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5 octobre 2009

"Aphrodite's child" par Jean-Claude

Aphrodite's child.

APHRODITE
Illustration de Marie Cardouat tirée du jeu Dixit

 

L'autocar du voyagiste « Cyprus-Tours » vient de faire halte devant le porche de l'Hôtel Coral Bay (*** NN). Déverse aussitôt sa cargaison de touristes, une clientèle majoritairement du troisième âge. Le parler volubile des passagers, leur manière d'être des plus exubérantes, en trahit l'origine italienne...  une nationalité confirmée par les étiquettes apposées sur leurs bagages.

   L'avion du groupe s'est envolé deux jours plus tôt de l'aéroport de Florence, pour se poser à Larnaca, délaissant un ciel toscan en demi-teinte pour celui légendairement bleu de Chypre, surnommée dans les dépliants touristiques : « l'île aux citrons », « la perle vive de la Méditerranée ».

   Il fait effectivement beau pour la mi-mai. Pour ce qui est du programme de la journée, prière de consulter les documents de voyage contenus dans la pochette remise à chaque passager. Il est question d'une visite de l'antique Paphos.

   Cette perspective n'enchante guère le jeune Sandro (13 ans), un adolescent contestataire et boutonneux.  Mettez-vous à sa place ! Le seul fait de voyager avec ses grands parents, fût-ce dans une île enchanteresse n'a déjà rien de folichon... Si vous ajoutez l'obligation de subir en leur compagnie d'interminables commentaires, aussi pédants que stéréotypés, c'est la totale ! Rien de plus monotone qu'un site archéologique; on ne se nourrit pas de beauté de site; les fouilles ne sont pas curieuses; enfin, les ruines ont généralement un air cassé à l'image des « croulants » qui les visitent.

   Tous comptes faits, Sandro préfère de loin rester seul à Coral Bay, cette magnifique plage où le sable (prétendent les guides) « a des reflets coralliens ». Les grands parents, tout d'abord réticents, ont fini par céder. De guerre lasse... Dame, à treize ans, on doit pouvoir faire confiance à ce presque un jeune homme : Sandro n'en est pas moins chapitré. D'accord pour qu'il passe le reste de la journée à la plage, mais à condition qu'il ne s'éloigne pas trop de l'hôtel, ne se laisse pas accoster par des inconnus, qu'il prenne ses repères de manière à retrouver le groupe à la bonne heure au bon endroit. Oui Papy. Bien Mamie. Ronflement de moteur. Voilà que le bus est déjà reparti.

   Que va faire Sandro de sa  liberté retrouvée ?

   Rien, il erre. Arpente la plage. Contemple les flots scintillants sous un ciel couleur de carte postale. Le soleil est déjà brûlant, mais une forte brise marine rafraîchit l'atmosphère. Un temps à se griller la peau. Pour ce qui est de la température de l'eau de mer, l'agence n'a raconté que des boniments, elle ne dépasse pas dix huit degrés à cette saison. Plutôt frisquet ! La baignade n'a rien d'agréable, rien que de penser à la sortie de bain donne le frisson.

   Frileux de nature, Sandro ne se départit pas de sa blouse flottante ni du pantalon qu'il porte retroussé sur ses chevilles. Cet accoutrement se rapproche plus de celui d'un peintre en rupture d'atelier que d'un touriste en goguette. Ceci s'accorde au tempérament vaguement artiste de l'adolescent. Sans avoir de projet bien précis, il rêve de s'inscrire à l'école des Beaux-Arts dès la prochaine rentrée.

   Retrouvons à présent Sandro qui fait les cent pas sur la grève, en tenue de ville. Le nez en l'air, il ne remarque pas tout d'abord l'obstacle insolite qui se présente devant lui. C'est un coquillage, rien que de très banal jusqu'ici, il s'agit d'un mollusque bivalve du type Pecten, la fameuse coquille Saint Jacques chère aux gastronomes et aux pèlerins de Compostelle. Oui, mais ce qui n'est pas normal, c'est la taille de l'objet ! Cette concavité nacrée, striée de nervures convergentes, est à l'échelle humaine, une personne adulte pourrait y loger.

  S'interrogeant sur le pourquoi de cette énigme, Sandro poursuit ses investigations. Remarque des traces de pas sur le sable, aussi légères que celles laissées par les mouettes ou les sternes. Ces empreintes, nées de la conque, se poursuivent en direction de la grève. Elles sont battues par le ressac avant de s'évanouir ensuite mystérieusement. A qui appartiennent-elles ? Leur petitesse suggère qu'elles ont été tracées par un pied enfant... ou bien celui d'une très jeune femme. Mais il n'y a personne à proximité ! Pas d'autre promeneur en vue, ni de candidat(e) au bronzage allongé(e) sur la plage.

    Sandro porte son regard vers le large. A cet endroit, réputé dangereux, la mer se brise sur une une ligne de récifs. Ceci marque la naissance de la Côte rocheuse. Un peu plus loin, la falaise déchiquetée se précipite dans la mer. Une pancarte bilingue précise le nom grec du site : « Petra tou Romiou », mentionne également en anglais l'interdiction de s'y baigner. Tout le monde peut comprendre cela. Pourtant, il n'y a rien de tel pour attirer les imprudents : peu visible d'abord en raison du contre-jour, une tête émerge de l'eau floconneuse et se rapproche du rivage. Sa propriétaire est  maintenant identifiable. C'est une nageuse, et même une nageuse éprouvée si l'on en juge au rythme vigoureux de ses bras. Sa chevelure flotte autour d'elle au milieu de la molle écume, disparaît puis reparaît au gré de la houle tumultueuse.

   Poussée par le Zéphyr, prince des vents, la naïade a maintenant franchi les brisants, se laisse porter jusqu'au bord par les vagues qui la roulent. Là voilà qui sort de l'eau dans tout l'éclat de sa parfaite nudité. Ses longs cheveux l'enveloppent et sèchent au vent.

   Médusé, Sandro la voit reprendre sa place au sein de la coquille, indifférente au regard du spectateur. Un imperceptible sourire éclaire son visage. Sa posture est plutôt pudique, une main cache vaguement sa poitrine, l'autre sur est posée sur son sexe. L'adolescent se concentre sur cette vision nostalgique, cette forme idéalement belle, un rêve de beauté. Un jour, il en est sûr, il fixera cet instant magique sur la toile. Alors, il rencontrera la célébrité. Peut-être même - insigne honneur - sera-t-il exposé aux Offices. Ce jour-là, il cessera d'être appelé simplement par son prénom : Sandro, pour enfin se faire un nom. Dans la famille Botticelli, bon sang ne saurait mentir.

 

Notes et commentaires.

RELOOKING

Dessin de Man, "Midi Libre du 25-10-09

   Texte sur un visuel proposé (carte de Marie Cardouat) , pouvant suggérer « la Naissance de Vénus », tempera sur toile 172,5 x 278,5 cm, de Sandro Botticellei, 1486, Florence, Galerie des Offices. Citation originale d'Homère: « C'est Aphrodite, la belle et la vertueuse que je veux chanter/ Le souffle du vent l'a portée/ de l'écume jaillissante et par dessus la mer profonde/ jusqu'à Chypre son île aux rivages frangés de vagues. »

  Le lieu légendaire où la déesse venant de Cythère émergea de la Mer se situe effectivement sur la côte occidentale de Chypre, à Paphos, au niveau d'un groupe de rochers connu sous le nom de « Petra tou Romiou ».

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