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21 juillet 2014

Pâris des bois VIII, par Corinne Français

C’est une forêt de gratte-ciel  qui bouche l’horizon. À perte de vue, des buildings en rangs serrés. Un bataillon compact de bureau aux angles durs. La lumière du jour se reflète sur les prismes de cet immense miroir formés par les façades vitrées.

Lui, se tient devant l’entrée froide d’une des tours. Il est engoncé dans un costume noir qui l’étouffe ostensiblement. Il tente de desserrer sa  cravate mais n’obtient aucun résultat. Celle-ci se referme inexorablement sur son cou. Le ciel disparaît ; les immeubles prennent tout l’espace. Ils se dressent, menaçants, comme autant d’obstacles infranchissables.  Il sent peu à  peu la panique le saisir et hoquette en cherchant l’air qui lui manque de plus en plus cruellement.

Ses yeux s’ouvrent et il respire à grandes goulées.  Il est entortillé dans son drap, en nage.  Autour de lui, le silence. Dehors, le frissonnement des noisetiers contre le volet aux rafales du vent. Il reste hagard, immobile et inquiet un bon moment. Enfin, il se débarrasse du droit froissé et s’efforce  d’apaiser son corps. Il se rendort.

 

Un appartement dans un immeuble. Les enceintes crachent une musique assourdissante. Les   basses sont si fortes que leurs pulsations résonnent dans le ventre. Tous les sièges sont occupés. Il y a des gens assis par terre. Les verres circulent, l’air est enfumé, quasi irrespirable. Ça rit, ça crie. C’est un joyeux brouhaha. Des jeunes filles en jupes plissées gloussent  aux blagues de jeunes gars en costume trois pièces. Sur le balcon, quelques fumeurs sont engagés dans une discussion passionnée.

Soudain, la lumière s’éteint et les exclamations fusent.

De la cuisine qui s’ouvre, une jeune femme surgit, dans les bras, un gâteau recouvert de bougies scintillantes et se dirige lentement vers lui. D’un commun accord, les convives se mettent à scander : « Kojirô ! Kojirô ! »

Au même moment, son portable sonne. Il décroche et tout bascule dans un puits sans fond.

 

« Kojirô ! Kojirô ! »

Il ouvre un œil. C’est Pâris qui le secoue.

- C’est l’heure !

- Mmm… répond Kojirô, léthargique.

Il s’assied dans le lit, encore embrumé par le rêve et demeure ainsi, perplexe. L’odeur du café  finit de le réveiller. Il ose poser un orteil au sol, puis le pied entier et enfin l’autre jambe.  Il s’extrait  pénible sa nuit encombrée de songes. Il a oublié le contenu du dernier rêve, dont il ne reste que le souvenir d’une sonnerie de téléphone. Aussitôt, une boule se forme au creux de son sternum. Il se lève vivement et sort uriner dans la courette. L’air vif le saisit, dès qu’il franchit le seuil.  Kojirô se dépêche de rentrer et s’attable devant la tasse de café tandis que Pâris s’active dans la pièce.

Peu à peu, le projet de la journée lui revient en mémoire. L’énergie remonte d’un coup et il se jette sur les tartines qu’il dévore.

 

Les deux hommes marchent de front. Le vent a forci mais les températures n’ont pas chuté. Pour le moment, le chemin est plat. L’allure est soutenue.

- Le chemin, indique Pâris.

- Le chemin, répète Kojirô.

Un geai, protégé par les ramures, s’élance devant eux, battant frénétiquement des ailes en poussant des cris stridents.

- Un oiseau, poursuit Pâris.

- Un oiseau, imite Kojirô.

Pâris agite les bras de haut en bas.

- Il vole !

- Il vole !

 

 La balade continue, ponctuée par les exclamations de Pâris dont Kojirô se fait l’écho. Le chemin devient sentier et s’élève peu à peu dans la montagne. La végétation a changé. Ce ne sont plus des noisetiers et des hêtres qui les entourent mais des rangées compactes de sapins. Leurs cimes sont hautes et leurs troncs impressionnants de rectitude. Les vieux conifères cherchent la lumière, coûte que coûte, se hissant toujours plus pour atteindre l’azur. Dans le sous-bois, désormais, le pied foule un tapis d’épines uniforme. Il règne une semi pénombre chargée d’humidité et un silence oppressants.

Kojirô ralentit et s’arrête subitement. Le rêve lui est revenu d’un coup. Sa respiration se fait  rauque. Pâris se tourne vers lui.

- Ça ne va pas ? s’inquiète-t-il.

Kojirô s’est assis sur une pierre. Il desserre son foulard et reprend son souffle peu à peu.  Enfin, il se relève et repart d’un pas décidé. Il mène la marche, concentré sur ses pieds et ne quitte pas le sol du regard. Il sent que relever la tête lui est impossible. Pas tant qu’ils ne sont pas sortis de la forêt sombre. Enfin, l’ascension aidant, les deux marcheurs  quittent les sapins et progressent désormais sur terrain découvert. L’herbe est rase, de rares buissons aux branches nues parsèment le sentier caillouteux.

Pâris et Kojirô atteignent le sommet du Salève avant-midi. Quelques parapentes au-dessus d’eux, cherchent les courants, dans l’azur silencieux. Kojirô grimpe sur une roche plate. Il étend les bras et se laisse malmener par les rafales. Les yeux fermés, il s’amuse de ses sensations.

Un peu plus tard, il s’élance du sommet, les ailes ouvertes, s’engouffrant dans un couloir d’air qui le propulse vers la vallée. Il passe au-dessus de la forêt de sapins et en contemple les cimes de bien plus haut. Il se sent libre, neuf et invincible.

 Pâris le regarde de loin, les bras en croix sur son rocher. Il sourit, en sortant du sac une thermos de café et deux tasses en fer-blanc.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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