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31 octobre 2013

Tara (2), par Karima Hadjaz

(suite du texte)

Ses pas se font plus rapides, plus saccadés. Ses sens sont amplifiés mais pour percevoir ses peurs dans les troncs difformes des arbres, dans le bruissement mystérieux et fantomatique du vent, dans le craquèlement des branches dans les fourrés, dans l’écho des pas dans sa tête, dans le ressac de ses pensées obsédantes. Son sac pèse sur ces épaules. Elle stoppe pour boire une gorgée d’eau et se ressaisir «  la vie est belle, tu rêves tellement de ces moments là, pourquoi les gâcher avec tes idées noires, «  émet-t-elle en son for intérieur. Elle  a du mal à avaler cette eau qui se coince dans sa gorge, offrant au silence un bruit de déglutition forcée. La rivière sèche qu’elle suit depuis le début de cette aventure elle aussi retient ses eaux. Tout est immobile et pourtant si tumultueux.

Heureusement, des criquets  à chaque saut offrent leur ventre rouge-passion à ce paysage monochrome. Des papillons jaunes aussi  l’accompagnent quand elle reprend la marche. Elle accroche son regard à ces compagnons de voyages et s’imagine  leur courte vie qui  se résume à virevolter et à butiner.

Un voyage, oui c’est cela, la marche est un voyage, semble t-elle définir ?

Un voyage, un espace à conquérir, de nouveaux chemins à découvrir, de la beauté à s’offrir en cadeau, voilà se qu’elle est venue chercher. Pourtant c’est son corps qui se découvre, un corps qui tremble, un corps assoiffé qui ne sait plus boire, un corps à porter qu’elle trouvait pourtant si beau ce matin, un corps à ramener entier, finit-elle par conclure.

Au détour du sentier, enfin une percée de lumière, le ciel bleu embrasse Tara  qui sourit. Un rire conditionné, nerveux, un rire de conjuration.

Le sentier grimpe .Sous ses pieds les pierres roulent, emportant dans un tremblement des éclats de sa peur. Elle se baisse pour délacer ses chaussures de marche qui ont porté ses pieds gonflés d’inquiétudes. Sa main posée au sol effleure une pierre chauffée, exhalant sa poussière blanchâtre. Sous ses yeux, un scarabée noir luisant s’est arrêté, probablement pour écouter les battements du cœur de Tara. Celle-ci fait une pose pour reprendre du souffle. Un souffle qui reprend son essence. Elle sourit à la bête noire et à ce noir arc-en-ciel sur son dos, toujours immobile. Le scarabée reprend sa route et la peur de Tara doucement  s’en va aussi, comme si elle s’était posée sur la carapace noir arc-en ciel de l’insecte.

Karima_IMG_3226

A présent, la marcheuse s’accroche aux rapaces qui planent avec plénitude dans le bleu lointain : un concert d’ailes avec le vent. Elle  se sent mieux, moins seule et en harmonie. L’horizon ouvert balaye ses dernières inquiétudes .Cela fait déjà plusieurs heures qu’elle chemine même si le temps lui semblait paradoxalement suspendu. Son corps retrouve peu à peu une légèreté, celle qu’elle est venue rechercher. Elle bâille, s’étire, commence à converser avec les oiseaux qu’elle croise sur son chemin, de plus en plus nombreux. Où étaient-ils ? S’interroge t-elle. Ils étaient là pourtant. Elle capte des clapotis qui s’amplifient  au fur et à mesure des ses pas. Des voix au loin la rassurent, des échos de jeunes gens semblant profiter d’une cascade d’eau. Il y a de l’eau, le savait-elle?

Son regard plonge dans le lit de la rivière, un lit d’ombres et de lumières, un lit de gros cailloux ronds et lisses et de branches entières, un lit de silence tranquille. Le soleil dessine des arabesques en jouant avec les feuilles sur les arbres.

Tara regarde l’heure sur son portable : cela fait déjà 4 heures qu’elle marche.

4 heures d’oscillations  mais 4 heures de marche, de mouvement. Elle se dit que son horizon s’est ouvert, que la quête du silence est coûteuse, qu’elle l’accepte et même elle se sent digne.Digne d’avoir marché, d’avoir affronté ses peurs, digne de ne pas avoir abandonnée, digne de son choix, digne de choisir.

Elle a enfin bouclé la boucle.

C’est la fin de la journée, le soleil l’attend pour se coucher, elle s’accroche à lui avec tendresse. Elle se dit qu’elle a choisi de marcher seule, de boire seule, de rire seule, d’avoir peur seule : le voyage est intérieur à présent. La marche sonde l’intériorité de l’être, écrit-elle sur son petit carnet. Le dernier rayon de soleil dessine un filet horizontal au loin, Tara  sur la terrasse de sa chambre attrape le silence et le conduit au sien, maintenant apaisé.

 

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Commentaires
E
Très beau texte... A sa lecture j'ai pris un grand plaisir à accompagner Tara dans sa marche solitaire, à la suivre dans ses réflexions intérieures...
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