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12 février 2011

Les badauds de l'avenue B, par Roselyne Crohin

Piste d'écriture: des personnages et leur environnement, portraits croisés.

Les badauds de l’avenue B

Quand elle appuie sur le déclic de son appareil photo, elle sait aussitôt qu’elle tient là un cliché emblématique qui s’arrachera dans les salles de rédaction. Tendu à bout de bras, l’objectif a vu à sa place ce qui se joue là, un matin de janvier, avenue B, dans une certaine capitale.

roselynebadauds

 

 

 Vers quoi convergent ces regards ? Que signifient ces mines incrédules ? Ont-ils conscience, ces badauds, d’arborer sur leur veston ou leur pardessus des blasons bien particuliers, rehaussés de rouge ou de dorures ?

 Dans le cadre, on compte bien une quinzaine de personnes, mais on devine, aux têtes coupées, qu’ils sont quelques-uns de plus à se presser là, hors champ. Parmi tous ces visages jeunes ou vieux, tranche un seul visage de femme, nimbé d’une lumière dorée à travers le filtre d’un léger voilage. Une belle femme, visiblement tout à fait à l’aise au milieu de cet attroupement masculin. Deux géants, de part et d’autre, semblent équilibrer la composition. Celui de gauche, septuagénaire au moins, a fière allure avec son calot grenat qui s’harmonise avec son pull-over. Le géant de droite est un grand efflanqué au teint basané, de 25 - 30 ans, à la mise beaucoup moins étudiée que celle de son aîné. Rien que ces deux là nous renseignent assez bien sur leur origine. Et donc, si la scène n’a pas été prise à Marseille, à proximité de la Porte d’Aix, alors, il y a de grandes chances qu’elle se soit déroulée de l’autre côté de la Méditerranée.

 Mais que font toutes ces lettres à l’envers ? Pas de doute, il s’agit d’un reflet, d’une image donc ! Où se trouve l’original ? On sent qu’il est là, à portée de main, de regard, mais il nous échappe. On est dedans et dehors à la fois. Le sujet ou plutôt l’objet des regards se dérobe. Qui se joue de qui dans ce miroir ?

 Est-ce la façon détournée qu’il a choisie, ce mystérieux objet des regards, pour apparaître en pleine lumière ? Il ne pourrait donc se montrer que masqué ! Mais, ne tournons plus autour du pot. Il s’agit bien de livres. Même écrits à l’envers, on les a bien reconnus. Est-ce d’avoir été si longtemps confinés qui leur donne aujourd’hui cet incomparable éclat ?

 Et tous ces regards dans la même direction ! Ils sont comme médusés. Ces moues dubitatives semblent dire : «Je n’y crois pas », «Pince-moi ». Mais pas un mot entre eux. Pas d’échange. Pas de connivence. Pas encore. Trop tôt !

 Mais ces gens-là sont-ils mirage ou réalité ? Sont-ils passés de l’autre côté du miroir ?


Photo parue dans Télérama du 26 janvier 2011 et légendée : « Devant la librairie Al Kitab à Tunis, qui met en vitrine des livres interdits par l’ancien régime »

 

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Commentaires
J
L'Histoire ne s"écrit pas qu'en Tunisie... nous avons beaucoup à apprendre de ces mouvements spontanés qui éclosent comme des fleurs de l'autre côté de la Méditerranée. Le rôle de la Presse écrite -et la redécouverte du livre, trop longtemps censuré - sont tout aussi essentiels que celui des nouvelles technologies. On pense aux pompiers pyromanes de Fahrenheit 451. Et ce n'est pas une oeuvre de fiction ! <br /> J.-C. B.
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