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24 août 2009

Nue, par Carole Menahem-Lilin

D'après un tableau de Bonnard, La sieste

bonnard_sieste

(site http://nga.gov.au/)

Nue 


Elle est nue, allongée dans le désordre des draps. Dehors, c’est l’été – la touffeur moite de certains jours de juillet. L’orage tourne, gronde au loin, mais ici ne se décide pas à éclater.

 La chaleur est sensible dans la manière dont elle repose, sur le ventre, sans rien sur elle qui puisse faire obstacle aux bourrasques paresseuses qui par vagues, soulèvent les rideaux et viennent rafraîchir sa nuque. Offrir le moins de résistance, respirer lentement… La sueur irrigue son corps, et donne à sa peau une transparence sous-marine. Ses jambes sont détendues, le genou gauche plié formant angle, tandis que sa cheville repose sur son mollet droit (mais légèrement, si légèrement). Pense-t-elle.

 Les draps sentent la menthe et la lavande dont elle les a jonchés tout à l’heure, et aussi une odeur plus secrète, une odeur comme une voix grave, sable et pinède brûlante, qui n’appartient qu’à leurs deux corps quand ils se mêlent. Car ils se sont mêlés.

 Lui s’est levé maintenant. Et même est sorti.

 Elle, est restée, toute à l’instant qui la tient. Oh beau présage de l’instant amoureux. Indéfiniment renouvelé, rêve-t-elle.

 Sa tête est nichée dans le nid ombreux de ses bras.

 Le nid. Ombreux. Dans lequel il reviendra nicher ses yeux.

 

 En réalité elle ne dort ni ne rêve vraiment. Sommeille plutôt, s’éploie et se déploie, dans le dedans comme dans le dehors, dans un exact (et voluptueux) équilibre entre somnolence et conscience extrême. Les yeux fermés, elle voit le monde par les pores de sa peau, elle en devint une infime partie – partie infime mais voyante, mais extra-lucide… et par la porte de cette paresse qui est presque une prière, le monde entre en elle. Sensations minuscules, démesurées pourtant. Tremblement de l’air. Tension heureuse des muscles. Et cette petite chanson dans son dos, sous les omoplates, parce qu’elle a trouvé la juste courbure qui soulage sa vertèbre douloureuse (et pour la récompenser, la douleur se transforme en plaisir)…

 Cette petite chanson se mêle à celle des roulements lointains sur la chaussée, par-delà la cour, et aux voix paresseuses à la terrasse du petit café où elle le retrouvera tout à l’heure, pour un repas d’air et de pain – de la bière aussi peut-être, une légère ivresse pour saluer le bonheur. Il la regardera. Quelques gouttes seront tombées, peut-être, et il fera plus frais ; là-bas, les tilleuls balanceront leur haute chevelure de sages ; et les vrombissements mécontents des autos, semblables à des frelons que la chaleur rend fous, feront répit quelques minutes, pour laisser se tisser la toile fragile du soir, pépier les voix excitées des enfants, leurs jeux pris dans les ombres.

 Elle a dû s’endormir finalement. Les cris légers, mais persistants, mais insistants des alouettes qui ont envahi le ciel de leurs tourbillons effrénés, sont entrés dans la chambre. Elle a un tressaillement de joie – les alouettes sont si folles, si fortes, si peu conscientes de leur petitesse dans l’immensité innombrable, dans l’immensité triomphante, du ciel.

 Elle aussi sera une alouette, ce soir.

 D’abord, se lever, s’étirer (étirer chaque muscle, offrir à chaque petite partie d’elle l’attention nécessaire). Puis se baigner, se parfumer de cet extrait d’eau de fleur d’oranger qu’il aime. S’habiller d’étoffes presque inexistantes, et chausser ses sandales si légères, qui pourtant donnent à son pas la sûreté du funambule.

 Et sortir dans la rue infinie, qui déjà bleuit au crépuscule. Ignorer la multitude des autres femmes, se sentir hirondelle folle, et unique, ce soir. Partir à la conquête du ciel, et capter son regard qui déjà, palpite dans son ventre.


Juin 2009


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Commentaires
J
Je n'ai pas encore vu les Bonnard de Lodève, mais ton texte reflète très exactement l'ambiance du tableau que j'ai vu à la rétrospective parisienne il y a 2 ou 3 ans,il y a beaucoup d'autres choses à dire de cela et du reste, il faut en laisser pour la rentrée,<br /> <br /> Bisous,<br /> <br /> Jean-Claude
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B
Je n'ai pas vu la carte mais tu l'as tellement bien décrite !<br /> Tes écrits tellement délicats, sensuels m'ont fait verser une larme en fin de lecture.<br /> Merci Carole pour l'agréable moment que tu viens de me faire vivre.<br /> Gros bisous,<br /> Catherine.
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A
http://cyclone.canalblog.com
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A
Quelle belle description<br /> D'un tableau d'exception<br /> Où il passe tant d'émotion<br /> Je reste en admiration...<br /> <br /> Amitiés poétiques
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