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21 avril 2013

Les rêves étranges d'Arthur Karsan, par Maxime Causse

 La publication des textes inspirés des toiles d'Ivan Dmitriev se poursuit. 

Pour visionner d'autres oeuvres d'Ivan: https://www.facebook.com/#!/pages/MOLOTOFS-ART/437600772983980?bookmark_t=page

LES REVES ETRANGES D’ARTHUR KARSAN

  I

    Je m’appelle Arthur Karsan et je suis peintre. Comme toute personne ayant fait le choix d’un métier artistique, parfois par vanité et refus de la mesquine réalité quotidienne, je connais les affres de la création. Rien que du très banal, jusque-là.

    Cependant, ma créativité et mon inspiration se sont taries depuis quelque semaine. Impossible de peindre. C’est le vide total dans mon esprit en matière d’inspiration. En revanche, l’image de ma mère m’obsède. Elle a toujours été contre mon choix de devenir peintre. Ayant subi son éducation austère et peu affectueuse, je pensais néanmoins avoir dépassé le cap de la demande d’autorisation faite aux parents. Mais, à 30 ans, je me sens curieusement anesthésié.

   J’ai donc décidé il y a une dizaine de jours d’aller consulter une psychanalyste pour éclaircir les raisons de mon blocage créatif. Il y a de grandes chances que ce soit lié à ma mère.

 II

Le_moine

   Aurélie Chaussois me reçut dans son cabinet, tapissé de noir aux meubles de la même couleur. Il y avait l’inévitable divan qui trônait contre un mur. Seule la lumière perçant à travers les rideaux gris dissipait quelque peu les ténèbres de la pièce. J’expliquai à l’analyste mes difficultés à peindre et mon obsession à propos de ma mère. Il me semblait qu’elle écoutait attentivement mais j’interprétais la sévérité de ses traits comme un reproche implicite qu’elle me faisait. J’étais mal à l’aise, j’éprouvais un sentiment de crainte mêlée de haine à son égard. Au bout d’une heure, après avoir réglé la consultation, elle me dit simplement : « Nous nous reverrons la semaine prochaine, même jour même heure. Cela vous convient-il ? » J’acquiesçai puis nous nous séparâmes.

   La nuit qui suivit cette séance, je fis un rêve étrange. Il y avait une jeune femme que j’avais connue il y a quelque temps. Elle me regardait en souriant puis se transformait graduellement en vieille femme très âgée. D’une voix gutturale, elle vociférait : «  Le chat noir de ton enfance caresse avec ses dents le visage de ta mère ! C’est mal ! C’est très mal ! Tu n’as pas le droit ! Maudit sois-tu ! » Je me réveillai en sursaut, terrorisé.

 

Que pouvait bien signifier ce rêve angoissant ? Je me souvins de Samy, le chat noir de mon enfance qui adorait le lait. J’appliquai la technique d’associations libres chère à Freud pour interpréter par moi-même ce cauchemar : chat, dent, dent de lait, enfance, mon enfance, moi tétant le sein de ma mère ! Ouf ! Ce songe n’était que la réminiscence de pulsions orales. C’était mal car je culpabilisais, à trente ans, téter le sein maternel, c’est plutôt lamentable ! Mon surmoi prenait l’apparence d’une vieille femme pour me le faire comprendre – c’est mal ! Sois maudit ! Qu’elle disait. Donc je me punissais de ma tendance orale en m’interdisant de peindre. Tout s’expliquait ! Voilà l’interprétation juste ! Je n’avais pas besoin d’entreprendre une longue et coûteuse psychanalyse, j’étais guéri !

  Tout content, je parlai de ma trouvaille à Aurélie Chaussois lors de la séance suivante. Elle ne disait rien, restait de marbre alors que je me lançais dans de grandes explications. Finalement, elle me demanda si j’avais réussi à peindre puisque selon moi, j’étais guéri. A ma grande surprise, je me rendis compte que je n’avais pas touché à un pinceau, ma créativité était toujours au point mort malgré ma soi-disant guérison.

III

  La nuit suivante, je fis un nouveau rêve. Il y availa_cyclopet toujours la même jeune femme connue il y a quelques temps, elle me regardait avec un beau sourire et je m’approchai pour l’enlacer. Soudain, son visage se déforma, elle n’avait plus qu’un œil frontal et me criait : « Tu es la Mort ! Sois maudit ! Je te hais ! » Elle se transforma ensuite en crâne de Bélier ricanant diaboliquement. Je me réveillai encore une fois en sursaut, bouleversé. Je notai rapidement le rêve et essayai de me rendormir.

Le lendemain, j’essayai d’interpréter le rêve en procédant par association comme d’habitude : Bélier, signe astrologique, c’est mon signe. Je me souvins alors d’une conversation que la jeune femme et moi avions eue dans un café à propos d’ésotérisme. Elle m’avait parlé d’astrologie, de troisième œil (c’est peut-être pour cela qu’elle avait un œil frontal dans le rêve) et de plein d’autres sujets scabreux. Ma réticence devant de telles sornettes l’avait refroidie, elle s’était rembrunie. Les jours suivants, elle était devenue distante. Finalement, elle m’avait quitté. Ensuite, je bloquais, je n’arrivais pas à pousser plus loin l’analyse. Pourquoi serais-je la Mort ? Pourquoi me maudissait-elle ? Je devais avoir des résistances car je ne trouvais pas la solution à cette énigme.

 IV

le_b_lier   Je me rendis à la séance chez Aurélie Chaussois avec la ferme intention d’élucider mon rêve. Je passai devant un kiosque à journaux, je regardai distraitement la racoleuse revue Détective qui affichait à la Une : La jeune femme coupée en morceaux, l’enquête piétine. Stupeur, sur la photo, je reconnus la jeune femme de mon rêve ! Je me rappelai subitement qu’elle s’appelait Mathilde. Puis, je fus pris d’un malaise, mon corps était secoué par des tremblements, j’avais la nausée et je vomis. Des images apparurent dans mon esprit : des scènes de lutte, des cris, du sang, une hache et une scie…et je compris.

  Je l’avais sauvagement assassiné l’amour de ma vie. Je n’avais pas supporté qu’elle me quitte car cela avait réactivé la blessure de désamour maternel de mon enfance, la douleur m’avait poussé au crime pour exorciser le traumatisme. Je me souvenais que Mathilde en avait marre de mes élucubrations sur l’astrologie, l’hindouisme, le troisième œil, le ratage de ma carrière de peintre. Elle disait qu’elle ne voulait pas passer sa vie avec un loser déjanté. Elle voulait partir et je l’avais tuée par rage et désespoir.

 V

   Je ne peux plus aller chez la psychanalyste. Non, je ne  peux pas. On va m’enfermer, me jeter en prison. Je vais coucher mes aveux sur papier pour soulager ma conscience, pour me confesser puis je me tuerai. Adieu.

  VI

   Quelques jours plus tard, lorsque le commissaire Joubert pénétra dans l’appartement d’Arthur Karsan suite à une plainte des voisins à cause de l’odeur, il découvrit le cadavre en putréfaction du jeune peintre. A côté de lui trônait quatre tableaux représentant un, un chat noir avec des dents énormes au- dessus d une jeune femme apeurée, deux, un crâne de bélier ricanant, trois, une femme cyclope et quatre, une dame âgée. Une lettre, explicative certainement, était mise en évidence près des toiles.

   Apparemment, Arthur Karsan avait retrouvé sa créativité mais cela lui avait été fatal car il en était mort.    

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