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22 octobre 2009

"Variations sur l'air de l'oiseleur", par Jean-Claude BOYRIE

Variations sur l'air

de l'oiseleur.

« Vas t'en et connais l'amour, puis tu reviendras me trouver. »

Djami.

PAPAGENO

 

A la mi-octobre, les premiers frimas sont venus. Oui, déjà c'est l'automne.

 Aussi t'es-tu empressé d'enfiler ton manteau de plumes. Il est léger, si léger....  Et puis, tu as remis la cage sur ton dos. Elle non plus ne pèse guère. Elle est vide à présent du petit peuple des oiseaux.

 Ils sont évanouis à jamais, enfuis comme les beaux jours, ces passereaux que tu capturais pour les revendre. Ne tente pas de repeupler leur prison d'osier, inutile pour cela d'apprêter la glu, de tendre à nouveau tes rets, ce serait peine perdue.

 Ne cherche plus à séduire la gent ailée en agitant ton grelot, ton charme a cessé d'agir.

 L'espace exigu de la cage ne retentira plus de mille cris d'oiseaux. Tu n'entendras plus l'appel en crécelle de la fauvette ( « tri tri tri »), ni le chant rythmé de la mésange (« tilidé, tilidé »), ni le doux murmure de la tourterelle (« rrou rrrou »). Finis la voix flûtée du rouge-queue (« tsssit tssissit »), le rire moqueur du pic-vert (« kia ki kak »), les aigres injonctions du rollier aux vives couleurs, le mélodieux gazouillis du rouge-gorge, et les trilles du chardonneret.

 Hier encore, restaient avec toi les deux « inséparables ». Ceux là sont fidèles au poste, parce que pour eux « amour » rime avec « toujours ».

 Tu gardes en toi l'image de ce couple de papegais, le mâle et la femelle à jamais blottis l'un contre l'autre : Papageno, Papagena. « Pa- pa- pa- pa- pa- pa- pa. » 

 Aujourd'hui, la petite perruche est morte. Si ce n'est de froid, Dieu sait de quoi : le fait est qu'elle n'est plus là. Depuis qu'il se retrouve tout seul, son petit compagnon n'a plus envie de vivre. Il se laisse ouvertement dépérir. Il ne sera bientôt plus qu'un misérable tas de plumes et d'os.

 Toi-même en as assez de ce pays, de ta vie errante d'homme-oiseau, de la vieillesse et de la mort, de tout et de rien, du vide et du trop-plein. Tu t'avises de suivre dans sa migration saisonnière un vol d'oiseaux sauvages. Tu veux entreprendre encore le voyage et pressens que c'est pour la dernière fois. Maintenant ton corps est fatigué, bon pour la réforme : tes articulations te trahissent, tes muscles te lâchent, tes ailes ne te portent plus. 

 Tu réussis tout de même à prendre ton essor : te voici filant dans l'éther azuré. Tu te mets dans le sillage des coquecigrues au dessus des flots bleus de la Méditerranée, admirant l'impeccable « V » de leur escadrille. « V » comme vol, « V » comme victoire et vie.

 Déjà s'annonce l'autre rive, un arc d'écume étincelant à l'horizon. S'ensuit une  longue plage de sable blond, puis vient l'interminable moutonnement des dunes, c'est le désert sans fin.

 Les échassiers connaissent la route, ils ont leurs repères secrets, savent parfaitement où se poser. Tu les imites, suis ces migrants, pour eux, tout est si simple ! Ism' el Ghart est le terme de leur voyage, une exception miraculeuse : verte oasis qui dément la solitude de l'erg.

 Au milieu d'une forêt de palmiers se devine la roseraie odorante. Tu t'approches de l'improbable point d'eau, hâvre de fraîcheur, source de vie, autour duquel s'assemblent hommes et animaux. Nul ne te demande qui tu es, ni d'où tu viens, ni où tu vas. Tu te trouves ici, maintenant, voilà tout. Un bédouin t'offre à boire en silence, te voici devenu son hôte. La noria grince, mue par un dromadaire étique. La volaille piaille, des marmousets jouent, les femmes accroupies t'observent derrière leur voile.  Ici, le temps n'a pas d'importance.

 La journée s'achève. Le crépuscule s'abat d'un seul coup sur Ism' el Ghart, projetant en lisière de  la palmeraie une intense lueur pourpre. C'est l'heure de la prière et des chants. Tu es l'hôte, l'étranger, le village honore ta présence. Tel verse dans ton verre un thé à la menthe liquoreux, sur-sucré, d'une hauteur inimaginable, tel autre te propose un doigt de liqueur de dattes.

 Un groupe de musiciens s'assied en tailleur autour de toi. La sérénade commence par une improvisation : le traditionnel « taqsim ». Juste une mise en bouche, quelques éructations instrumentales annonçant  la chanson qui va suivre. Le thème introduit par le soliste est bientôt repris par tout l'orchestre. C'est une lente mélopée qui se love, s'enroule et se déroule, sans début ni fin. Elle n'est autre que la mise en musique d'un poème très ancien, le « Porteur d'amour » d'Abou Nouas. Aux accents plaintifs du « naï » (flûte) succède le son plus aigre et nasillard de « l'arghoul » double hautbois taillé dans le roseau. Les cordes interviennent à leur tour, pincées par le joueur d'oud ou de « qânoun » (cithare). L'archet du violoniste râcle la fruste « rababa » (vielle à cordes). Le rythme est martelé par les percussions : sistre, cymbales, « tabla », « darbouka ».

 On te prie de mêler ton chant à cette harmonie finement ciselée. Tu ne peux te dérober à cette invite, mais n'as d'autre ressource qu'offrir à ton auditoire, en t'accompagnant du carillon, un air populaire de ton pays :

 « Femmelette ou donze-e-e-elle,

 c'est ce qu'il faut au Papegai !

 La douce tourtere-elle

 a-apporte le bonheur parfait

appor-te le bonheu-eur pa-a-arfait. »

 D'accord, ce n'est pas de la très, très grande poésie, mais au moins cela sonne juste. A partir d'une mélodie en apparence enfantine s'exhale un désir profond d'amour, l'aspiration à plaire et envoûter.  Cordes et vents reprennent tour à tour cet air en contrepoint, font de subtiles variations sur ce thème de tous les temps.
Papageno, Papagena,
Pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa.
L'homme et la femme.
Les principes mâle et femelle, opposés mais complémentaires, ne font que se chercher et se rejoindre.

Tels : « L'Occident et l'Orient, sans cesse en quête l'un de l'autre, doivent finir par se rencontrer ».

Notes et commentaires :

 Travail sur les perceptions sonores à partir d'un extrait de « Mozart l'Egyptien » (« Hamilu Lhawa Tahibou », sur l'air de Papageno : « Ein Mädchen oder Weibchen... », Virgin classics, 1997).

 L'idée de rapprocher d'une formation classique un orchestre oriental pour interpréter un thème de Mozart est de Hugues de Courson et Ahmed al Maghrabi. La citation finale est de R. Tagore. Illustration de l'auteur.

 

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