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7 novembre 2011

La Lucane par Jean-Claude Boyrie

« Au bout du chemin » - épisode 8. « La Lucane »

 LUCANE

Souviens-toi, Paul, de nos mille promesses. Au jour de ton départ, nous en avons tant fait, qui ne furent jamais tenues ! Naïve que j'étais, comment aurais-je pu croire que rien ne résiste à l'épreuve du temps ? Que nos chemins s'étaient séparés sur ce quai de gare, et que je t'embrassais pour la dernière fois ? Toi parti, je n'avais plus personne sur qui m'appuyer.

Tu me chantais alors : Alouette, gentille alouette, je te plumerai la tête... et le bec... et les yeux... et le reste. Ton alouette, hélas, battait de l'aile et n'avait que les yeux pour pleurer.

Ce jour-là, pour ne pas gâcher l'instant des adieux, je ne t'avais rien dit de mon état. Depuis quelque temps, les signes avant-coureurs ne manquaient pourtantpas : retard de règles, malaises... bientôt viendraient les premières nausées, voilà qui eût pas manqué d'alerter toute autre plus mûre que je ne l'étais. C'est progressivement que je pris conscience du processus qui s'opérait dans mon corps. J'avais honte de moi-même..... L'amour, acte si naturel entre nous, me rendait coupable aux yeux des gens bien pensants. Au village, on ne badinait pas avec les bonnes moeurs. Je réalisai que nous avions commis une grosse grosse bêtise. Rappelle-toi, Paul, comme on nous grondait lorsque, étant enfants, nous rentrions à la maison barbouillés de résine. De faire l'amasse à faire l'amour, il n'y avait qu'un pas, vite franchi. Sauf que moi, j'étais vouée à l'opprobre, alors qu'au pire on dirait de toi avec un clin d'oeil entendu: « Ce  Paul , quand même... quel chaud lapin ! »

 Crois-moi, si c'étaient les hommes qui devaient porter les enfants dans leur ventre, ils feraient plus attention....

À Barsacq, les femmes comme-il-faut toisèrent celle j'étais devenue à leurs yeux : une fille comme-il-en-faut. Leurs maris et leur progénitureriaient sous cape à mon passage en me montrant du doigt. Monsieur le Curé ne levait pas le nez de son bréviaire et rougissait en me croisant. Il dégrafait, sous son double menton, le col de sa soutane noire aux petits boutons sagement alignés ; se délectant d'avance des détails croustillants que je lui donnerais à confesse. Il en fut pour ses frais. Quoique bonne paroissienne, je n'avouai que des broutilles. Le confessionnal est à l'âme ce que la toilette est au corps et la bugade au linge. On en sort tout blanc, tout propre, jusqu'à la fois suivante.  « J'ai menti, j'ai désobéi ». Bien, ma fille, pour ta pénitence, tu diras trois Pater et deux Ave. « Mon père, j'ai fort niqué ». Que dis-tu là, ma fille ? Sais-tu que le péché de chair t'exclut de la Sainte Table ?  J'évitai le sacrilège et me passai du secours de l'Église. Il n'y avait d'ailleurs pas moyen de faire autrement. Est-ce qu'une fille paraît à la messe avec un gros ventre et pas de mari ?

Paul, j'avais besoin de ton aide, et tu n'étais pas là.

Avant d'en arriver là, je résolus de tout dire à mère... ce fut un moment difficile pour elle et pour moi. Lorsque j'eus fini mes aveux, il y eut un lourd moment de silence entre nous. Elle ne me fit aucun reproche. Maman pensait que si des choses comme ça arrivent, c'est que la Providence l'a voulu, même si nos actes y ont largement contribué.

Il fallait faire face à la réalité. Mère avait les yeux en face des trous.

Elle décida de cacher la situation le plus longtemps possible à son homme, tant qu'une certaine décision n'aurait pas été prise. Elle savait bien que Joannis piquerait une colère terrible en apprenant ce qui s'était passé. Il me disputerait très fort et ferait mine de me chasser de la maison. C'était un jeu de rôles convenu. Je serais la drolesse indigne qu'on fait sortir par une porte, et qui rentre par une autre. Maria-qui-pardonne-tout, serait la mère complice. Père ne céderait pas, il y aurait des éclats de voix, et l'on en serait quitte pour un nouveau tour. Tout cela ne mène à rien, se dit ma mère, il nous faut dire la vérité à Madame. C'était le parti le plus sage, bien qu'il nous en coutât.

Comprends-moi, Paul, je ne condamne pas ta famille. Les tiens étaient ce qu'ils étaient : des nuls, c'est ce que je pense aujourd'hui, mais qu'importe ? Laissons en paix ceux qui n'y sont plus. Je m'adresse à toi, mort-vivant dans mon coeur. Je ne te juge pas, je cherche juste à comprendre. À vingt ans, tu disais lutter contre l'injustice. Que sont devenues tes belles idées ? Tu récusais les notions de péché, de faute et patin-coufin, qu'as-tu mis à la place ? Trop faciles, mon ami, tes petits arrangements avec ta conscience !

Ce jour-là, me raconta plus tard ma mère, Magdeleine Sallenave n'était pas trop mal lunée. Elle avait même lancé à sa servante d'un ton guilleret : «  Eh bien Maria, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Je te trouve bien faible et pâlichonne en ce moment. Il te faudrait un bon remontant ! "

  - Que Madame me pardonne, mais je dois lui dire certaines choses tout crûment.

  - Allons, tu peux tout me dire ! Nous sommes entre femmes, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qui ne va pas ?

  - C'est rapport à Maïté. Cela fait deux mois qu'elle n'a pas eu ses affaires, sauf le respect que je dois à Madame.

  - Ah !!!!

La patronne était restée bouche bée, le souffle coupé. Reprenant contenance, elle susurra d'un ton fielleux : «  Si je m'attendais à celle-là ! Dire que je lui faisais confiance, à cette petite ! Moi qui étais si bonne avec elle .... Je lui aurais donné le Bon Dieu sans confession. »

Ta mère avait tendance à tout ramener à sa personne. Tu as de qui tenir, Paul !

Maria bredouilla quelques mots d'excuses, alors qu'elle était la plus à plaindre des deux.

« Je comprends l'émotion de Madame, mais je supplie Madame d'être indulgente. Nos enfants ont mis Pâques avant Rameaux, je ne dis pas qu'ils ont bien fait, pour ça non, mais ce n'est pas un crime, il faut bien que jeunesse se passe ! »

Magdeleine avait bondi :

« Comment, nos enfants ? Qu'est-ce que c'est que ce pataquès ? Qui te permet de dire cela ?  

La patronne bouillait d'indignation. Maman crut avoir proféré des insanités et précisa  :

  - Madame sait bien que Monsieur Paul et Maïté sont amoureux, cela se devine rien qu'à les voir. La chose ne date pas d'hier, mais depuis le début de l'été, ils étaient toujours fourrés ensemble, ces tourtereaux, même qu'ils ne se lâchaient plus d'une semelle.

  - Là, je rêve ! Ils ont fait lanlaire, qu'est-ce que ça prouve ? Comment peux-tu insinuer que l'enfant qu'attend ta fille est celui de Paul ? Il s'en est amusé deux mois, soit ! Est-ce qu'on sait tous les garçons qu'elle a fréquentés, cette traînée ? »

  Maman ne s'attendait pas à pareille sortie. Elle prit la mesure du fossé qui séparait nous-autres, petites gens, de cette famille huppée où nous n'avions notre place que pour servir.

Par la suite, elle se calma. Magdeleine vivait dans un cocon douillet, prisonnière de sa propre logique. Entre gens du même milieu, les choses auraient pu s'arranger. Il ne manquait pas à Barsacq d'unions conclues en catastrophe, tôt suivies par la naissance de petits prématurés, en fait de solides loupiots qui n'avaient nul besoin de couveuse. On s'en amusait, mais personne n'y trouvait à redire. Mais là, c'était autre chose : les Sallenave ne reconnaîtraient à aucun prix l'enfant à venir. Jamais l'orgueilleuse Magdeleine ne laisserait son sang bleu se mêler à celui des Laluque.

Au fait, j'ai fait des recherches généalogiques depuis lors. Les du Truc du Brana, c'est du pipeau, tu t'en doutais ? Ce titre nobiliaire, tombé en déshérence a été racheté par ton arrière-grand-père, marchand de vins, à la fin du Second Empire.

Revenons à l'essentiel. La patronne proposa de me faire accoucher chez les Soeurs de la Perpétuelle Épectase, en toute discrétion, disait-elle. L'enfant naîtrait sous X, il serait élevé par l'Assistance publique, et la morale serait sauve. Je refusai tout net et t'écrivis un long message, mille fois refait, qui ne te parvint jamais. Je reçus quelques lettres de toi. Ta correspondance s'espaça au fil des mois. Je n'y trouvai rien qui me concernât. Tu me parlais de ta vie à Paris, de tes nouveaux amis, de tes professeurs, que sais-je ...de tes « humanités »... Drôle d'expression, pensai-je, en n'espérant plus trouver quelque chose d'humain dans un monde qui ne l'était pas.

Il ne me resta plus qu'un recours  : « la Lucane ».

Tu dois t'en souvenir, la Lucane était la « faiseuse d'anges » du village. La vieille de Souryens avait le dos voûté, les doigts crochus, la coiffe nouée sous son visage, grêlé de petite vérole. Je la revois encore, pliée sous le poids des ans. On la comparait à ce coléoptère ayant « le cul plus haut que la tête » en marchant.

Ce qui se produisit ensuite, Paul, me fait horreur à raconter. La vieille sorcière emplit son office. Elle opérait à vif, et dans des conditions d'asepsie douteuse Il y eut une douleur fulgurante et du sang, partout du sang. Ne détourne pas la tête, tu es aussi concerné. Je me demande ce que diraient les mecs si on leur traversait le sexe avec une aiguille à tricoter. Bref, j'eus une hémorragie. Maman s'affola. Une fois de plus, il nous fallut nous humilier. Les Sallenave avaient des relations dans les milieux médicaux. Je fus bien soignée, et le scandale fut étouffé. Je me rétablis assez vite, mais le médecin m'avertit que je n'aurais plus jamais d'enfant. L'avorteuse clandestine ne fut pas inquiétée. Pauvre débris : elle a rejoint sa place en Paradis. Tes parents prirent en charge tous les frais. Ils étaient quittes avec leur conscience, car faisant partie des gens qui croient que l'argent peut tout.

Notre enfant, Paul, qu'avons-nous fait de notre enfant ? Il serait né au mois avril, praube angelèt.

DELATOUR

Georges Delatour, "la Madeleine à la veilleuse", h.s.t. 1,2 x 0,90 cm, Musée historique lorrain, Nancy.

À suivre....)

Sources :

L'image de la lucane (ou « cerf-volant », « catyote » en gascon – cf. illustration ci-dessus, tirée de Wikipedia – est empruntée au poème « Dimenye » de Michel Gieure, déjà cité.

Voici le texte d'origine :

« Le bielhe dou Souryens dap le coyfe en bonnet

Noudade sus un ten grelat per le picote,

Crouchide é cap mé bas qu'ou cu, com uë catyote

Qu'anèbe à pas hatiu, praube debris

Pressat d'ana retyene uë place ou Paradis. »

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