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4 mars 2011

Vertumne & Pomone, par Jean-Claude Boyrie

Vertumne & Pomone.

(Pastorale)

GUIRLANDE

Ouverture :

Le théâtre figure un jardin orné de buissons de fleurs. Les nymphes louent la fertilité et l'abondance que donne Pomone aux vergers. Les arbres sont chargés de guirlandes, d'instruments agrestes & autres offrandes pastorales. Un buste de pierre enlacé de rosiers, tout paré des armes de l'amour, indique assez le sens de cette allégorie.

                                 Prologue :

Cette histoire se passe en des temps très anciens. Pomone, la Dryade aux belles mains, s'est enfermée en son jardin, dans le souci de fuir la déplorable entreprise des divinités champêtres, toutes empressées à la séduire. Que n'ont tenté, pour venir à bout de la nymphe, les Satyres, amis de la danse et les Pans cornus, couronnés de pommes de pin ? Vertumne, qui préside au déroulement des saisons, a vertu de changer à sa convenance et de forme et d'apparence. Le dieu va recourir pour approcher Pomone  au stratagème que lui dicte un amoureux penchant. Il prend les traits d'une vieille femme ridée, appuyée sur son bâton, fait à nymphe maints compliments et la couvre de mille caresses (1).

 VERTUMNE

Acte premier :

Pomone, au début sans méfiance, accepte les avances de sa visiteuse. Ensuite, s'étonne vite de l'inconvenance de ses propos. L'étrange déclaration que lui fait cette créature décrépite, aux cheveux blancs, lui paraît d'autant plus incongrue qu'elle naît d'une bouche édentée. Comme ils pèsent lourd, ces mots d'amour échappés de ses lèvres fanées ! Pomone réagit avec indignation :

« Je ne suis pas amoureuse de vous !

 - Ah, bon ? »

La vieille femme a répondu sur un ton narquois, pourquoi, pourquoi, cette insistance ? Ô dieux ! Daignez trouver odieux que Vertumne, dont la nymphe a repoussé les avances, se gausse à présent d'elle avec tant d'impudence !

Ritournelle :

Cette folie qu'on pardonne aisément aux amants, à vingt ans, le printemps de la vie, ne garde pas longtemps l'attrait du fruit défendu. Prenez garde, galants, à ce fait reconnu, que l'ardeur des passions s'estompe avec le temps. Émanant d'une personne âgée, la manifestation de ces doux sentiments risque le plus souvent d'être fort mal reçue.

Menuet :

Pomone, la dryade jardinière, est jolie, on la dit étourdie aussi. Les plis de sa robe légère au ton orangé voyant et du fichu jaune éclatant scintillent à la lumière crépusculaire. La fée du logis, c'est elle, gracieuse châtelaine de cette Folie. En la nature experte, elle a, comme on dit : « la main verte ». Au milieu des parterres et des boulingrins, elle-même a créé ce jardin, aménagé le potager, planté le verger, érigé l'orangerie. Dans le panier de la nymphe s'étale la récolte du jour : pommes de variétés anciennes et goûteuses, poires juste cueillies fondant sous la dent, mélange d'oranges étranges et autres cédrats au délicat parfum acidulé et fin. 

                        Chaconne (ou passacaille) :

La nymphe caresse avec chaleur les fruits de son labeur ; sans rancune aucune envers Vertumne, elle lui propose chacune de ces friandises, une à une à sa gourmandise promises.

« Vous plaît-il d'en tâter ? »

À cette marque de libéralité, non dénuée de perversité, le dieu déguisé répond par un geste irrité :

« Que nenni ! Ces fruits, que vous trouvez si beaux en votre corbeille, je n'en ai que faire. Ils sont en vérité tout gâtés. Voyez comme cette poire, appétissante du dehors, est déjà blette au dedans. Cette pomme tombée, intacte apparemment, présente un point de flétrissure, obscur conduit par où le ver s'est introduit. Ces oranges, si appétissantes qu'elle soient, ne vont pas tarder à moisir... »

Ce disant, Vertumne laisse son regard errant flotter nonchalamment sur son corsage entrebâillé.

Ce doux spectacle attendrit l'amoureux éconduit. Pomone enfin lui sourit :

« Que pensez-vous de ces deux petits coquins ? », demande la coquette.

Vertumne, au lieu de sauter sur l'occasion, entreprend un ennuyeux sermon sur les mamelles :

« Sachez que tôt ou tard, ces deux rondeurs jumelles flétriront à leur tour, ma belle !

     Air gai et gracieux :

      Vous êtes jeune, on vous adore,

        mais vous êtes soumise au temps.

Comme la fleur qui vient d'éclore

vous ne compterez qu'un printemps ! (2) 

           Récitatif :

Pomone enrage intimement. Décidément, cette Vertumne est par trop importune. La nymphe soupire et pour mieux s'étourdir, laisse virevolter son voile au vent léger. Le doux zéphyr fait tournoyer l'ombrelle sur sa tête. À quoi bon s'inquiéter, pour le moment ? L'heure n'est-elle pas au divertissement ? Tout passe, le présent est fugace... L'avenir importe peu, aux yeux de qui peut savourer l'instant. 

 

Acte deuxième:

La jeune fille s'enfuit parmi les charmilles. Le trajet fourmille de mûriers en quinconce et de micocouliers. Une façade en buis, taillés « à palissade » enferme la dryade. Au milieu de ce labyrinthe végétal, espace clos, Vertumne a bien du mal à la suivre... Pomone pourtant croit reconnaître sa voix, douce et moqueuse à la fois :

Qu'attendez-vous ? Voyez ces charmantes retraites :

c'est pour l'amour qu'elles sont faites....(2)

La nature aux bosquets prodigue tous ses charmes. L'eau qui sourd aux larmes de pierre du nymphée mêle son chant au concert des oiseaux. On donne ce soir après dîner une pastorale de Monsieur de Boismortier. L'air est tout plein déjà du son des violons annonçant la manifestation. Les tambourins bataillent, les cordes piaillent. Théorbe et viole de gambe ont une manière particulière d'imiter la gent ailée, bruits que sait rendre aussi la flûte traversière. Il règne une atmosphère de galanterie en ce lieu béni des dieux. Le public rend hommage au tendre badinage, qui fait si bel effet au son de la musette et du flageolet (3). Le choeur des spectateurs en goguette invite Pomone à rejoindre la fête.

Choeur :

Venez sous ces berceaux prendre part à nos jeux,

vous goûterez un bonheur sans alarmes : 

tant de rigueur sied mal où brillent de tels charmes.

Venez rendre un mortel heureux ! (2)

Un théâtre en treillage où s'enroule une vigne... Cette éphémère architecture en grillage et tentures délimite un salon de musique en plein air. Ce coin discret n'en est pas moins le point de ralliement de la bonne société. Les gens de qualité se ressemblent et s'assemblent en fonction de leurs affinités sur les bancs de pierre, entre les statues, les arbres couverts de lierre, parmi les boqueteaux, les corbeilles de fleurs, à même les pelouses... Ô divine p....ouse (4), les couples un peu partout s'égaillent. La nymphe détourne les yeux de ce spectacle... une voix bien connue amèrement la raille :

Ariette :

Quittez, belle Pomone, une fierté cruelle !

vous avez à vos pieds le plus doux des amants

attentif à vous rendre un hommage fidèle.

Ne vous dérobez plus à ses empressements. (2) 

La farouche Dryade, qui se croyait seule au milieu des frondaisons, se retourne soudain. La voici nez-à-nez avec un inconnu, quelqu'un qui l'a suivie dans sa fuite éperdue :

« Mais enfin, qui êtes vous, Monsieur ? Ne me touchez pas, sinon je crie !

  - Vous ne me reconnaissez donc pas, belle Pomone ? "

Étrange duperie ! Autant d'effronterie étonne la friponne. Cette voix qui se veut enjôleuse lui rappelle sa visiteuse. Plus de doute à présent : son poursuivant, c'est Vertumne en personne. Le dieu concupiscent a retrouvé les traits d'un bel adolescent pour approcher l'objet de ses feux. Quel audacieux !

Pomone rougit. Un reste de pudeur calme encore ses élans. Le ton de Vertumne se fait de plus en plus caressant. La nymphe cesse de résister, son coeur s'émeut, son corps tressaille, elle déclare même :

«  Vous aviez raison, Vertumne, je vous aime ! »

THEATRE

Notes & commentaires :

   1/. D'après les « Métamorphoses » d'Ovide , XIV, 622 – 630 .

  2/.  Livret de l'opéra de Joseph Bodin de Boismortier : « Vertumne et Pomone ».

  3/.  Pierre-Louis d'Aquin de Château-Lyon : « Siècle littéraire de Louis XV », 1753.

  4/.   Interrpolation hasardeuse.

Illustrations :

Jean Ranc (1674 – 1735) : « Vertumne et Pomone », vers 1710 – 1732,

huile sur toile 171,8 x 119,5 cm, musée Fabre, Montpellier.

ci dessous : décor baroque pour le palais de Vénus dans les « Fêtes de Paphos »

 

 

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