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26 octobre 2011

L'heure du rendez-vous, par Danièle Geroda

L’heure du rendez-vous

papetteire2Le dernier client vient de payer. Encore quelques billets à enregistrer avant de refermer le tiroir caisse. En vertu du souci du détail qui la caractérise, même aujourd’hui, Annette s’applique à compter, recompter et empiler, avec soin, les liasses de billets manipulés toute la journée. Quand elle entend la porte de la boutique se refermer et qu’elle se retrouve enfin seule, un léger pincement à la poitrine la ramène à ses pensées.

Il va être dix huit heures. Elle ne rentre pas ce soir.

En cette fin de semaine chargée, avec le défilé des parents et enfants venant récupérer les derniers livres scolaires, avec ces jeunes intéressés par les derniers sacs à la mode, les trousses de marque et les stylos lumineux, dernier cri, Annette n’a pas eu une minute pour souffler. Au moins pas la préoccupation de se perdre dans des réflexions stériles, pense-t-elle.

Dix huit heures dix, à l’horloge de la librairie. Elle ne rentre pas ce soir.

Elle griffonne d’une main mal assurée quelques annotations importantes, assurément, pour sa collègue qui ouvrira la boutique lundi et lui glisse aussi, dans l’enveloppe bulle, la clef du magasin. Elle ne veut pas avoir le temps de pousser jusqu’à la demeure de sa collègue, celle-ci possède déjà un trousseau de clefs. Elle ne veut pas, non plus attendre le patron, qui ne manquera pas de passer pour mettre dans le coffre la recette du jour. Comment pourrait-elle avouer avoir, une nouvelle fois, prélevé de l’argent dans la caisse ?

Désormais l’enveloppe, à peine visible, se trouve emprisonnée derrière le rideau de fer.

Il est dix huit heures vingt. Le temps presse. Elle ne rentre pas ce soir.

Il ne lui reste plus qu’à récupérer sa voiture, garée non loin de là. La sortie des bureaux risque de provoquer des embouteillages sur l’avenue de Limoges. Ce serait trop bête de rater le coche. Lui, il n’attendra pas.

Dix huit heures trente, déjà. Elle ne rentre pas ce soir.

Son cœur se serre brusquement en pensant à Gillou, son fils. Il n’a pas bien compris, ce matin, pourquoi elle l’embrassait à presque l’étouffer. Ce soir, quand il rentrera de l’école, elle ne sera pas là, pour lui. Mais son père trouvera bien le moyen de les faire patienter tous les deux. . . Même si l’attente restera vaine.

Car, elle ne rentre pas ce soir.

Puis un haut le cœur insupportable lui fait fermer les yeux. Un dégoût mêlé de honte l’assaille, tout à coup, quand le visage de sa fille Noémie lui envahit la tête. Comment Noémie a-t-elle pu encore aujourd’hui,  lui soutirer, au magasin, autant d’argent ? Pourquoi personne ne peut-il résister à cette intrigante, devenue complètement étrangère depuis ses rendez-vous quotidiens avec la drogue ? Pourquoi le père fuit-il ses responsabilités ?

Dix huit heures quarante cinq. La circulation est fluide. Elle ne rentre pas ce soir.

La journée a été ensoleillée. Mais maintenant Annette frissonne sous sa veste de tweed rouge et blanche, réservée aux jours de fête. C’est Pierre son mari qui la lui a offerte pour ses quarante ans. Elle a enfilé aussi, ce matin, le pantalon de toile rouge appartenant à Noémie et qui allait si bien à celle-ci du temps où tout allait bien, d’ailleurs.

La Brionne, encore quelques kilomètres à parcourir.

Il est dix neuf heures ! Elle arrivera à temps. Elle ne rentre pas ce soir.

La décision est prise. Elle part. La voiture vient de passer devant la petite gare de la Brionne. Encore un kilomètre et elle s’engage dans le chemin de la butte, puis s’arrête. Avant de descendre de la voiture, Annette sort de son sac une enveloppe blanche qu’elle pose sur le tableau de bord.

tgv-atlDix neuf heures douze.

Le Bordeaux Genève arrive à vive allure.

Il était temps.

Elle ne rentrera plus ce soir ni les autres soirs.

 

Sur l’enveloppe blanche est écrit parfaitement calligraphié.

Pardon à tous ceux qui m’ont aimée.

Danièle Géroda                               10 octobre


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