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12 février 2013

Carrare, par Aline

 

carrareUn village d’or et de lumière se dresse sur la colline. Les vieilles murailles et les remparts donnent à ce lieu la mesure du temps écoulé. Pointant vers le ciel leur haute silhouette, les cyprès rigides et élégants quadrillent l’espace alentours.

Cela fait deux jours que Donald, sa femme et ses amis, sont partis de France pour ce voyage en Italie. Dans cette Toscane aux doux paysages, le couple se sent en harmonie. La main dans la main de son mari, la tête reposant sur son épaule, elle rêve encore de cet amour qu’elle voudrait emprisonner.

Donald, lui, est un être secret, toujours sur la réserve. Il n’aime pas se livre aux autres comme cela, pour rien. Il a de la rigueur, de l’intelligence, c’est un être mystérieux pour les femmes. Il sait depuis sa jeunesse les séduire, jouer de son regard unique. Mais il est désormais amoureux de Mireille, qu’il appelle Darling avec son inénarrable accent anglais qui fait aussi partie de son charme. Ethnologue de formation et ancien journaliste, il a à la retraite décidé de quitter Londres, pour venir s’installer en France, dans le midi, région des vignes. C’est ainsi qu’au cours de ses recherches il a trouvé sa terre et rencontré Mireille. Mireille qui vient de s’endormir.

Laissant ses voyageurs à leurs rêveries ou à leur somnolence, le bus poursuit sa route sans heurts.

A travers la vitre, le regard de Donald erre sur la chaîne des Apennins qui ferme son horizon. Quelque chose attire son attention et avive sa curiosité. Les montagnes noyées dans le bleu du ciel, sont devenues blanches, d’un blanc glacé. Plus le bus se rapproche, plus l’esprit de Donald chemine. Ce qui rend ce sommet blanc, pense-t-il, n’est pas de la neige. Il ne voit dans l’inégalité de la roche rien de naturel ; les parois qui se profilent de plus en plus nettement lui donnent raison : elles ont été taillées par la main de l’homme.

Au-dessous de ces énormes blocs, ce qui reste de la montagne forme un pierrier, qui sert à tracer et à soutenir le chemin qui serpente jusqu’aux coupes. D’énormes camions y zigzaguent, permettant de descendre les blocs de marbre en bas de la mine.

Dans le bus les touristes sont maintenant attentifs, et retiennent leur souffle, car ils craignent à chaque instant de croiser l’un de ces camions dévalant à toute allure le chemin pentu et trop étroit. Mireille surtout se souvient d’avoir entendu dire qu’il y a régulièrement des camions qui se renversent, entrainant la mort du chauffeur. Ces conducteurs sont rendus fous par un système qui les payent non à l’heure travaillée, mais au nombre de chargements effectués dans une journée.

Elle sent la main de Donald frémir et même tressauter dans la sienne. D’ordinaire quand il voyage, il devient un être contemplatif, tout entier pris par la nouveauté de ce qu’il découvre et l’intérêt des connexions qu’il peut effectuer entre ses connaissances et ce qu’il voit. Cet état quasi de béatitude agace souvent Darling, qui se sent alors oubliée de lui, dans un état de désamour insupportable. Ces attentes contradictoires provoquent chez ces deux êtres qui s’adorent des chamailleries enfantines, qui n’ont pour but au fond, que de les rapprocher : Donald est obligé de s’expliquer et de partager ses réflexions, et Mireille est rassurée de voir qu’il revient à elle.

Mais cette fois-ci, Donald a perdu la maitrise de la situation, et par voie de conséquence, Darling a perdu la maitrise de Donald.

En effet celui-ci, n’écoutant que son indignation et son immense déception, vient d’engager une discussion avec le guide. Cette carrière de Carrare, qu’il imaginait imposante et solennelle, taillée avec respect, est devenue un gâchis. Presque toute la végétation a disparu de ses flancs, la faune n’en parlons pas. Il y avait une superbe forêt dont ne subsistent que quelques arbres. « Mais toute la montagne va y passer ! » s’exclame Donald. « Et tout ça pour quoi ? pour construire à Carrare des trottoirs de marbre ? » « Vous avez raison Monsieur, acquiesce le guide, mais il y a des fortunes qui se sont bâties là-dessus, et aujourd’hui c’est de pire en pire, les Emirats importent du marbre pour les palais et les villas. La ville vit là-dessus depuis plusieurs siècles, et les familles des marbriers sont des dynasties. » « Evidemment, ricane Donald, vu comme ça… on ne peut remettre les choses en cause. Catastrophe écologique ici, mais création artistique ailleurs… »

Le car s’est arrêté. Sans prêter attention à Mireille, Donald part sur la sente avec sa caméra et se met à filmer tout autour de lui, ce qu’il considère comme un désastre écologique.

A son retour, il décida d’alerter les médias. Cela fit grand bruit, le film qu’il avait réalisé passa sur Internet et on lui proposa d’en monter un plus ambitieux, qui fut diffusé sur de nombreuses chaînes télé. Progressivement, la vie de Donald et de Darling en fut transformée. Donald se mit à parcourir la planète et au début, Darling se sentit plus abandonnée que jamais. Jusqu’au jour où la colère la poussa à prendre une série de décisions : non elle ne le laisserait pas s’éloigner ni l’oublier. Elle fonda l’association qui allait leur permettre de voyager ensemble  pour mener à bien leur nouvelle mission.

 

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