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6 août 2009

Mélodie 3, Th. Fr. Crassous

Mélodie, 3e épisode
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Donc ce Vingt trois Août 1973, ils sont réunis, chacun dans sa loge, dans les coulisses du Carnegie. Ils doivent donner un concert pour l’enfance maltraitée, suivi d’un grand dîner. Les femmes en robes du soir et bijoux scintillants mettent de l’éclat parmi les costumes queues de pies noirs luisants des hommes. Tous sont heureux et font résonner leurs rires sous les lustres en pampilles des cristaux de Baccarat ; leurs bons mots fusent dans l’air du soir. Les cabochons aux doigts des dames lancent des éclairs sur les rideaux pourpres.

  Puis le brouhaha s’estompe car les artistes arrivent sur cène. Et là c’est la stupeur ! Tous trois, élégants dans leurs habits noirs, ont le même sourire sur leurs lèvres bien ourlées, une identique mèche rebelle couvre la moitié de leur front et leurs yeux de pervenche, dans leur teint hâlé, donnent à leur visage un air de bonté.

  Curieux de se découvrir si semblables, ils se dévisagent durant un moment qui leur paraît éternel. Mais, tout à leur devoir, ils se reprennent vite et saluent avec grâce les spectateurs ébahis. Tous trois, même allure et même taille, jouent divinement l’air connu. Avec ferveur, Ils y mettent leur âme et se fondent dans l’instrument… Ils ne forment plus qu’un. Pas un couac, pas une mesure plus rapide : le chœur est parfait, les guitares résonnent ensemble en harmonie, sur un vibrato admirable. 

      Les spectateurs stupéfaits acclament à tout rompre. Les bravos sont nourris et les rappels nombreux, si bien que les trois musiciens doivent reprendre un extrait de la pièce et excellent encore dans leur exécution. Le public trépigne d’enthousiasme, les mains claquent, l’air vibre dans la salle. Sereins et fiers, ils saluent encore et encore avant de s’éclipser par le fond.

 

  Les cheveux mi-longs dansant au même rythme, ils arrivent dans les coulisses en riant et même chahutant. On peut entendre des Carambas, des Boudis et des Mein Got. Ils n’en reviennent pas et se congratulent de cette merveilleuse entente. Ils s’assoient à la table  au milieu des invités qui ont payé leurs places à prix d’or.  Manuella, au centre des jeunes gens, commence à poser des questions :

  - Quel âge as-tu ? demande-t-elle à Manolo qui répond aussitôt .

  - Vingt trois ans Senorina et toi ?

  - Vingt trois.

  - Mein Got, moi aussi ! s’exclame Manuel

  - D’où venez-vous tous deux ? continue-t-elle

  - De Mexico senorina

  - De Wallis Bay. Mein Got !

  Un silence s’insinue dans le brouhaha des tables

  - Mais j’ai un studio à Paris car j’aime l’ambiance d’ici.

  - Où êtes-vous nés ? s’enquit-elle

  - Mais à Paris ! lance l’Africain.

  - Moi, je ne sais pas vraiment mes papiers sont restés dans ma chambre mais je vais les chercher, dit Manolo.

  Il file aussitôt et sa silhouette disparaît dans l’ombre du couloir. On perçoit seulement le frôlement des pas sur le tapis moelleux des marches. En un éclair il reparaît. Il s’assoit, félin de la pampa, et sort sa carte d’identité.

  - A Paris également.  Un sourire éclaire son visage.

  Mes parents en effet revinrent de France au Mexique et mon père, fût arrêté et assassiné lors du changement de président. Un traître disait-on. Depuis ma mère s’est mis en ménage avec un fainéant, un poivrot qui ne m’aimait pas du tout et m’en faisait voir de toutes les couleurs. Ils eurent beaucoup d’enfants, en plus de mes frères. Aussi bien souvent je me réfugiais à l’église et j’appris à chanter, accompagné de l’orgue. Je participais à toutes les processions et aux cérémonies de nos Saints Patrons.

  - Moi, dit Manuel, mes parents hollandais s’expatrièrent dans ce pays et achetèrent des terres incultes et firent l’élevage de bovins. Ils cultivèrent le désert. Avec amour et patience, ils m’élevèrent et à onze ans j’eus une guitare et appris la musique. Puis pour mes études nous déménageâmes à la Capitale. Si j’avais une mauvaise note j’étais puni et privé de musique quelques temps. Mais ce ne fût pas souvent car j’aimais faire des gammes et y passais du temps.

  - Quant à moi, ajoute à son tour Manuella, ma mère musicienne m’éleva entourée de musique. Je vécus à Paris et j’allais de concert en concert. Je fus attirée par la guitare et eus un professeur qui me donna sa passion. Mes parents m’aidaient beaucoup… Mais, je pense à quelque chose : à quelle heure êtes-vous nés et où ?

  Quand chacun eut répondu, stupéfaits ils se regardèrent car ils étaient nés le même jour à pratiquement la même heure à Paris.

  Et de bavardage en bavardage ils arrivèrent à convenir qu’ils avaient tous été adoptés.

  Ils touchèrent à peine aux mets délicieux et ils étaient heureux, heureux d’être ensemble.

  - Je suis né la maternité St Jean ajouta Manuel.

  - Moi aussi moi aussi dirent-ils en écho.

  - Mais qui sont nos parents ? et pourquoi avons-nous été séparés si nous sommes des triplés ?

  - Sans doute les mystères de l’administration, jette mi-figue mi-raisin Manuella.

  - Nous sommes frères et sœurs ! Conclurent-ils,  et de rire…

  La soirée passa vite en confidences et en conciliabules. Ils jurèrent de se retrouver et de garder le contact.

 

  Ils se quittèrent avec la promesse de retrouver leur mère. Manuella qui vivait à Paris proposa de faire les recherches. Elle avait tous ses papiers et sa mère adoptive l’appuya et l’accompagna dans ses démarches. Enfin, le secret venait d’être levé par décret : les enfants abandonnés à la naissance pouvaient consulter leurs dossiers. A l’orphelinat, après bien des déboires, elles retrouvèrent une infirmière décatie qui leur expliqua enfin :

 

  - Une bohémienne voulait vendre trois bébés qui avaient quelques heures à peine et la police l’avait arrêtée. Ils furent placés en attendant de trouver leur famille. Mais personne ne s’est présenté pour les réclamer. Au bout de quelques mois, ils étaient adoptés par des Hollandais, des Mexicains et des Français. Mais de leur mère biologique pas de nouvelle.

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