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17 février 2014

Annonciation noire (et son commentaire), par Rolande Bernard

 Piste d'écriture: le rêve, et les échos qu'il peut avoir sur la vie.

 

Annonciation noire

(et son commentaire)

 

Certains rêves peuvent s’expliquer. Ils peuvent relater ce qu’on a vu ou vécu dans la journée. Mais celui qui va suivre était étranger à toute circonstance présente. Ce rêve, que j’ai fait il y a 52 ans me hante toujours, et il m’est difficile à interpréter encore aujourd’hui.

Rien ne me prédisposait au déroulement onirique qui va suivre. Agée de dix-sept ans, je suis avec mes deux sœurs dans la salle à manger de l’appartement de mes parents. Nous sommes insouciantes, riantes, habillées avec des vêtements courants, quand pour une raison que je ne m’explique pas, nous voilà vêtues toutes de noir. Ma mère vient nous rejoindre, vêtue elle aussi de noir. Ensuite ma grand-mère, qui tient une couronne mortuaire en perles.

(Pour gagner quelques sous, elle en avait confectionné, quand j’étais petite, de ces couronnes. Mais elle n’en faisait plus à cette époque-là).

Toutes les femmes qui se présentent ensuite dans le salon sont en noir. Certaines portent des bouquets de fleurs. Les hommes ont un crêpe noir au revers de leur veste...

Je ressentis un tel malaise que je me réveillai.

Ce rêve me laissait un goût amer, j’étais déroutée. Dès le matin, j’allai l’expliquer à ma mère, quand un télégramme vint nous avertir que mon oncle, le frère de Maman, avait trouvé la mort. Il rentrait de son travail en mobylette, à 150 km de chez nous, quand il avait été renversé par une voiture. Il était décédé des suites de ses blessures dans la nuit.

Nous nous sommes toutes effondrées en larmes. J’ai repensé fugacement à mon rêve, mais évidemment sans l’évoquer.

Je me suis toujours demandé si j’avais fait un rêve prémonitoire. Pourquoi ce noir signe de deuil, est-il venu me hanter cette nuit-là ? Je ne le saurai jamais. Est-ce une coïncidence ? Certains diront que l’âme de cet oncle de qui j’étais proche, était venue m’avertir.

Quoiqu’il en soit, trois jours après cette scène onirique, je me retrouvai dans la même situation, mais cette fois réelle.

Définir le rêve relève plus de la psychanalyse que du quotidien. Le rêve porte en lui-même ses limites. Quelle interprétation Jung aurait-il eue à propos du mien ? Pour m’éclairer, j’ai parcouru son dernier ouvrage, Essai d'exploration de l'inconscient.

La genèse de cet ouvrage est elle-même étrange, puisque Jung en a eu l’idée, quelques mois avant sa mort, après avoir fait lui-même un rêve : il se trouvait dans un bureau et il fouillait. Au réveil, il décida d’écrire ce livre, dans lequel il interprétait des symboles oniriques.  Je l’ai bien parcouru, mais je n’y ai pas trouvé le symbole qui m’aurait aidée.

La genèse de cet ouvrage est elle-même étrange, puisque Jung en a eu l’idée, quelques mois avant sa mort, après avoir fait lui-même un rêve : il se trouvait dans un bureau et il fouillait. Au réveil, il décida d’écrire ce livre, dans lequel il interprétait des symboles oniriques.  Je l’ai bien parcouru, mais je n’y ai pas trouvé le symbole qui m’aurait aidée.

 

 En écrivant ce texte, je me demande encore une fois pourquoi ce rêve continue de m'interpeller.

C’est peut-être que consciemment, je ne crois pas à une survie après la mort, et que ce rêve, s’il était un message que mon oncle m’avait adressé, pourrait contredire cette affirmation.

En fait, je pense que ce rêve est surtout le témoignage de l’affection qui nous liait, mon oncle et moi.

Mais je m’interroge encore sur mon rapport au surnaturel, et au sacré. Voilà ce qui ressort de ce débat contradictoire avec moi-même :

Je refuse les religions et les dogmes, mais je dois m’avouer que je suis déiste  Bien que la nature et ses propriétés restent inconnaissables, je crois en l’existence d’un dieu et à son influence sur la création de l’univers. Mais pour moi, les religions ne sont pas l’œuvre du divin, mais celle de l’homme. Elles n’ont pas hésité à faire des millions de morts durant les siècles passés, et encore actuellement pour s’imposer. Je pense que les tenants d’une religion s’illusionnent en pensant qu’elle dépasse les autres dans une meilleure compréhension de l’être et de Dieu.

Par ailleurs, peut-on croire tout en admettant que ce que l’on croit est douteux, incertain ? La question reste posée. Pascal répond par l’affirmative, en nous invitant au pari. Moi aussi, je doute lorsque je vois la misère du monde : qu’est-ce que Dieu, s’il existe, fabrique ? Pourquoi notre impuissance ?

Je ne suis donc pas très au clair sur cette question-là.

Mais, allez-vous me dire, il est surtout question, dans ce rêve, de prémonition.

J’ai fait des recherches. La prémonition vient du latin pre (qui signifie avant) et de moner (avertir). Le dictionnaire nous apprend que c’est un avertissement inexplicable qui s’impose à la conscience et fait connaitre un évènement à l’avance, ou à distance.

Aucune théorie scientifique n’est arrivée à expliquer ce concept, lequel vient contredire le monde hylique, c'est-à-dire une conception du monde dans laquelle tout viendrait de la matière et rien de ce qui se trouve au-delà. Là, cela me pose une nouvelle question : est-ce que moi, je crois en l’âme ? Est-ce que c’est croire en la persistance de l’âme que de ressentir, comme cela m’arrive souvent, que ceux auxquels je tenais et qui sont morts, continuent de m’accompagner ? Lorsque je m’adresse à eux, est-ce à une partie de moi que je m’adresse, ou à une présence surnaturelle ? Je n’ai pas de réponse assurée à cette question. C’est peut-être une forme de pensée magique, mais qui me fait du bien. C’est aussi un moyen de garder vivant le dialogue que j’entretiens avec mes disparus.

Avoir parlé de ce rêve me pose aussi une autre question : est-ce que je crois que l’avenir est écrit ? En m’interrogeant, je me rends compte que pour moi, une partie de notre avenir est écrit, c'est-à-dire probable. Il est lié au contexte de notre naissance, et aux opportunités que nous offre la vie. Mon premier mouvement a été de dire que notre avenir, nous n’en sommes ni conscients, ni maîtres. Mais à y repenser, et à penser à mon propre parcours, je dirais que la réflexion et la volonté nous aident à modifier la donne. J’ai été ouvrière à 14 ans, mais mes enfants ont fait de bonnes études, et je me suis battue pour cela.

Mais pour en revenir au rêve, nous pouvons peut-être prédire un peu de notre propre avenir en devenant plus conscients, mais cela n’explique de toute façon pas les prémonitions que nous pouvons avoir à propos de la vie des autres.

Donc, mon rêve me reste inexplicable. Peut-être mon oncle m’a-t-il « fait signe » au moment de passer, peut-être m’a-t-il envoyé encore un message, que je n’ai pas su lire, celui-là ? Que la vie est faite d’amour, et qu’il ne faut jamais désespérer.

Et aussi, que la vie est courte, et que je n’ai pas le droit de manquer la mienne. C’est peut-être ce qui m’a donné la détermination, malgré mes conditions de vie et de travail, de prendre des cours du soir au Lycée de  La Martinière, et même des cours particuliers de français, pour passer le brevet. Cette ouverture d’esprit m’a permis de réfléchir, de continuer à avancer, et de me battre pour mes propres enfants. Je ne voulais pas être dans la reproduction.

Au final, je répète donc ce que j’ai dit : je pense que ce rêve est un témoignage d’amour.

 

 

 

 

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