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25 novembre 2012

Soir de tempête, par Lise Capitan

Piste d'écriture: un lieu, un personnage

 Soir de tempête

HouseStormJe monte les escaliers qui craquent pour m’aventurer dans le long couloir mal éclairé. La troisième porte à gauche, m’a-t-on dit. C’est là que je trouverai de quoi me rafraîchir, ou plutôt me réchauffer, après avoir subi les assauts de trombes d’eau projetées en tous sens par un vent violent. Le bruit de mes pas est étouffé par le tapis rouge recouvrant l’antique parquet. Téméraire, je m’avance. C’est que, je n’ai jamais vraiment été très à l’aise dans cette maison vétuste. Elle a l’air surdimensionnée pour ce vieux couple de voisins.

Les conditions diluviennes sont d’ailleurs la seule raison pour laquelle j’ai consenti à y mettre les pieds. Mon domicile n’était peut-être pas si loin, même si le premier citadin venu verrait ça comme l’autre bout du monde. Mais le fait est qu’avec toutes ces précipitations, le chemin de terre y menant était impraticable, et rester sur la route à attendre que ça se calme aurait été autrement plus risqué. Il se trouve que je tiens suffisamment à la vie pour supporter de pénétrer en ces lieux. Je suis les instructions du médecin à la lettre : « Surtout, ménagez-vous, sinon, c’est la fausse-couche assurée ». Quitte à côtoyer de vieux grincheux donc.

Les pensées se bousculent si vite dans mon esprit que j’ai soudain un doute. La troisième porte à gauche, ou à droite ? Je crois que c’était à droite, tout compte fait. Je saisis la poignée d’une porte à la peinture écaillée. Un sinistre grincement m’accueille. Voilà qui me laisse imaginer le pire. Que vais-je trouver dans les confins de cette vieille bâtisse ? Un terrible secret ? Les traces d’agissements répréhensibles ? Pire, un corps sans vie ? Mon sang ne fait qu’un tour.

Emplie d’inquiétude, je passe le seuil et suis soulagée d’échapper à une mise en scène horrifique ou sanguinolente, tout droit sortie d’un de ces films d’horreur que j’affectionnais tant, avant. Ici, le temps semble s’être arrêté dans les années soixante-dix. Au carreau de la fenêtre, les sonorités irrégulières d’une pluie battante rythment mes découvertes.

Dans l’angle, préservé des nuisances sonores extérieures et intérieures, se dresse un petit lit à barreaux orange — le matelas intact. Se détachant du mur opposé, une commode d’un vert intense surmontée d’un douillet matelas à langer attendant apparemment les allées et venues d’une petite créature accompagnée de sa mère — il attend toujours. Tout près de la porte, un fauteuil à bascule violet, pour toutes ces nuits où il faudrait consoler l’enfant, dans la douceur, la patience, le mouvement régulier qui apaise, ramène au sommeil — mais il n’a pas l’air d’avoir souvent rempli son office. Au sol, un épais tapis à grosses fleurs, capable d’étouffer le bruit mat de ses premières évolutions à quatre pattes, et sait-on jamais, d’amortir de malencontreuses chutes — la pureté et la consistance de ses poils trahissent son état quasi neuf. À la fenêtre, des rideaux aux motifs ronds et contrastés, pour que même la nuit, la joie d’une vie nouvelle imprègne la pièce — ont-ils jamais été tirés ?

Je tente de m’imaginer le rire cristallin d’un enfant dans cette pièce, ou les échos de ses cris suraigus, de joie ou d’agacement. Une telle idée semble particulièrement déplacée. Submergée par le vide, le manque, la solitude qui transpirent par toutes les fibres de cette chambre, je pars à reculons, discrètement, de peur d’avoir par mon intrusion bouleversé un ordre des choses qui, si triste soit-il, n’a plus vocation à être dérangé. Je me retourne et au lieu de trouver face à moi la salle d’eau à l’origine de ma venue, je tombe sur elle, ma voisine.

— Je voulais m’assurer que vous trouviez tout le nécessaire. Est-ce que tout va bien ?

Panique. Que dire ? A-t-elle vu que je n’avais pas encore mis les pieds dans la salle d’eau ? Je tente le tout pour le tout.

— Oui, parfaitement. Il ne fallait pas vous déplacer. Je suis juste un peu lente ces derniers temps.

— Très bien, un thé bien chaud vous attend en bas. À tout à l’heure.

Sous des airs avenants, ces derniers mots sont prononcés sur un ton autoritaire qui m’alarme quelque peu. Je sèche mes cheveux mouillés et m’asperge le visage d’eau chaude dans la précipitation. Il faut que je quitte ces lieux, et sans tarder. Arrivée en bas, je suis contrainte d’avaler leur satané thé. Le vieux couple m’assomme de considérations oiseuses sur la pluie et le beau temps. J’opine du chef de temps à autre pour faire bonne figure. D’un bref coup d’œil, je réalise que la porte d’entrée est soigneusement verrouillée, et que toutes les lumières du jardin sont désormais éteintes. J’ai du mal à suivre le fil de leurs bavardages, le sens de leurs mots m’échappe, le son de leurs voix s’éloigne progressivement. Ma tête semble subitement trop lourde pour mes épaules, mes paupières ne répondent plus à mes commandes et se ferment, encore et encore. Il faut que je…

***

Libération daté du 17 octobre 2012, pages Société

Fœtus disparu

Le corps d’une femme enceinte
a été retrouvé sans vie dans
la forêt de Rambouillet le
mardi 16 octobre au matin.
Elle a visiblement fait l’objet
d’une césarienne avant de trouver
la mort. Les enquêteurs cherchent
toujours l’enfant.

 

Image de  Adam Sacco | Vacancy Media

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