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17 novembre 2011

Éclats de soleil dans le pare-brise, par Jean-Claude Boyrie

« Au bout du chemin » - épisode 9 : « Éclats de soleil dans le pare-brise ».

 SOLEILtitre

30 septembre 1981, 18 h 30.

Paul arrive par le train de dix neuf heures, c'est noté sur mon agenda, post-it à la clef, pour plus de sûreté. Je dois sortir un peu plus tôt du bureau pour être à l'heure à la gare..

Jamais été aussi affreuse. Juste le temps de me maquiller et de me recoiffer avant de partir. Maïté, pauvre greluche, pourquoi te donner tant de mal pour quelqu'un à qui tu ne dois rien ?

Mon assistante me fait un signe discret. Comme par hasard, c'est juste le moment qu'a choisi Monsieur le Maire pour procéder à son incontournable debriefing de fin de semaine. Mince, me voilà convoquée avec tout le staff .

Nicole, vous avez bien vu que je suis partie, ou c'est tout comme. Là, tout de suite, je m'esbigne. Pas de fausse honte, faites le savoir à qui de droit. Le boss perd la boule , ma parole ! Qu'est-ce qui le prend de réunir ses cadres un vendredi soir à point d'heure? Tant pis, je serai là pour le brain storming de lundi matin. Au fait non, lundi, ça ne me va pas. Je viens de poser un congé au cas où.... Quelle manie de multiplier ces réunions qui ne mènent à rien. Si au moins l'on y parlait gascon, ça changerait des anglicismes et le personnel se sentirait moins acculturé. Enfin, Nicole, vous voyez ce que je veux dire, tournez ça comme vous voudrez, je vous ai toujours fait confiance pour tout.

Adichats ! Zut, zut et zut, voilà que la Deuche rechigne à démarrer. Pas de veine, habituellement, elle se met en route au quart de tour. Cette affreuse casserole ne va tout de même pas faire des siennes au moment où j'en ai le plus besoin. D'accord, les moteurs, ce n'est pas mon rayon. D'ailleurs, par définition, les femmes n'y connaissent rien. En cas de panne, eh bien, j'ai recours à Robert, pas celui de la boucherie, Robert-de-la pompe. C'est un as de la mécanique, qui me tirera d'affaire en un rien de temps. Pour lui, les chose sont claires, il ne voit que deux causes possibles : ou c'est le carburateur qui foire, ou ce sont les vis platinées. En cas d'hésitation, Robert tire à pile ou face. Le carburateur, je le situe à peu près, c'est juste sous le capot. On le nettoie vite fait, am stram, gram, tout repart. Sinon, ça ne peut venir que des vis platinées. Au fait, c'est quoi, les vis platinées ? Les éléments d'un collier, des bijoux qu'on porte au doigt ? Si je le savais, Madame.... Arrête un peu, Robert, tu me gaves, avec tes fadaises ! Et que je te pousse la voiture et que je te martyrise le starter. Ouf, c'est reparti !

Autre source d'ennuis, tout-à-fait prévisible, celle-là : les éclats de soleil dans le pare-brise. Normal, puisque je roule plein ouest, et qu'à cette heure-ci, comme par hasard c'est dans cette direction que le soleil se couche. D'où cette lumière sanguinolente qui diffuse entre les nuages et m'éblouit. Le faux-jour est trompeur sur cette route immuablement rectiligne, un ruban sans fin qui se déroule, juste ce qu'il faut pour s'endormir au volant. On croit ce trajet sans danger, mais il n'en est rien. Les plages d'ombre et de clarté se succèdent sans arrêt, le fameux effet stroboscopique, c'est ainsi qu'on l'appelle, autant dire un piège mortel ! Plus d'un s'y est laissé prendre. Méfiante, je ralentis, m'arrête. Rien d'autre à faire, à moins de chercher volontairement l'accident.

Justement. Ce grand arbre sur la gauche, je ne le connais que trop. Il porte un petit bouquet accroché à son flanc, des fleurs naturelles que je renouvelle de temps à autre. Simple devoir de mémoire. Mon existence a basculé sur ce tronçon de route, il y a tout juste deux ans, même heure, même conditions de circulation, même soleil aveuglant. Je revois ce camion grumier qui progresse lentement vers la côte, talonné par une moto roulant à grande vitesse. L'homme à la moto, c'est Manuel, il rentre de son travail, sans doute pressé de rejoindre son petit bout de femme. Pas d'autre usager en vue. Le motocycliste croit qu'il a le temps de dépasser, le voilà qui déboîte. Au même instant, un tracteur forestier se présente au débouché d'une piste. L'intersection est juste à deux cent mètres d'ici. Le tracteur s'engage sur la chaussée. Son chauffeur, quand il voit la moto, vu, freine brutalement. Trop tard. De son côté, le motocycliste ne peut ni ralentir, ni se rabattre. Le semi-remorque est trop long, la collision inéluctable. Les avertisseurs hurlent, le freins grincent sur la chaussée. Manoel sort de la route, s'encastre dans un pin. Puis, c'est un grand choc, un fracas de tôle qui se froisse, un corps disloqué, des morceaux de chair vive et du sang, la sirène des pompiers, la gendarmerie. Et puis le grand silence, une vie qui s'en va : celle de Manuel, une autre vie détruite : la mienne. Il faut que j'arrête de parler de ça, je crois que je vais me mettre à pleurer.

ÉCLATS

(À suivre....)

 

 

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