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13 juin 2015

Gare de Palerme, par Colette Rostan

Piste d'écriture: donner la parole à qui ne l'a pas d'habitude, objet, végétal, animal...

gare

Elle me regarde avec des yeux tristes.

La gare est immense, on y accède par une porte vitrée qui coulisse et je me faufile rapidement avec les premiers voyageurs du matin. Le marchand de journaux crie déjà les titres de la journée. Aujourd’hui la folie des hommes s’est encore déchaînée. A droite, on se précipite pour acheter les billets, la file se forme, je me place sur le côté avec l’espoir d’un regard, d’un geste, d’un bout de pain. Parfois j’en rajoute un peu et ça marche. Je connais bien la fille qui vend les croissants tout chauds et les douceurs du matin. L’odeur du chocolat, du beurre et les parfums sucrés se répandent autour du petit kiosque. Je sais quand la petite vendeuse est triste car elle se montre alors très généreuse mais quand elle est gaie, elle m’oublie. Heureusement à son âge on a souvent des chagrins d’amour, j’aime quand elle pleure, ce jour là je suis rassasié, j’obtiens à peu près tout ce que je veux.

Quand on s’aventure au-delà des premières arcades, on voit les trains soigneusement rangés le long des quais. Je m’assieds et j’observe la foule qui se précipite au moment du départ : les employés cravatés enchaînés à leur petit attaché-case pressés d’aller s’enfermer entre quatre murs, les belles filles plantureuses perchées sur leur hauts talons, des plus jeunes qui gloussent en se racontant des histoires, des vieux qui ont du mal à marcher, des amoureux avec leur sac à dos, des enfants qui courent, toujours en retard. De temps à autre, une main frôle ma tête, je ne me laisse pas toujours faire, j’ai encore le droit de choisir. J’ai droit aussi à des regards plein de compassion, je sais, je fais pitié. J’ai appris très vite à éviter les coups. Souvent ils viennent de plus abandonné que moi, la rue est dure aussi pour les hommes.

L’hiver c’est un peu plus difficile, il faut repérer les endroits bien à l’abri, se protéger du froid à côté d’un sac à dos qui attend, d’une  valise, oser pénétrer dans une salle d’attente chauffée et se dissimuler sous les bancs. Mais aux premiers rayons du soleil, je reviens vite sur le quai, je m’étends et je savoure ce moment plein de promesses. On m’évite soigneusement, on s’arrête, on hésite, on peut croire que … mais non, je dors, je rêve !

Quand la gare est redevenue calme, je m’aventure là-bas au bout du quai, j’y trouve toujours de l’eau dans un petit bassin et j’avance au milieu des herbes folles et des fleurs courageuses qui poussent près de rails. Je m’y cache et j’écoute le vent qui les fait onduler ; je renifle les odeurs sauvages des abords de la ville mais je reste prudent, je ne dois pas me blesser sur les bouts de verre et de ferraille. Un jour, j’ai essayé de monter dans un des trains en faisant semblant d’accompagner des enfants qui partaient vers la mer leur bouée en forme de canard sous le bras mais il est impossible de rouler l’homme en uniforme avec sa mine hargneuse. Je ne lui en veux pas, il est là tous les jours à encaisser les remarques des uns et des autres, sans compter les insultes, j’entends ce qui se dit dans son dos.

Quelquefois une jolie petite toute frisée et pomponnée me croise, elle aimerait sûrement venir vers moi mais la laisse l’entrave même si elle est incrustée de fausse pierreries, d’autres passent mais ne restent pas, je n’ai pas grand-chose à offrir.

La touriste est toujours là, elle me regarde encore avec ses yeux tristes, je gâche un peu sa journée et le plaisir du départ , mais on oublie si vite !

Je suis le chien de la gare de Palerme, je n’ai pas de collier et je n’attends pas mon maître, pourtant j’aimerais  avoir moi aussi une statue, comme Hatchiko, le chien fidèle de la gare deTokyo.

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