Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
23 septembre 2013

Paroxysme, par Rolande Bernard

Piste d'écriture: écrire avec tous ses sens,en particulier l'ouïe et l'odorat. C'est à un paroxysme d'angoisse - et d'humanité -  que nous convie ici Rolande...

 

Paroxysme

 

Cela fait trois heures qu’Aïssa est caché, la peur au ventre, le corps ramassé dans l’obscurité. Par le soupirail il voit le ciel qui s’embrase avec une application répétée. Il se surprend à rêver à un feu d’artifices, ou chaque illumination serait un régal de l’œil, où toutes ces couleurs mêlées aux étoiles vous offriraient un spectacle féérique.

« Arrête de rêver. Ce n’est pas un feu d’artifices, mais un bombardement ».

Les détonations des bombes l’obligent à se mettre les mains sur les oreilles. A ce moment, comme il voudrait être sourd, ne rien entendre… Lui, féru de musique, dont le passe-temps est de jouer du oud et du violon…

Et la puanteur ! Lui qui a tant aimé se promener dans les souks pour sentir les effluves capiteux des épices ! Il ne peut supporter l’odeur de la cordite, qui lui pique le nez. Un abominable relent de pourriture remonte des égouts. Il lui semble entendre des cris, des appels...

Sa respiration devient haletante. A chaque déflagration, sa peur est plus intense. Il tremble, il pleure, il est en pleine crise d’angoisse.

Au bout de trois heures de ce rythme infernal, le silence plane à nouveau, coupé de quelques plaintes. Aïssa ne sait que faire, que penser. Ses jambes ne peuvent le supporter. Il doit rentrer chez lui, pourtant. Le début du bombardement l’en a empêché. Maintenant, que va-t-il trouver ? Son immeuble est-il resté debout ?

Il reste là, tapi, il pense à sa ville, Alep, lieu de mille merveilles, dont le centre où il habite avait été classé, en 1986, au patrimoine mondial de l’humanité. Lui était encore un adolescent. Comme il était fier alors que l’Unesco s’intéresse à son quartier ! Et jusqu’à il n’y a pas si longtemps, il était presque  aussi orgueilleux de travailler aux savonneries. Ce savon vert olive, si apprécié dans le monde entier… Lui, avec sa petite équipe, cherchait à lui trouver des déclinaisons, afin de séduire encore d’autres amateurs…

Après ces années de désastre, que va-t-il rester ? Son effort a-t-il encore du sens ? Pourquoi les hommes ne peuvent-ils s’entendre, sans user de la violence pour conquérir le pouvoir ? Que font-ils de la sérénité et du plaisir à vivre ensemble ?

Il est encore en pleine panique, il le sent, il s’en pose à lui-même le diagnostic. Il n’ose sortir de l’abri précaire que lui a fourni cette cave abandonnée. Que de cadavres, de moribonds, de maisons détruites, va-t-il trouver ? Et sa famille… ? Sa douleur est si intense qu’il se remet à trembler, à claquer des dents. Bien que ce soit le mois de juin, il a froid. Il entend les sirènes des ambulances. L’attaque est finie… mais pour combien de temps ? « J’ai beau prier Allah, il ne m’entend pas, il laisse les hommes s’entretuer. »

Il se décide enfin à sortir à tâtons de sa cachette. Il n’a que son seul briquet pour l’éclairer. « Mon aide sera peut-être utile… » se dit-il pour combattre son appréhension. Malgré son cœur qui pulse à 100 à l’heure, lui a la chance d’être vivant.

Quand tout cela va-t-il s’arrêter ? Faudra-t-il mourir pour trouver le paradis ?

Il pense à sa femme. Il court, maintenant.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité