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6 août 2009

Mélodie 4, par Th. F. Crassous

Mélodie, 4e épisode
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Pendant ce temps, Gisèle, elle aussi, s’est mise en quête de connaître ces artistes qu’elle avait écoutés à la télévision. Son cœur lui crie que ce sont ses bébés. Son sang, en les voyant, bat si fort. Elle en est sûre ce sont les siens.

  Elle a bientôt la confirmation de son intuition : en fouillant dans les cartons de sa belle-mère décédée, cartons remisés au grenier, elle fait une découverte importante : des lettres, des lettres de sa belle mère, adressées à son fils, donc à son mari, qui expliquaient clairement une machination. A la maternité, elle ferait kidnapper les enfants par une bohémienne qu’elle paierait. Tous deux seraient alors débarrassés de ces bouches à nourrir. Elle, la marâtre, ne voulait pas d’enfants qui feraient trop de bruit. Sa tranquillité revenue, elle coulerait des jours heureux avec son fils et sa bru soumise à ses fantaisies. 

 

    Elle a réussi se dit Gisèle. Et elle qui se mourrait de fièvre et de tristesse. Pourquoi leur avait-elle fait confiance ? Pourquoi les avait-elle crus lorsqu’ils assuraient qu’elle avait perdu ses enfants à la naissance et qu’elle n’était pas capable de leur donner de beaux petits ? Pourquoi, les connaissant, avait-elle avalé leurs mensonges ? Pourquoi ? Ils avaient été tellement persuasifs et elle tellement faible ? Ah ! Pourquoi lui avaient-ils fait supporter cet enfer ? Cette douleur atroce et lancinante ? Elle avait pensé à ses triplés chaque minute, chaque seconde de sa malheureuse vie. Elle les aimait tellement. 

    Maintenant elle va se rattraper, leur donner toute l’affection d’une mère. Elle vivrait encore assez longtemps pour voir ses petits-enfants grandir. Elle rêve, rêve de les embrasser, de les toucher. D’ailleurs n’est-ce pas ce qu’elle a toujours fait ?

 

  Rêver ?

 

  Des années durant, chaque nuit elle entendait une musique de guitare, le concerto, son concerto, celui qu’elle écoutait lorsqu’ enceinte elle devait se reposer, les petits pieds frappant son ventre. Comme elle était heureuse en ce temps-là. L’impatience de l’attente éclairait ses journées. Elles avaient hâte de les serrer, de les couvrir de baisers. De les voir jouer et crier. Leurs visages qui la hantent. Pour oublier, elle se réfugiait dans des songes où sur une île, des oiseaux l’enlevaient pour les retrouver, ses chers anges. Elle goûtait alors une joie sans nuage. Elle ne se lassait pas de les cajoler et leurs rires enchantaient ses nuits. Elle s’étendait sur un lit de fleurs parfumées et enchanteresses qui la grisaient. Elle s’épanouissait aux chants des oiseaux mélodieux et la guitare jouait cet air d’Aranjuez qu’elle affectionnait tellement. Une vraie vie de plaisirs et de joies. La vraie vie quoi ! Elle était la reine de ce royaume de paix. L’air transpirait de tout l’amour dont son cœur est rempli, elle le dispensait au monde. Elle était habillée d’une robe transparente de lin blanc ; sur ses mèches de geai, un diadème de perles multicolores. Ses longs doigts, effilés et graciles, pinçaient les cordes de l’instrument magique. Elle était transportée dans un monde magique, elle rajeunissait. Emmenée au pays des rêves assouvis, elle tremblait aux souvenirs  de ces moments fugaces où elle était avec ses enfants, lovés contre ses jambes. Dans ce halo qui l’emportait elle goûtait aux plaisirs de toutes les mamans. Elle donnait le sein à ses bambins avides. Ah ! que la succion est douce ! Comme en ces instants, sa tête se chavirait. Elle était bouleversée. Oui, elle était une maman parfaite : allant les consoler, leur donner le goûter, les embrasser, les cajoler et les gronder. Elle jouait avec eux et faisait la ronde avec ses petits et chantait, chantait. Son visage penché souriait à la vue des colombes de neige voletant en cadence tout en se bécotant. Des larmes perlaient de ses yeux en amandes, tellement se pressaient des gouttelettes argentées.

  Ces rêveries l’ensorcelaient, l’aidaient à poursuivre sa route et à combler ce vide que sont ses jours sans joie où elle ne veut pas s’enliser.

 

   Mais le réveil fut rude !

   

  Pourtant depuis elle s’est durcie avec ce drame atroce : ses triplés, bébés arrivés pourtant à terme, aussitôt enlevés. Elle se souvient des jours sombres où son espoir de berceau s’est envolé. Sa chair s’était ternie. Passés aux oubliettes ses désirs de famille et cette flopée d’enfants, leurs jeux et leurs bruits…. Maintenant le silence, une chape de silence s’était abattue sur son toit et l’écrase. Jusqu’à cette indifférence d’une vie morne dont elle était prisonnière. Le soir, elle s’échappait. Alors elle vivait une autre vie.

 

                                                                   °°°°°°

  Mais maintenant elle sait qu’ils sont vivants. Elle peut rêver à leur rencontre comme lorsqu’elle fantasmait.

 

  L’attente est insoutenable.

  Alors, Gisèle se démène pour connaître la vérité, compulser les articles de presse, interroger les rares témoins. Elle rencontre les policiers qui ont arrêté le trafic des bébés, retrouve l’infirmière de la Maternité. Tout concorde. Ses soupçons se confirment. Les jeunes gens de la télévision sont bien à elle, ce sont les siens. Cette idée se fixe insidieuse. Elle en est sûre, elle le sent.

 

  Un jour, n’y tenant plus elle prend un stylo dans le tiroir du secrétaire en bois de rose, relique de sa famille, et une feuille de papier  blanc. Elle ne sait pas quoi mettre et veut dire tant de choses. Des larmes en flots ravageurs s’échappent et troublent les lettres. Une flaque translucide brouille les quelques mots qu’elle vient avec peine d’écrire. Puis un silence s’agrippe aux rives désertées du pont de sa mémoire ; alors des cacophonies silencieuses se bousculent dans sa tête. Le temps se suspend aux phrases hébétées.

  - Ah comme c’est difficile et que dois-je leur écrire ?

  D’un geste tremblant, elle froisse la missive et recommence. Elle se frotte les yeux d’une main impatiente et aspire un bon coup. Mais sa poitrine se serre. Elle relève la tête, mâchonne le manche de son stylo. Son regard se perd dans le miroir des étoiles et s’assombrit aux recoins du malheur. L’absence de ces êtres chéris. Le manque. Le temps suspendu à tant d’attente.  Et enfin, cet espoir. Elle jette les feuillets sans lever le nez  et reprend sa tâche. Elle en a tant lancé qu’il forme  une couronne autour de la corbeille. Elle s’applique encore plus.

  - Que mettre en en tête ?

  Elle trace en lettres déliées et en majuscules, un peu penchées à droite comme on le lui a appris à l’école : « Ma ou mes Chéris »…

  N’est-ce pas trop rapide ? Voyons, soyons impersonnelle ce sera plus commode. Tiens je n’ai plus de feuille !

  Elle se lève encore, va dans l’autre pièce chercher un autre bloc, fait quelques pas, s’étire, s’assoit et reprend le cours de son  message :

  « Mademoiselle, Monsieur, »

  - Oui c’est mieux ! Elle aura l’air de quoi si elle est trop familière et même trop empressée. Ne pas les effaroucher surtout. C’est qu’elle les aime tant.

  Une touffe de chaleur l’envahit peu à peu et un sourire effleure ses lèvres blêmes. Comment leur faire comprendre qu’elle a toujours su qu’elle les reverrait un jour ?

  Mais il est là, ce jour, et son esprit galope. Elle ne trouve plus les mots.

 

  Du calme, du calme !

 

  Tout simplement, elle laisse parler son coeur : elle leur dit son désespoir de les avoir perdus, sa tristesse puis cette certitude qu’elle les retrouverait. Cet espoir insensé qui la tenait en vie.

  Elle leur écrit tout, en vrac.

  Elle y met tout son Amour, son amour de maman meurtrie. Elle leur raconte tout, sa vie avec Gaspard et sa belle mère, son départ. Et sa vie maintenant solitaire, mais si pleine et  surtout apaisée. Elle leur redit, encore et encore, ses angoisses, ses désirs, sa santé chancelante après tant de détresse. Enfin elle leur redit son espoir de les revoir un jour.

  Elle finit par ces mots « ne me faites pas languir, j’ai tant d’amour à vous donner »

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