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9 octobre 2009

Rêves partis, par Jean-Michel Faure

JMr_ves 

Rêves partis

 

 Bientôt 6H00, M’sieur Jean... Pouvez finir vot’ verre ? On va fermer.

J’avais pas répondu... tout juste contesté en soupirant un peu. Je serais bien resté quelques verres de plus pour esquisser d’autres rêves, mais comme chaque matin j’avais un rendez-vous. Elise, je sais que tu m’attends.

L’instant était venu de rejoindre l’aube pâle et d’affronter la vie... Une vie désormais qui s’était maquillée en manière de brouillard. Elise tu me manques, tu me manques beaucoup... Il est où le bonheur ?


Dernières brûlures de rhum, dernières notes de jazz, ultime coup d’œil las à des marins malais qui gueulaient au comptoir. Des hommes usés, perdus, qui espéraient encore mêler leur sueur grasse au parfum bon marché que portaient plutôt bien deux filles couleur de thé. Deux malgaches aux seins lourds, aux jambes infinies... à la jeunesse ruinée. Elise regarde pas... je suis comme ces marins !

Et la musique cessa. Miles Davis s’était tu... d’un seul coup... violemment. Résonnèrent dans la salle quelques clameurs hostiles et le bruit de verres vides cassés avec dépit. N’aie pas peur Elise ! C’est juste de la fureur.

Il était temps de fuir tous ces visages hâves qu’une lumière violente, figée... presque métallique, se plaisait maintenant à vouloir déformer. Pardonne-moi Elise, c’est pas très beau à voir... Je suis pas beau à voir !

— A ce soir M’sieur Jean ! Merci pour l’pourboire.

 

Alors j’étais sorti dans la rue de poussière pour m’éloigner du bar devenu inutile. L’aurore m’y attendait en nuances dorées, fragiles, presque légères. Et là-bas, tout là-bas, tout au bout du chemin, les premières rumeurs de l’océan Indien. Elise, ton océan, celui de toute ta vie !

 J’allumai un cigare.


Et puis j’avais marché. Trois cents mètres de terre sale et de sable mêlés. Et déjà la touffeur qui m’incendiait la peau ! Si tu savais Elise, comme il est éprouvant d’être un homme penché. Chancelant, lentement, j’avais rejoint la plage pudiquement voilée, derrière des filaos* aux silhouettes blafardes qui semblaient découper les racines du ciel. Un ciel immense et or. J’arrive Elise... j’arrive !  


Dernières foulées pesantes... L’océan était là. Un océan placide, bordé d’un lagon sage avec ses vagues légères qui jouaient avec le sable. Des vagues qui partaient et d’autres qui revenaient... Comme de tendres caresses qui ne cesseraient jamais. Pas le temps de m’attarder... j’ai peur d’être en retard, mais tout à l’heure Elise, je te montrerai çà !

J’éteignis mon cigare.

Encore quelques pas lourds avant de ressentir le parfum d’hibiscus et des bougainvillées, élégamment plantés en bordure du parc.

Cinquante mètres à peine. Elise, je suis tout près.

Et puis le portillon, qui donne sur le jardin, légèrement entre-ouvert. Simplement le pousser... Mais comme à l’habitude ce ventre qui me tiraille, ce ventre qui me fait mal, cette envie traversière de faire demi-tour. J’angoisse, Elise, j’angoisse. Et puis ces rares murmures qui s’élevaient là-bas, derrière des flamboyants à la frondaison dense... des murmures de vie... Des murmures cachés. Accorde-moi cinq minutes Elise, je ne me sens pas bien, je reviens tout de suite.

Lâchement, je m’étais écarté de la petite porte.... pas loin... quatre à cinq mètres, le temps de m’affaler sur l’épaule d’une dune à la fraîcheur futile. L’océan et le ciel à nouveau devant moi.

Par-delà la barrière de coraux roses et blancs, l’horizon s’étalait ; une ligne bleue et sombre, que des barques de pêche se plaisaient à griffer à coup de voiles blanches. Au-dessus du lagon un pétrel chassait. Plus au nord, un enfant s’amusait simplement avec du bois flotté. Tu te souviens Elise quand nous venions ici, tout semblait si heureux, le bonheur existait.

J’avais souri un peu. Un sourire fatigué. Ça va aller Elise.

Cinq minutes passèrent à quelques souvenirs près. C’est bon Elise, c’est bon, j’ai encore quelques forces ! Je m’étais relevé avec difficulté de mon lit sablonneux pour retourner alors vers la porte d’entrée. Mes tempes me martelaient et mon cœur tapait fort, mais j’avançais quand même. J’avançerai toujours.... Rassure-toi Elise... Je t’abandonnerai pas.

Le portillon franchi, j’avais suivi l’allée de graviers grisonnants qui, malicieusement, serpentait sans effort entre les flamboyants et les arbres fruitiers. Sur cette longue allée qui menait à la kaz*, je m’étais arrêté à peine quelques secondes, pour m’apprêter un peu. Je veux pas te faire honte Elise, je t’aime trop. Et la kaz apparut, superbe, en vert tendre. Ta kaz Elise, celle où tu vis et rêves désormais. Et enfin la varangue, ornée de lambrequins* à la couleur de paille, et puis là, ton visage. Je te vois maintenant... Elise, que tu es belle.

 Bonjour Annah.

— Ah, bonjour Monsieur Jean.

— Comment va maman ce matin ?

 — Votre maman va bien. Sa nuit a été douce, elle a très bien dormi. Regardez son visage, il semble si apaisé... Vous ne trouvez pas ?  

  Apaisé, détendu, oui vous avez raison... je le trouve magnifique.

 En revanche... le vôtre !

 Le mien ?

 Encore une nuit à boire, je suppose ? C’est vraiment pas sérieux.

 Ecoutez Annah... c’est simple, je n’en peux plus. Voir ma mère ainsi... si proche... si lointaine, vous devez bien comprendre que c’est terrible à vivre. Alors oui je me saoule... et je me fiche pas mal que ça soit moche ou bien. Moi ce que je veux juste, c’est pouvoir oublier qu’elle a tout oublié. Et dans ce «putain» de bar, et même si ça pue, et même si l’on ne vous sert que du mauvais alcool, j’y arrive Annah, j’y arrive ! Dans mes rêves éveillés mon Elise danse, elle chante, ma maman vit. Vous pouvez comprendre ça ?

Annah n’avait pas répliqué et c’était mieux ainsi... je ne l’écoutais plus.      
Le corps tremblant de pleurs, je m’étais rapproché du visage de ma mère que j’avais embrassé, longtemps, éperdument. Un visage serein aux rides à peine écloses, qui laissait apparaître un regard gaspillé, recherchant sans succès, quelque part dans le ciel, de simples souvenirs. Quelques morceaux de vie, Elise, c’est ça que tu recherches à t’en crever les yeux? Et moi qui peux rien faire !


 Au fait maman, j’ai écrit cette nuit un poème pour toi. C’est juste un quatrain... mais bon ! Tu voudrais l’écouter ? Enfin c’est comme tu veux !

 Et toujours son silence et ce regard perdu qui fixait maintenant sa robe de lin beige qu’un alizé fragile s’amuser à frémir. Putain de maladie, et pourquoi toi maman ?

 Bon, je vais te le lire quand même, tu vas voir c’est pas long. L’histoire... c’est notre Histoire, enfin... son épilogue. Cela dit, ce n’est pas du Rimbaud, mais ça m’a fait plaisir de jouer avec les mots, de dessiner des phrases, pour toi... rien que pour toi. Enfin, tu verras bien !

Je m’étais assis à côté d’elle... tout contre.  

 

« Sur cette plage blanche ou nous aimions venir,

 Il n’y a plus assez d’ombre pour que je m’éternise

 Mes rêves sont tous partis, comme tes souvenirs,

 Tu me manques maman... sans toi je lagonise. »

 

  Tu as aimé maman ? 

J’avais juste ressenti une étreinte délicate de ses mains sur mon épaule... Une douce pression. Elle m’avait écouté, j’en étais presque sûr. Je l’avais embrassé, à nouveau, longuement. Si tu savais Elise comme chacun de tes signes est une preuve de ta vie, alors je t’en supplie, ne sois pas économe.

 Ok, et maintenant une balade, ça t’dirait ? J’ai pensé que nous pourrions - si tu en as envie - nous promener un peu en bordure du lagon, là où s’aiment tendrement le sable et puis les vagues. Tu sais, c’est cette plage blanche où tu nous emmenais, celle tout au fond du parc, celle où nous nous baignions. C’est toujours beau à voir, tu sais ! 


Elle ne répondit pas, caressa mes cheveux et serra fort mon bras. « Maman tu te souviens de moi ? ». Mais elle s’endormit en m’offrant un sourire.

 Tu as raison Elise, dors, rien ne presse après tout. Les vagues attendront bien, demain... un autre jour !

 Oui. Un autre jour.

— Je t’Aime Elise, je t’Aime, ai-je sangloté.

*Filao : Arbre originaire d’Australie, introduit à la Réunion en 1768

*Kaz : Nom donné aux maisons typiquement créoles à l’île de la Réunion

*Lambrequin : Pièce d’ornement découpée soit en bois ou en métal, bordant un avant toit en saillie des kaz créoles

Jean-Michel Faure - Juin 2009

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Commentaires
J
La lecture de ce beau texte fait renaître chez moi des souvenirs enfouis de la Côte malgache, le filaos, les cases créoles et un certain parfum d'ylang-yland. Le tout sur fond d'un drame personnel émouvant.
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L
Bravo pour ce texte ciselé avait beaucoup de sensibilité. <br /> Félicitations à l'auteur pour le concours Calipso.
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N
C'est un texte toujours aussi émouvant, de la première écoute au mois de juin quand il nous a été lu par Jean-Michel à la lecture sur le blog. Merci pour ces instants d'émotion.
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