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1 décembre 2014

Un piquenique, par Corinne D

Piste d'écriture: à travers ses vêtements et son "look", nous aider à faire la connaissance d'un personnage. Montrer son état d'esprit, son évolution.

Elle était là, comme tous les jours, assise en face de moi. Nos écrans d’ordinateurs et nos piles de dossiers réciproques me la cachaient presque entièrement. Pour mieux la distinguer, il me fallait me déplacer sur la gauche, pencher légèrement la tête vers l’épaule et me hausser sur mon siège. Je le faisais désormais en toute discrétion, de manière totalement naturelle. Tellement naturelle que cette étrange posture, très inconfortable, n’étonnait personne.

Ainsi, régulièrement, tout en faisant mine de réfléchir, je l’observais. On aurait dit une enfant, petit être fragile, enfoncé dans son grand fauteuil noir où elle disparaissait quasiment. La couleur n’était pas son fort apparemment et ses différents pulls, en dégradés de noirs, se confondaient avec le dossier de son siège, avalant sa silhouette. Seul son visage, illuminé par la lumière blafarde de son ordinateur, ressortait. Pâle, les yeux cernés et les traits tirés. Elle n’était pas jolie à proprement parler mais il émanait d’elle une évanescence étrange et mystérieuse qui me subjuguait. Ses long cheveux blonds, couleur des blés, auraient pu égayer son aspect et la rendre moins fantomatique mais elle les ramenait constamment en une queue de cheval qu’elle entortillait d’un geste nerveux avant de l’attacher au sommet de son crane.

Elle avait beaucoup maigri ces dernières semaines et ses vêtements usés et informes accentuaient sa maigreur. Je la sentais triste et, ce jour-là, lorsqu’un léger soupir lui échappa, je ne pus retenir mes mots.

« Ça te dirait, Dimanche, un piquenique ?... Je connais une petite clairière très sympathique où on pourrait aller. »

Elle me dévisageait, étonnée, sans répondre. Forcément ! Nous ne nous adressions presque jamais la parole et voilà que je l’invitais, de but en blanc, à un piquenique.

Je m’empressai donc d’ajouter, affolé par mon audace, « Heu… Ca te ferait du bien, non ? Tu es si pale… et puis, ils prévoient un beau soleil ! »

Comme si cet argument, infaillible, allait m’ouvrir toutes les portes, je lui adressai un grand sourire satisfait. Elle continuait de me regarder fixement et je sentis une grosse goutte de sueur glisser le long de ma tempe. « Quel idiot ! Mais quel idiot », me répétais-je quand tout à coup elle se détendit. Tous ses membres se relâchèrent, un léger sourire ourla ses lèvres fines et ses yeux pétillèrent. Envolé le petit fantôme sombre qui me faisait face. Ses joues se teintèrent de rose et ce fut pour moi comme une explosion de couleur.

« Avec plaisir » me répondit-elle de sa petite voix chantante.

 

              La matinée du samedi fut consacrée aux préparatifs, mais je ne cessais d’imaginer dialogues et scénarios tous plus improbables les uns que les autres. J’oscillais entre euphorie et abattement. Je décrochai cent fois mon téléphone pour annuler avant de le raccrocher nerveusement. Et finalement, j’arrivai près d’une heure en avance devant sa porte. J’essuyai mes mains moites et sonnais.

Quand elle ouvrit la porte, je restai stupéfait à la dévisager. M’étais-je trompé d’adresse ? Non, c’était bien elle, et une autre en même temps. Ses cheveux, détachés, encadraient ce même visage laiteux, presque cadavérique, que je voyais tous les jours de la semaine. Sauf que, cette fois, la bouche souriait franchement, faisant naitre de petites rides aux coins de ses yeux.

Elle portait une jolie petite robe en soie, légère, qui ondulait à chacun de ses mouvements. Je ne pus m’empêcher de noter le profond décolleté, dévoilant sa gorge et la naissance de ses seins. De manière totalement irrespectueuse, je la déshabillais du regard. Elle n’était pas si maigre finalement. Fine, oui, mais avec de belles formes. La robe s’arrêtait au dessus du genou et elle portait aux pieds… de vieilles baskets grises !

Je fronçai les sourcils et m’interrogeais sur cette incongruité lorsque j’entendis son rire cristallin.

« Je me suis dit que ce serait plus pratique. Et plus confortable. Je suis déjà assez gênée de porter cette robe… On y va ? »

Elle avait attrapé un petit sac bordeaux qui se mariait joliment avec les motifs de fleurs qui parsemaient sa robe. Elle s’avança dans la lumière chaude du soleil qui baignait son perron. Sa peau se dora et ses cheveux s’embrasèrent. La blancheur de sa robe m’éblouit et le temps, pour moi, s’arrêta.

 

              «  Tu t’es fait belle pour moi ? » lançai-je, avant de réaliser brusquement l’absurdité de ma question. Je me serais tapé la tête contre un mur devant tant de bêtise. J’attendais la rebuffade acide qui inévitablement allait ruiner cette belle journée. Mais elle se contenta de tourner, vers moi, son doux visage aux yeux rieurs.

 

             Le lundi matin, alors que j’arrivais devant ma place, j’eus la surprise de découvrir qu’un petit fantôme, tout de noir vêtu, avait déplacé mon bureau, légèrement sur la droite. Plus besoin de me pencher désormais pour admirer l’éclat de ses yeux qui me sourient.

 

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