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16 avril 2013

Vernissage, par Fanny Finet

Piste d'écriture: les toiles qu'Ivan Dmitriev, jeune artiste avignonais, a prêtées à l'atelier d'écriture durant une semaine. Elles étaient 4, toutes dans des tons noir et blanc, et dans une tonalité fantastique. 
ivandmitriev90@gmail.com, ou https://www.facebook.com/#!/pages/MOLOTOFS-ART/437600772983980?bookmark_t=page

 Vernissage

 

la_cyclopeLa jeune femme n'a qu'un œil au milieu du front. Cela est bien étrange... Sur le coup, j'ai grimacé. Réflexe premier, l'altérité fait peur, c'est instinctif.

Cela n'a duré qu'un instant cependant. Je ne me suis pas formée et cultivée toutes ces années pour en rester là. Une fois cette impression estompée, je me sens fascinée par ce portrait. Je ne sais pas ce que le peintre a voulu signifier mais pour moi, c'est un coup de génie. Un seul œil pour un seul regard sur la vie.

Il m'arrive souvent de fermer juste un œil, de le rouvrir et de fermer l'autre presque tout de suite. J'alterne, gauche droite, gauche droite, de plus en plus vite et bien sur, je ne vois plus la vie du même côté. A force de décalage entre ce point de vue et cet autre, mon esprit s'embue et souvent c'est la chute. Voilà que je me mets à douter pour tout et de tout.

Le bruit environnant me rappelle à la réalité.

Je balaie la pièce d'un regard circulaire et observe les gens qui déambulent parmi les toiles. Tout le monde est bien habillé et discute gentiment les œuvres du peintre en grignotant quelques amuse bouches. Les rires sont étouffés, les claquements de talons mesurés. Le vernissage est un événement intéressant si l'on veut étudier le comportement de l'homme civilisé. Pour profiter de la nourriture raffinée et du champagne gratuits, il y a tout de même un prix à payer. Tandis que l'artiste traînaille l'air de rien parmi l'assemblée, chacun y va de son petit commentaire entendu à propos des toiles. On pourrait croire que tous ces gens mangent et boivent presque sans s'en rendre compte, trop absorbés par la contemplation des œuvres. Or, plus les petits fours sont fins, plus les commentaires sont élogieux.

Moi, je suis seule. Alors, je grignote et bois sans complexes.

Un couple s'approche de moi, il s'arrête à moins d'un mètre de la toile. Il y a un moment très court de recueillement avant que le commentaire féminin ne surgisse :

 - Ah, génial, quelle œuvre magnifique ! J'adore la manière dont le peintre a détourné ce mythe originel.

Pas de réaction du partenaire.

- Eh oui, Stan, tu imagines un peu, si Œdipe avait été une femme ? La psychanalyse n'en serait sûrement pas là aujourd'hui, non ?

Le Stan en question finit de siroter son champagne. Il ne semble pas réellement avoir d'avis sur la question et à l'entendre grignoter un autre amuse bouche, on pourrait penser qu'il bascule lentement dans le clan des pique assiette.

Je me retourne et en croisant son regard, je souris. Il rougit presque instantanément tandis que la grande brune à côté de lui, le fusille du regard.

- Tu ne veux pas arrêter de manger une seconde et discuter un peu, non ? Tu en penses quoi ?
- Des petits fours ? Hasarde t-il.

Je préfère m'éloigner avant d'exploser de rire. Je n'ai pas appris à mesurer mes éclats de joie et là, je sens que ce serait déplacé.

D'autres toiles attirent mon regard, toutes en noir et blanc. La bichromie installe un univers un peu trop manichéen à mon goût. Il manque des nuances, des échappatoires. Alors, je préfère fuir, incapable de décider si j'aime ou non.

 

 

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