Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
24 mai 2013

Enterrement, par Sonia

Piste d'écriture: le récit choral. Une situation va rassembler des personnages qui expriment différents avis . Choisir un lieu ou une circonstance.  Imaginer des incidents. Choisir les personnages. Passer d’un point de vue à l’autre.

                    

ENTERREMENT

L’enterrement de Xavier a lieu un jour de pluie. Dans un local prévu à cet effet, ils ont organisé un rituel laïque, à son image. Avec discours, témoignages, musiques.   Ils, ce sont  sa mère, femme, ses  trois frères.  La salle se remplit. Aux premiers rangs, la famille, puis derrière, les proches, amis, collègues, voisins, et tout derrière,  deux hommes qui n’ont pas l’air de se  connaitre, qui ne connaissent pas les autres non plus, qui  ont l’air très affectés. Maurice, le frère ainé se retourne, les dévisage, leur adresse un petit signe de tête entendu.

La mère est effondrée dans son siège.

 Aline, sa femme, prend la parole. Elle évoque la  vie de son mari écourtée par cet accident imbécile, comme le sont tous les accidents. Elle est digne, parle comme si elle racontait une histoire, n’importe quelle histoire, sans trémolos, droite dans ses bottes. Elle raconte l’enfance privilégiée, la scolarité sans accrocs, les études brillantes, leur rencontre sur les bancs de la fac, leur voyage en Asie, l’installation professionnelle, l’installation dans leur appartement bobo du 20éme arrondissement de Paris. Des années de bonheur ? Non, elle ne parle pas de bonheur. Elle parle de réussite. De réussite professionnelle, de réussite sociale. Elle passe sous silence les absences de Xavier, ses disparations soudaines, ses réapparitions sans explications, elle passe sous silence leur stérilité à tous les deux, leurs fréquents silences lourds de sens. Son témoignage est dit d’un ton clair, neutre, sans fioritures. Elle souhaite la paix au ciel à son mari décédé et se rassoit tranquillement.

Maurice, le frère aîné, prend la suite. Tout, dans son allure, dans sa voix, montre qu’il est plus affecté qu’Aline, l’épouse, la veuve. Il parle d’un petit frère qu’il avait bercé, dorloté, calmé quand il piquait ses grosses colères. De son petit frère qu’il avait consolé après la mort subite du père. D’un petit frère tout sensible, tout doux, tout en rondeurs, qui avait grandi trop vite, qui avait remisé ses dons artistiques et  son identité profonde au placard, qui avait mis les bouchées doubles pour bien travailler à l’école,  au lycée,  à l’université, pour devenir un homme bien sous tous rapports,  pour ne pas décevoir un fantôme de père brillant, tout puissant, dont on disait qu’il avait toujours été le premier partout où il était passé. Maurice, le frère aîné, parle de sa propre déception devant la transformation de son petit frère sensible en bourgeois-normal--à qui-tout-réussit. Même sa mort, il l’a réussie. Mort sur le coup, il n’a pas eu le temps de souffrir, qui ne souhaite pas une mort si indolore ? Maurice sait qu’il a mécontenté Aline, la veuve, qu’il a choqué Agathe, la mère, avec son discours vérité.  Tant pis, il se rassoit, il est triste mais calme, il a dit les choses, même à demi-mots.

Les deux hommes au dernier rang disparaissent de plus en plus dans leurs sièges, le nez dans les mouchoirs.

Maurice installe la musique, un air de Bob Dylan que son petit frère adorait.

Puis vient le tour d’Antonin, ami de jeunesse, qui prend la parole. Oui, il avait vu, lui aussi,  Xavier se transformer au fil des ans. Il l’avait connu fantasque, spontané, artiste, secret, fragile. C’est cet homme- là qui lui manquera toujours.

Les deux hommes du dernier rang  s’enfoncent un peu plus dans leurs sièges. On entend renifler.

Annette, une collègue de bureau, évoque un collaborateur très présent, toujours au mieux de sa forme, toujours souriant,  un homme aimé dans son service, par ses pairs et sa hiérarchie, un homme bien, tout simplement. Une immense perte pour l’entreprise.

Un voisin âgé parle d’un couple modèle, d’un homme toujours avenant,  toujours prêt à rendre service.

Maurice fait passer une musique de Wagner, un compositeur que Xavier affectionnait les derniers temps. Il disait que cette musique était euphorisante, énergétique.

L’un des hommes du dernier rang se lève, monte sur l’estrade, prend le micro. «  Je l’ai aimé » dit-il, « Xavier était l’amour de ma vie. » Sans un mot de plus, il va retrouver sa chaise au dernier rang.

Les mines se renfrognent, les regards se baissent, le silence règne, Aline, la veuve ne bouge pas, reste digne, pas un signe, rien.

Le deuxième homme du dernier rang se lève sans bruit, quitte la salle discrètement.

Les têtes se retournent, les regards fixés vers cet homme qui quitte la salle.

Maurice, le frère ainé, demande à l’assistance de suivre le cercueil jusqu’au crématorium.

L’homme du dernier rang quitte la salle avant les autres, et disparaît au milieu de la foule dans le hall.

Les autres suivent Maurice, l’aîné, et Aline, la veuve. Sans un mot. Dans un grand silence très lourd. Pas seulement de tristesse. 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité