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2 juin 2009

Avis de décès, épisode 3, par Marcelle Laurent

        Avis de décès, de Marcelle Laurent, épisode 3

 Lino avait faim. Dans un placard il trouva des sardines, du pain prétranché et rassis ; du beurre et des radis dans le frigo et un reste de rosé, mais pas de nourriture pour le cabot. Il mit la table. Cela lui faisait tout drôle de retrouver ces gestes si anodins. Il s’attabla, hésita à boire le rosé au goulot avant de le verser dans un verre. Il se sentait plein d’appétit et un peu euphorique. Le chien n’avait pas bougé. Lino partagea les sardines et le pain, les posa sur une assiette près de l’animal toujours immobile. Après un temps qui lui parut long, le chien se tourna, renifla l’assiette et se mit à manger. Lino amusé, le regarda lécher soigneusement l’assiette et la pousser sous le radiateur. C’était cocasse. Lino débarrassa la table, fit vite la vaisselle et la laissa égoutter. Il n’osait pas fouiller, pas encore, par respect. Il se contenta de feuilleter les quelques revues empilées sur la table basse du salon.

Quand vint l’heure d’aller se coucher, il hésita à laisser la lumière allumée. Il espérait que la présence du chien empêcherait ses vieilles peurs de revenir. Il revit le dortoir de l’orphelinat, les lits en enfilade, se rappela les pleurs, les cris, les appels parfois… Maman ! Papa ! …Il avait essayé une fois d’appeler maman. La veilleuse de nuit, en le secouant, avait grondé : « ça va pas non ? T’en as pas de papa et de maman toi. Alors c’est pas la peine d’appeler ! Vu ? »

La nuit fut longue, bourdonnante de bruits feutrés, inconnus ou oubliés, pleines d’odeurs nouvelles, d’impressions fugaces et de silence. Lino écoutait, attentif. D’autres lendemains l’attendaient…

Il passa la première journée à regarder des photos de l’autre. Il aurait pu dire « de moi » car l’autre lui était étrangement ressemblant : ils avaient la même allure, ils avaient tous les deux un grain de beauté sur la lèvre supérieure, et il leur manquait une phalange à l’annulaire gauche ! Ils avaient la même coupe de cheveux et s’affublaient du même chapeau ! Ils portaient un même imperméable gris cintré à la taille dont ils nouaient la ceinture, tous les deux, sur le côté droit ! Lino n’en revenait pas. C’était époustouflant. Au fur et à mesure, ces similitudes l’intriguaient et le consternaient : il avait de plus en plus le sentiment d’avoir perdu quelqu’un de sa famille, lui qui, justement, n’en n’avait jamais eu. La carte d’identité était au nom de Léo Lorrenzzi, né le 15 juin 1977, tout comme lui-même ! C’était bien d’un jumeau qu’il s’agissait. Il en était sûr. Voilà pourquoi il n’était pas dépaysé dans cet appartement.

Et son jumeau avait été dessinateur humoristique, un métier très proche du sien.

Le surlendemain, Lino savait tout de Léo Lorrenzzi, tout ou presque ! Le chien vint se frotter contre lui pour lui lécher la main. L’animal l’avait adopté. Alors Lino, sans le regarder annonça : « Tu as compris le chien, que Lino ou Léo c’est du pareil au même maintenant? Hein? Je te le dis, je vais rester là, je vais m’installer dans l’appartement. Et puis zut, on verra bien ! ». Lino le gratta derrière l’oreille. Dix heures sonnèrent à St François.

L’immeuble était redevenu silencieux. Tous étaient au travail. La voie était libre. Lino avait besoin de faire le point sur tout ce qu’il avait appris, et pour cela, rien ne valait une bonne marche à pieds. Il enfila un pull à même la peau, et fut surpris par sa douceur ; sa couleur vert- bronze lui plaisait. Le jean était à la mode, confortable et taille basse. Les converses de l’autre lui allaient aussi. Il allait d’étonnement en étonnement, et ça n’était pas désagréable. Machinalement, il avait glissé le portable dans une poche.

En passant près des poubelles collectives, il y jeta ses vieux habits et soupira d’aise. Il se sentait neuf et drôlement joyeux, et curieux de savoir où tout ça, allait le conduire. Le chien traversa et des crissements de pneus suivis de coups de klaxons rageurs ramenèrent Lino à sa réalité : le chien faisait partie de sa nouvelle vie. Où était-il passé ? Il l’aperçut, loin déjà. Mais comment rappeler l’animal …Le nom lui revint. PONGO ! Hurla-t-il, à pleins poumons. S’inquiéter pour ce chien, c’était nouveau. Lino traversa à son tour en dehors des clous et en faisant la grimace aux automobilistes qui le klaxonnaient. Il s’amusait. Il ne se rappelait pas s’être jamais amusé… Plus de chien en vue. Lino obliqua vers le Palais des congrès, escalada les escaliers pour atteindre l’esplanade. Dès son arrivée à Montpellier, il avait eu le coup de foudre pour cette promenade. Il en aimait tout : l’ombre et la lumière, le soleil ou la pluie. C’était comme un horizon, il ne s’expliquait pas cette impression. Subitement il eut envie d’une glace, d’une vraie, avec deux boules, comme l’autre fois, pour ses huit ans.

Il se dirigeait vers le glacier quand un portable sonna dans la poche du jean.

«  Allo, Allo Léo ? »

« Oui ! » Lino, interdit, ne démentit pas. D’instinct, il jouait le jeu.

«  Léo, mon train entre en gare dans un quart d’heure. Vous me reconnaîtrez facilement, je porte… » Le reste fut incompréhensible.

« Ok ! A tout de suite » ne sut que répondre Lino, pris de court. L’histoire se corsait, aiguisant sa curiosité. Tout en se dirigeant vers la gare, il réfléchissait. Le défunt et son correspondant ne s’étaient jamais vus, mais se connaissaient assez bien pour s’appeler par leurs prénoms. « Et comment vais-je le reconnaître, moi ? »

 La Place de l’Oeuf, si blanche au bout de l’esplanade, luisait sous le soleil. Lino clignait des yeux tout en marchant. « Penser à m’acheter des lunettes de soleil ».

Il n’y avait pas beaucoup de circulation. Dans le hall de la gare, les voyageurs se hâtaient vers leurs quais. Lino s’adossa à un pilier presque en face des arrivées. Il espérait pouvoir repérer son interlocuteur, histoire de jauger le bonhomme…et disparaître si besoin était !

Un homme en imperméable gris regardait à droite et à gauche. Lino était passé derrière le pilier. L’homme portait un feutre et tenait une petite valise. Lino se décida à l’aborder et resta sans voix : l’inconnu lui ressemblait tellement.

« Ben quoi, dit l’homme en riant, vous le saviez que nous étions des sosies ! » 

Lino, estomaqué, ne savait que dire. Enfin il articula péniblement « Je ne suis pas Léo… Il est mort il y a cinq jours ».

« Mort ? Léo est mort ? » Répétait l’homme, incrédule. « Mais qui êtes vous alors ? »

« Lino, Lino Lorrenzzi »

Le rire avait cédé la place à l’incompréhension. L’homme fixait sur Lino un regard gris et dur. Il l’avait attrapé par le bras et le tenait fermement.

« Allons nous asseoir pour causer ».

« Mais qui êtes-vous vous-même ? » Questionna Lino intrigué.

«  Léonce, Léonce Lorrenzzi. »

« Grand Dieu » lâcha Lino ahuri.

Ils étaient à présent, assis à la terrasse d’un café. Se ressaisissant et examinant son vis-à-vis sans plus se gêner, Lino raconta rapidement : l’avis de décès, l’enterrement, le chien, sa première visite à l’appartement en croisant les cambrioleurs, les affaires récupérées à la morgue (je pouvais déjà me prétendre son frère puisque nous avions le même nom de famille), sa seconde visite et la certitude d’un deuxième cambriolage, les photos de l’autre lui apprenant leur ressemblance voire leur similitude, sa décision de devenir Léo Lorrenzzi. « Et pour couronner le tout, le portable m’annonçant votre arrivée ».

A son tour, Léonce raconta. Il travaillait pour la police criminelle : les portraits robots. Il était un as du portrait-robot ! Pour lui faire une blague, Joël, un collègue, avait fait circuler son portrait sur Internet, des fois qu’il aurait eu un sosie ! « J’ai reçu une bonne centaine de photos, plus ou moins ressemblantes. Léo m’a écrit parce qu’en plus de la ressemblance nous portions le même nom ! Nous avons sympathisé. Nous avions les mêmes goûts, les mêmes idées .C’était étonnant tous nos points communs. Nous étions décidés à nous rencontrer.» Entre temps, Léo avait participé à la fête de la BD à Angoulême. Il l’avait appelé de là-bas pour lui apprendre qu’il s’était reconnu dans une peinture exposée dans la vitrine d’une galerie : Il était entré et s’était trouvé nez à nez avec son sosie ! Encore un ! « Celui-là s’appelle, tenez-vous bien : Léonard Lorrenzzi ! Nous n’étions plus deux, mais trois. Maintenant, avec vous, ça fait quatre ! C’est tout bonnement incroyable! »

« Quatre ? Lino hochait la tête, perplexe. « D’accord nous portons le même nom, mais ça ne signifie pas pour autant que nous soyons frères ! »

«  Il y a d’autres ressemblances : le grain de beauté sur la lèvre, la phalange manquante à l’annulaire, la couleur de nos yeux et …n’êtes vous pas gaucher ? Avez-vous un imperméable gris que vous nouez à droite ? Un feutre gris que vous inclinez du même côté ? »

Ils se faisaient face et s’étudiaient. « Rentrons ! » proposa Lino. « Venez à l’appartement …et surtout gardez l’imperméable de Léo. Si nous croisons un locataire, il n’y verra que du feu ! » Ils s’engouffrèrent dans le tramway. Des jeunes gens parlaient de la fête de l’huma. Lino et Léonce enviaient leur insouciance.

 

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épisode 4 (suivant)

épisode 2 (précédent)

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