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19 octobre 2011

Une histoire de clocher«, par Jean-Claude Boyrie

« Au bout du chemin » - épisode 4

Une histoire de clocher.

Clocher 

Paris, 27 septembre 1981, midi net.

Paul Sallenave venait juste de rentrer chez lui. Ouvrant sa boîte aux lettres, il eut la surprise d'y trouver la réponse (positive) de Madame Dupuch, postée la veille. Un bon point pour la Poste, en cet heureux temps où le courrier ne mettait qu'un jour à traverser la France. Selon sa logeuse, il y avait toute la place qu'on voulait dans les Gîtes de Barsacq-sur-l'Eyre à cette époque tardive. Rien d'étonnant à cela. Le temps des vacances était révolu, même pour les oisifs et les retraités.

Qu'il fût ou non son dernier client de la saison, Paul était également sensible à la proposition de cette dame d'aller le chercher à l'arrivée du train. Franchement, il n'eût jamais osé le lui demander, mais tant qu'à faire, pourquoi pas ? Il faut croire que, dans les petits pays, les gens sont plus serviables qu'à Paname ! Sa correspondante avait-elle deviné que lui-même était originaire de Barsacq- sur-l'Eyre ? Rien de moins probable. Depuis tant d'années qu'il ne s'était pas rendu dans le village, il s'était fait largement oublier. Nul ne pensait plus à lui... sauf peut-être son ancienne copine Maïté... Mais Paul n'était même pas sûr qu'elle habitât encore à Barsacq.

L'homme mûr qu'il était devenu se revoyait, jeune étudiant, débarquant sur le quai de la gare d'Austerlitz. Personne alors n'était venu l'attendre. Paul avait rejoint tout seul, en traînant ses bagages, sa chambre d'internat au lycée Henri IV. Puis, s'étant effondré sur son lit, sans dîner, il avait dormi comme une souche

Le lendemain matin, brillant comme un sou neuf, il avait eu la fierté de se présenter à Monsieur Puyau, son futur professeur de Lettres classiques en Première supérieure – on commençait à dire : « hypokhâgne ». Ludovic Puyau , Barsacquois d'origine, était un des meilleurs amis de son père. Il avait largement favorisé l'admission de Paul dans son prestigieux établissement parisien, espérant que les mérites futurs du jeune homme feraient oublier le « coup de piston » dont il avait bénéficié. Au parloir, il eut pour lui des mots encourageants. Le maître espérait bien que son protégé passerait avec succès le concours de l'École Normale Supérieure. Ce mis à part, Sa très-courtoise-Notoriété lui fit sentir qu'elle entendait désormais tenir les distances.

- Mon petit Paul, fit-il d'un ton paternaliste, c'est la dernière fois que je te tutoie en ce lieu. M'as coumpreu ?

Son jeune interlocuteur acquiesça sans même lever les yeux.

  - Oui, Monsieur.

  - À la bonne heure. S'il m'arrive de temps à autre de lâcher trois mots de Gascon, reprit Ludovic, c'est pour retrouver mes racines parmi les cours de Latin et du Grec. N'oublie jamais le parler de ton village, fiston. N'en rougis pas comme s'il s'agissait d'un vulgaire patois. Une langue qui descend des troubadours a ses lettres de noblesse, mordiou !

Il y avait des trémolos dans sa voix. Il radoucit le ton pour conclure :

  - Aie confiance en toi, pitchot, la vie a ses hauts et ses bas, tu connaîtras forcément un jour quelque moment de débine. Lorsque tu seras sur le point de sombrer, pense à ton village et tu surmonteras l'épreuve. Ferme à présent les yeux... qu'évoque pour toi Barsacq ?

  - Ma foi, rien de très original. Je vois des maisons blotties autour d'un clocher qui dépasse.

  - Oui, com un gran clau puntat dens lou nuatye. Comme un grand clou fiché dans les nuages..

Le clocher pointu de cette église sans caractère évoquait plutôt pour Paul une seringue juste bonne à piquer les fesses des anges. Il garda sa réflexion pur lui. Son mentor, en veine de poésie, n'eût guère apprécié une comparaison aussi irrévérencieuse.

  - Ce clocher, reprit-il, émergeant de l'océan des pins, c'est un « amer », un repère à l'usage des marins perdus. Quand tu bourlingueras, ne le perds jamais de vue.

  - Oui, Monsieur.

Le sermon était terminé. Ses désarrois mis à part, l'élève Sallenave ne se montrait pas contrariant.

Par la suite, il fit tout pour mériter la confiance de son maître. Il travailla dur et termina l'année premier de sa classe. Ludovic Puyau lui proposa même de travailler avec lui. Il craignait que son recueil de poèmes en gascon ne restât longtemps inédit, car doutant que son manuscrit pût être un jour publié. « D'abord, expliqua-t-il, la poésie en général ne se vend pas. Ensuite, personne ici n'entend le gascon. Il faudrait traduire mes textes en français et je n'ai pas franchement le temps de m'en occuper. C'est pourquoi j'aurais besoin d'un assistant qui mette ces poèmes en forme avant que ne je les propose à un éditeur... J'ai pensé à toi, fiston. Si cette mission te plaît, je t'embauche illico !. »

Oui, cela convenait à Paul. Il dit à son maître qu'il acceptait sa proposition avec fierté, fourra les précieux feuillets dans son cartable, les lut attentivement et se mit immédiatement à la tâche. Un d'eux surtout retint son attention : il s'intitulait « Dimenye », c'est-à-dire « Dimanche » (1). Paul le garda toute sa vie gravé dans sa mémoire, ainsi que le commentaire qu'il en fit :

« On entend d'abord « le son lointain d'une cloche sur la lande endormie » . Ce thème revient par la suite comme un leitmotiv. On découvre, serpentant dans la forêt, quelque chemin de résinier, sente étroite, sinueuse, bordée de mousse, au milieu des fougères et de la bruyère en fleurs. Les fleurs renvoient aux reposoirs, que l'on disposait naguère à la croisée des chemins durant la Semaine sainte et que l'on aspergeait d'encens lors des processions. La scène se déroule un matin de printemps, lumineux et frais, comme souvent à Pâques fleuries (le jour des Rameaux). Une pâle lumière s'infiltre à travers les frondaisons, accentuant l'atmosphère religieuse du lieu.. Les rayons du soleil allument sur la « care » (entaille au flanc d'un pin fraîchement gemmé) une lueur comparable à la flamme d'un cierge. Trois enfants d'une même famille suivent ce chemin pour se rendre à l'office. C'est là que le mystère commence. L'un d'eux, le plus jeune, n'arrivera pas à destination. Fugue ? Accident ? Enlèvement ? Nul ne le saura jamais. On entre ici dans le domaine de l'étrange et du faux-semblant. Les notations cryptées s'accumulent. L'auteur brouille les pistes comme à plaisir. Il évoque juste cet enfant disparu sans laisser de traces, petit fantôme au visage pensifs'évanouissant parmi des fleurs coupées. Ses yeux mi-clos sont tournés vers l'intérieur, ou l'au-delà d'une lueur orange ardente. »

 ENFANT

Les choses se compliquèrent lorsque Paul entreprit d'adapter le texte en français. Certaines subtilités du gascon passaient mal dans sa traduction, trop académique. Il se découragea, ce ne serait jamais qu'un travail de potache, cela « sentait l'huile ». L'élève ne parvenait pas à rendre la verve bouillonnante du maître. Il déchira sa copie et donna libre cours à sa propre inspiration. Inconvénient : le résultat final n'avait plus rien à voir avec le texte d'origine. « C'est toi qui as commis ça ? » s'indigna Ludovic Puyau lorsqu'il découvrit la nouvelle version, intitulée  :« Ce dimanche à Pâques-fleuries ». Le vieux professeur s'arracha les derniers cheveux qui lui restaient, admonesta son protégé. Si ce garnement voulait un jour écrire, il devrait d'abord apprendre à lire.

Paul, vexé, n'insista pas. Il conserva précieusement les poèmes, renonçant à en faire quoi que ce soit. Ils dormirent des années dans le fouillis d'un tiroir. Un jour le hasard d'un rangement les fit retrouver à Paul, preuve qu'il y a une providence pour les gens brouillons. Certaines images de « Dimenye »lui revinrent : elles renvoyaient à des gens qu'il avait fréquentés, des lieux qu'il avait connus.

Par la suite, Paul vit d'autres lieux, d'autres gens, écrivit ses propres livres et oublia le passé. Il se maria, n'eut pas d'enfant. Sa vie conjugale fut aussi chaotique que sa vie d'auteur. Martine le quitta, sans raison, croyait-il. Il y en avait forcément une, qu'il ne chercha pas, persuadé que lui-même n'avait aucun tort. Puis, ésemparé, Paul alla noyer sa solitude dans le Triangle des Bermudes [2).

Ludovic était mort entre temps. Du fond de sa tombe,il eut pitié du « garnement » devenu naufragé de la vie et qui lui lançait un ultime S.O.S. «Allô Papa Tango Charly. Message reçu cinq sur cinq. Courage, pitchot ! Mets le cap sur le clocher de ton village et tiens bon les commandes ! »

(À suivre....)

Illustrations :

Clocher de Pissos (Landes (carte postale ancienne).

Odilon Redon : « L'enfant », pastel offert à Stéphane Mallarmé.

Notes :

(1) Ce poème est en réalité un texte inédit de Michel Gieure, poète landais, écrit en gascon au début des annnées soixante, adapté en français par l'auteur.

(2) « Allô Papa Tango Charly » : Paroles et Musique de Mort Shuman.

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