Repas Caravagesque, par Héloïse

Piste d'écriture: le dialogue et sa complexité, quand il se croise avec la pensée...

Repas Caravagesque

Quelle voix insupportable cette Sabine !

Aline s’efforçait de ne rien montrer de l’agacement qui montait mais Gérald avait noté l’éclair sombre dans le regard. Il se demandait combien de temps elle attendrait encore avant d’interrompre cette tirade passionnée sur Rome, les statues du Bernin à la villa Borghèse, l’incroyable plafond du Palais Barberini…

- Et les Caravage à Saint Louis des Français, alors ça, -  le ton monta encore -, c’est vraiment magnifique, j’ai remis trois fois un euro pour la lumière ! Vous les avez vus j’imagine…  

Gérald l’aimait bien finalement cet enthousiasme qui  pouvait aussi bien porter sur un magasin de thés exceptionnels que sur un film vu la veille ou sur un lieu découvert récemment.

- Bien sûr, on y est même retourné deux ans de suite, et Aline m’a fait découvrir ensuite d’autres tableaux moins connus, on a arpenté tout Rome à la recherche des Caravage…

L’arrivée du dessert interrompit la conversation.

Du Tiramisu !  Et c’est toi qui l’as fait bien sûr ! Aline se répandait en compliments sur la spécialité culinaire de Carlo.

Encore un mot sur Caravage et j’explosais… pensait-elle. Idiote que je suis. Risquer de me brouiller avec Carlo pour si peu ? Toucher à sa copine, même en parole, attention les yeux…

Le premier diner avec Carlo remontait à dix ans. Sous les combles dans un grand grenier aménagé en appartement. Avec sa bande de copains en coloc ils avaient instauré des repas thématiques, une fois par mois. Avec Carlo ce serait repas italien bien sûr. Rigatoni aux vogonles, artichauts au parmesan et toujours du tiramisu.  Aline s’était laissée convaincre de rejoindre la bande et pendant un an ils avaient alterné, un repas Vietnamien, une soirée médiévale, un repas réunionnais…

Elle vivait seule et appréciait ces fiestas chaleureuses.

Quand elle avait amené Gérald la première fois elle s’en souvenait encore. Sourire en coin de Carlo, blagues des autres, enfin elle a trouvé son homme, incroyable… Mais  Carlo et Gérald s’étaient bien entendus, connivences de musiciens passionnés, goût pour la table et le vin. 

Aline et Gérald s’étaient installés en banlieue mais chaque année, au moins une fois ou deux il y avait un repas italien chez Carlo. Célibataire ou en couple occasionnel avec des femmes qu’il présentait chaque fois comme une découverte merveilleuse.

Le silence s’était fait autour du dessert, quelques minutes, le temps que chacun réalise le petit miracle du plaisir partagé de la dégustation.

Aline souriait.

- Il nous faudrait un Caravage pour nous peindre autour de cette table. On verrait en pleine lumière, le tiramisu en majesté, au centre, et puis le visage de profil de Carlo en contrejour, présentant le plat à ses convives émerveillés…

- Oui mais il faudrait au moins une panne d’électricité pour qu’on ait le noir autour… ajouta Gérald.

Sabine s’exclama :  Mais voilà !  des bougies !  c’est ça qui manquait !

Aller en chercher dans la cuisine, les allumer, éteindre les lumières, et petit prodige, on y était. Un moment magique. Carlo allait sortir sa guitare, Gérald chanterait. Aline s’était raisonnée. Pas si con cette Sabine, finalement. Elle ferait peut-être encore partie du paysage la prochaine fois ?

                                                                             Atelier 11 juin 2012