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27 mai 2010

Pause temporelle, par Danièle Géroda

dgmaronierPause temporelle

 

10, 20 ou 30 ans déjà ! Qu’est ce qui m’a poussé à revenir ici ? L’appel de la Garenne, sans doute, quand enfant, j’arpentais les chemins avec mes cousines, affublée d’un vieux pantalon réservé aux balades de découverte, chaussée de tennis vivant leur toute dernière vie et trimballant un sac, on ne sait jamais... si au hasard de notre avancée aventureuse, quelques champignons, clorosos, vesses de loup et rosés attiraient notre regard ! Ils savaient d’ailleurs bien se dissimuler sous les mousses : comme s’amusant à nous mettre l’eau à la bouche mais se dérobant tout à coup.

Aujourd’hui, la Garenne s’est fermée à tout visiteur, bloquant délibérément l’entrée de barbelés dissuasifs… Des buissons inhospitaliers lâchent leurs épines avec hostilité et ne m’encouragent pas à aller plus avant. La route me semble plus accueillante et m’invite à poursuivre jusqu’à la maison de maîtres, la seule survivante de « Cherdemont ». Du lierre intensément vert bronze continue de courir sur les murs graniteux, laissant parfois la place à une vigne vierge hésitante, aux tons mordorés. Leur présence me fait chaud au cœur… La fuite monotone du temps les a quand même autorisés à vivoter, ici, dans ce cadre qui se voulait enchanteur autrefois.

Une[CL1] flamme se rallume quand je me rapproche de la maison. Règne, toujours souverain, non loin de ce qui fut une grange, le majestueux marronnier. Combien d’aïeux a-t-il protégés sous son abondante toison ? Tandis qu’assis sous son ombrage, ils respiraient la fraîcheur, les journées un peu torrides s’écoulaient. Nous, les jeunettes, on jouait à la marchande avec les marrons gracieusement libérés par ses branches. Il est là, toujours aussi beau, campant un équilibre que beaucoup pourraient lui envier. Un léger balancement de son feuillage, comme pour me saluer, prouve que son avenir est encore là pour demain.

Et pourtant ! Sait-il que ce bruit alentour va contrarier ses doux projets d’éternité ! Non, ai-je besoin de penser ! Il a toujours envie de présider, aveugle et sourd aux défilés incessants de ces deux bulldozers inflexibles, violant la terre de ses ancêtres. Fort d’avoir vécu depuis tant et tant de temps, fort d’avoir échappé aux tempêtes, fort d’avoir abrité et bercé des couples de tourterelles, il ne peut se sentir prêt pour la chute vertigineuse. En m’approchant de son tronc noueux, je reçois comme un souffle de bien être, caresse d’une légère brise, nouvelle source de vie.

Et voilà que tout s’agite autour de moi ! Une fenêtre s’ouvre… Je devine Berthe, assise derrière le rideau fleuri, le visage martelé par les ans, mâchouillant ses joues au rythme de la comtoise de la cuisine. Les mains calleuses retiennent la pèlerine qui protège ses frêles épaules arthrosées. Son regard pétillant contemple ce partenaire feuillu comme pour lui faire la pige. «  Qui de nous deux quittera la scène le premier ? » Question chargée de tendresse complice.

Mais la vision s’évanouit derrière une fenêtre sans vitre, sans rideau. La comtoise n’égrène plus que des heures sans lendemain. Le rocking-chair ne se balance qu’au gré des courants d’air ! Le marronnier, quant à lui, notre marronnier marmonne, j’en suis persuadée, au gré du vent, une douce supplique : « Hommes ! Laissez-moi vivre ! »

Danièle Geroda

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