vaguement écoeuré. Ensuite, il remit un peu d’ordre. Une légère odeur d’eau de Cologne flottait. Les pièces, assez grandes, étaient claires. Cela lui plut, malgré le bazar. Tout lui plut d’ailleurs. Il ouvrit les fenêtres et s’accouda au balcon. Peu à peu, il se détendait. C’est alors qu’il aperçut le chien assis en bas, à l’ombre, au milieu d’un massif de fleurs bleues ! Il l’avait oublié celui-là ! L’animal le regardait. Lino fit semblant de ne pas le voir. Il resta longtemps là, penché au-dessus du parc, perdant la notion du temps. Des voix dans l’escalier le ramenèrent à la réalité. Il eut un bref instant de panique avant de se rappeler que le balcon donnait sur l’arrière du bâtiment et que personne ne l’avait vu entrer. Mais, dès qu’il le put, il quitta l’immeuble, regagna son squat et n’en bougea pas pendant deux jours. A l’abri des regards sous ses cartons, il réfléchissait. Le chien gris passa plusieurs fois, renifla les cartons en gémissant.

 

 Sa « mort » le laissait rêveur. C’était comme une secousse dans son désert et pour la première fois, Lino se jugea responsable de sa déchéance. A cause de cette espèce d’indifférence qui le caractérisait, de la distance qu’il gardait vis-à-vis de tous, au premier dégraissage, il avait perdu son travail, intéressant et bien rémunéré, dans la pub, et il avait été incapable d’en décrocher un autre : « Pas assez motivé » lui disait-on à l’issue des entretiens ou « trop jeune » ou « sans expérience ». Ah bon ! A trente ans et après cinq ans de boîte ? Plus de travail, plus d’argent, bientôt plus de quoi rien payer, alors la rue et la manche et depuis peu, un RMI. Deux années avaient passé. Il s’était décidé à quitter Metz pour descendre au soleil. A Montpellier, il avait atterri dans ce squat.

Lino eut l’intuition que sa mort lui ouvrait la porte d’une autre vie.

Une seconde chance ?

Oui, comme une seconde chance.

Et il finit même par penser que le sort le désignait pour hériter du défunt ! Les biens de son homonyme, si il y en avait, devaient lui revenir plutôt qu’à l’Etat. Il était temps d’agir.

 Il se rendit à la caserne des pompiers pour récupérer les affaires de son  « frère». Personne ne s’étonna de le voir dans son imperméable gris souris (sauf un pompier qui sursauta en le voyant, mais ne pipa mot).

  Ils regrettaient de ne pouvoir l’aider et ils l’envoyèrent à la morgue. Là, le responsable s’apprêtait à déjeuner et se débarrassa vite fait de la corvée, fourrant ce qu’il réclamait dans un sac poubelle, sans faire d’histoires.

  Lino s’en fut très vite, serrant le sac en plastique contre lui. Il s’assit à l’ombre au bord du Lez et vida le sac sur l’herbe. Il n’y avait pas grand-chose : l’imperméable gris, un mince portefeuille en cuir noir, un agenda écorné, un grand mouchoir à carreaux, un portable et un trousseau de clefs. Dans le portefeuille quelques billets et des pièces de monnaie, la carte d’identité banale, photo un peu floue, une carte vitale, une carte bancaire. Le feutre gris manquait mais qu’importe ! Ce qui importait, c’était où il allait vivre désormais. La machine était en marche, alors il remit tout dans le sac et attrapa le premier tramway en direction des Beaux Arts.

Comme la première fois, il ne rencontra personne et pénétra dans l’immeuble. La porte était simplement poussée et il entra « chez lui ». Il y flottait comme quelque chose d’indéfinissable qui l’alerta. Quoique tout semblât être comme il l’avait laissé quelques jours avant, il était sûr que quelqu’un était venu.

 Lino se doucha, laissant l’eau chaude ruisseler sur son corps anguleux. Il se savonna longuement, étonné d’y trouver tant de plaisir, puis se rasa. Les vêtements dans la penderie étaient à sa taille. Soudain, il sursauta : le chien grondait là, tout près de lui !

« - Tu es rentré comment, toi ? »L’animal, tantôt montrait les dents, tantôt battait l’air avec sa queue, indécis. « Te faudra changer tes manières, pour rester avec moi. » Le chien alla se coucher près du radiateur. Lino comprit que c’était sa place en y apercevant un bout de couverture roulée dessous. Il étendit la couverture et le chien s’y allongea en lui tournant le dos.

épisode 3

épisode 1

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