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17 mai 2012

Grandeur ou décadence, par Danièle Geroda

Une proposition d'écriture, née de la lecture d'une nouvelle d'Annie Saumont, "Equateur", parue dans le recueil "Un soir à la maison": trouver un rythme qui décrit l'état intérieur ou les actions de votre personnage. Une fin inattendue à cette nouvelle décrivant la trajectoire d'un ambitieux maladif...


Grandeur ou décadence

 

Pierre mordait la vie à pleines dents. « Attention ! Tu as les crocs bien trop acérés ! » lui serinaient ses trois collègues de travail, décryptant, au quotidien les envies démesurées de leur voisin de bureau.

Solide gaillard de tout juste 30 ans, dévoreur d’échelons, écornifleur de primes  omnivore de toutes considérations à son encontre, marchant aussi souvent que possible et sans déférence sur les plates bandes de ses partenaires : voilà la description sans fioritures de Pierre. Que dire de plus ?  Petit boulot, modestes émoluments, travail de gratte-papier dépolissant son bureau de verre, tout ça, lui renvoyaient l’image d’un visage teigneux : le sien. Une ambition gigantesque l’habitait depuis son arrivée à l’office, convoitise jamais dissimulée qu’il laissait croître en toute liberté devant ses collègues inquiets. Il lui fallait briguer le poste nec plus ultra, poursuivre une ascension de battant en démolissant tout barrage sur sa route : comme par exemple Robert, ce gêneur, en âge de prendre sa retraite mais toujours là à faire de la résistance, comme Alain, perdant un temps fou avec des clients perpétuellement insatisfaits, comme Claire, seule présence féminine donc en position d’infériorité. Et puis l’éminence grise, Monsieur Paul, trop rétrograde dans ses décisions bon à mettre au vert, puisque déjà il désertait très souvent la société. Le temps était venu de  pousser le patron à la campagne.

Pierre, fourmillant d’idées avait déjà celle de s’installer sur le siège directorial en l’absence de Monsieur Paul. Fauteuil de cuir noir, dernier cri, accolé au bureau revêtu de cuir vert. Pierre allait poser son derrière affamé d’honneurs sur ce siège royal, chaque fois que possible. Chaque incursion dans le bureau du décideur provoquait, chez lui, une recrudescence de sensations bizarres le picotant à l’extrême. Le syndrome du « chef tout puissant » le taraudait et montant crescendo ne le quittait plus. C’est ainsi que les évènements s’accélèrent et que la fièvre du pouvoir s’empara de Pierre lui procurant des frissons de désirs insatiables, impossibles à calmer.

Ce fut bientôt une cascade de sensations caillouteuses dévalant son ego tourmenté. Marasme flottant indescriptible. « Attention ! Calme ta tempête intérieure » se répétait-il sans succès. Vertigineuse envie de faire remonter à la surface son esprit égaré. Mais en vain. Mal du pouvoir ! Impossible de se préserver des débordements de son cœur inassouvi. La maladie s’était installée avec force : Mains crochues harponnant avidement tous les dossiers . . . bouche jamais close, happant toute opinion pour la faire sienne ou l’écraser de son mépris, corps cupide, envahissant sans retenue tous les espaces, usurpant l’intimité des collègues.

Peine perdue ! Ceux-ci commencèrent à faire bloc. Confidences et rires en demi-teinte à l’abri du regard de l’homme orchestre. Travail partagé à trois. Robert, à défaut de partir à la retraite se mit en retrait, résistant aux assauts de Pierre. Alain trouva judicieux de lui refiler tout client, enquiquineur ou pas, appréciant tout à coup cette liberté temporelle. Claire sembla reprendre du poil de la bête, décidant d’occuper toute sa place avec une autorité enjoleuse. Monsieur Paul, comme si, il avait été touché de plein fouet, sans doute, par l’ambiance chaleureuse, comme si, subitement, il découvrait les atouts charmeurs de son employée, autant que le super esprit qui s’était emparé depuis quelque temps de son équipe, réintégra, derechef son bureau. Excitation de partager cette atmosphère enjouée.

La mise en quarantaine, intelligemment orchestrée au nez et à la barbe du boss confina Pierre dans son local exigu, face à face avec lui-même. Isolement, retour aux sources, rêves de grands espaces anéantis, pression maximale de l’ego comme une orange au goût amer. Comme si une convalescence longue s’engageait, la cascade se tarit peu à peu, la fièvre tomba. Pierre n’affûta plus que ses crayons ! Comme s’il avait compris qu’un contre tous ou que tous contre un  n’entamait qu’une  descente aux enfers.

Mais attention ! Toute remontée est possible.

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