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1 mars 2013

Humeurs canines, par Sonia

D'après un extrait d' ERIC FOTTORINO              LE DOS CRAWLE  2011 , écrit à la première personne, faire parler une personne qui ne nous ressemble pas, trouver des images et un vocabulaire qui lui corresponde.

 

                                               %%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%

                                                               HUMEURS CANINES

Je n’aime plus mes maîtres. Ils ne font plus attention à moi. Ils oublient d’acheter mes croquettes, alors j’ai droit aux restes de poulet, de carottes, de fromage. Quand ils y pensent, c’est trop tard, je n’ai plus envie. Je ne sais pas ce qui leur arrive. J’entends des éclats de voix le soir, des soupirs la nuit, ils me ferment la porte de leur chambre au museau, avant, ils laissaient tout ouvert. Le samedi, le dimanche, ils partent chacun de leur côté, elle à droite, lui à gauche, ils ne me promènent plus ensemble, c’est soit elle, soit lui, c’est nul. Avant, je me promenais dans l’harmonie, elle est rompue. « C’est toi ou moi, pour balader Rexou ? » «  Hier, je l’ai déjà baladé, alors ce soir, tu t’y colles. » Charmant. La balade va être agréable. Je passe mon temps à mendier un regard, une caresse, sans parler de ma soupe. Ils se font la gueule et je subis leur humeur. Je suis un réceptacle. ça  ne me plait pas du tout. J’ai envie de changer de crèmerie. Me retrouver chez des maîtres aimants, caressants, attentionnés. Je ne comprends rien à ce qu’ils se disent, mais leur morosité me rend le poil terne.  J’ai envie de me sentir indispensable, pas une pièce rapportée, pas une charge, pas un objet de décoration. Je n’ai plus envie de courser le chat du voisin, ça, c’est mauvais signe. Je n’ai plus envie de garder la maison. Je n’ai plus envie de rien d’ailleurs, je crois que je sombre dans la déprime. L’impression que je ne vaux plus rien. Qu’ils vont bientôt me foutre au chenil municipal. L’horreur. Le cauchemar. Il faut que je me débine avant.

Bon, je prends la décision de ne plus garder la maison tant qu’ils persistent à me faire la tronche.

 Les voleurs n’ont qu’à venir prendre les bijoux, les tableaux, les ordinateurs, les tablettes, les appareils photos dernier cri,  je m’en fous, je leur ferai la fête à ceux-là, et sans doute qu’ils feront plus attention à moi que leurs victimes. Peut-être me prendront-ils avec eux, pourquoi ne pas les suivre, je pourrais les aider à cambrioler, à faire le guet,  la vie serait plus drôle, plus exaltante, plutôt que de se morfondre en attendant une caresse de mes deux pingoins de maîtres enfermés dans leurs petites affaires. Au diable la morale. Quand on manque d’amour, on peut tout se permettre.  Où alors, je passe une annonce sur Le Bon Coin 34, car j’aimerais autant rester dans la région, j’y ai mes repères olfactifs : chien mâle, cinq ans,  bien éduqué, propre, fidèle, obéissant, bien de sa personne,  quasi-abandonné de ses maîtres, cherche famille d’accueil harmonieuse, sachant donner de l’amour à son animal. Période d’essai possible. Et plus si affinité. Rendez-vous chaque midi devant la barrière de la maison face à l’église de Saint-Jean de Cuculles. Curieux s’abstenir. Professionnels idem.

Ces idées  me redonnent la pêche. Je me sens en train d’attendre les voleurs. Mais j’y pense, la municipalité a installé des caméras juste devant la maison, sans doute pour garder l’église et les curés qui la fréquentent. On ne sait jamais. Donc j’en conclus que les voleurs ne s’aventureront pas ici. La première piste d’évasion tombe à l’eau. L’idée de l’annonce me fait rêver, je cherche le moyen de la faire passer.

Tiens, pris dans mes élucubrations,  je vois mes maîtres arriver, main dans la main, l’œil guilleret, le pas alerte, les bouches souriantes, le teint rose,  un grand sac de croquettes au bras. Ils se précipitent vers moi, me chatouillent, me gratouillent, me triturent, mes rêves sont à l’eau.

Je garde la maison, j’aboie chaque passant avec grand sérieux, pas question de me laisser coincer par des voleurs, la morale a repris du service, je suis un chien comblé.

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