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2 juillet 2015

Les trois cousins, par Corinne Français

 

Piste d'écriture: une situation identique vécue par différents personnnages. Support: une photo

Pascal

laboye mariage

Quand je revois cette photo, j'hésite entre rire et atermoiement. Je me vois, tenant ce voile de mariée, cette fragile traine de tulle immaculée entre ma cousine Martine et mon cousin Jules. Je tiens la chose à pleines mains, vaillamment, hardiment comme on serrerait le Saint Graal contre soi, investi d' une mission quasi divine... agrippé plus exactement à ce bout de chiffon transparent comme s'il pouvait se déchirer juste par inattention, par manque de sérieux. Car c'est solennel, pour un petit garçon de six ans, tenir la traîne d'une mariée. Dans l'excitation de l'événement, pendant que les cloches sonnaient, que les mariés, la familles et amis du couple étaient tous aux anges, nageant dans le plus pur bonheur, le petit garçon que j'étais, lui, ne pensait qu’ à une chose : bien s'acquitter de sa tâche et rester la fierté de ses parents, malgré ses oreilles décollées et son râtelier en bouche.

Lorsque je revisite la scène, aujourd'hui, à l'aube de la cinquantaine, moi, Pascal, le fils unique de Robert et Paulette, je peux encore goûter la confusion des sentiments qui me traversaient de part en part. Par exemple, je savais que ma mère se tiendrait devant la pharmacie du centre, l'appareil en main, l'oeil dans le viseur pour immortaliser l'événement : son fils tenant la traine de la mariée, en l'occurrence sa sœur Yvonne. La photo devait correspondre aux désirs de ma mère puisqu' elle l' a gardée jusque- là. Je fixe bien l'objectif, je suis fier comme Artaban. Il manque juste le sourire.

Le sourire, il est sur le visage de Martine, ma merveilleuse cousine, à ma droite sur la photo. Martine, de quatre ans mon aînée, qui se moquait de moi constamment. « Ferme ta bouche, tu rayes le parquet ! Bouge de là, tes oreilles me font de l'ombre. ». Elle collectionnait comme ça tout un registre de douceurs que je prenais de plein fouet sans broncher, sans savoir répondre, absence de paroles et de répartie. Tout allait trop vite pour moi, déjà à cette époque. Mais j'avais aussi une grande admiration pour cette péronnelle sûre d'elle et débordante d'idées. Elle pétillait, Martine. On le voit bien sur la photo d'ailleurs, à côté de son cousin Pascal, l'angoissé de service. Dans son sourire entier, généreux, on devine qu'elle est insoumise et que rien ne peut la désarçonner. Elle mord la vie à pleines dents, elle dévore tout. Au fond, c'est ce qui devait m'attirer chez elle. Cette capacité à foncer droit devant sans se soucier de quelconques dommages collatéraux. Moi, j'étais pelotonné dans les jupes de maman, des jupes amples comme ça se faisait à l'époque et où je courais me réfugier dès qu' il y avait du grabuge : le luxe de l'enfant unique. Etre le roi, l'élu d' une mère, le missionné de dieu, celui par lequel la lignée se perpétuera, celui sur qui la famille compte pour relever le flambeau...

Martine, c'était l'ainée de sept enfants. Un de plus, un de moins, c'était toujours trop d'obstacles entre elle et la mère. Dans les campagnes, une ribambelle de gamins, c'était chose courante. Mais pour ce qui était de l'affection et des caresses, tu pouvais toujours courir. Moi, j'étais un enfant de la ville, un planqué, un gosse gâté archi pourri. Alors, pour Martine, c'était chose aisée que de me prendre comme tête de turc : de toute évidence, j'avais le profil. En même temps, je me souviens qu' on s' aimait bien, malgré la différence d'âge. Je buvais ses paroles. Il faut dire qu’ elle savait inventer des pays fabuleux, des cités inconnues aux palais luxuriants qui brillaient de mille feux dans ses yeux passionnés. Et moi, moi, je gobais toutes ses folies, ses délires, les oreilles  grandes ouvertes, la bouche bée. Jusqu'à ce qu'elle me ramène à la réalité : « Mais ferme ton clapet, tu ratisses les feuilles !  »     

Ma cousine, elle est morte il y a deux ans, en Inde où elle séjournait pour son boulot. Elle prenait des photos au bord du Gange. Un gars en scooter a perdu le contrôle de son engin. Il l'a heurtée. Elle est tombée sur une pierre et hop, plus de cousine. Ça m'a fait un drôle de choc d' apprendre sa mort. Une mort très bête. Mais la mort, c'est toujours très bête, quand on y pense. Ça n' arrive jamais au bon moment ni à la bonne personne.

 

Martine

La mère m'a légué ses albums de photos. C'est peut-être elle finalement qui m'a donné le goût de figer tout ce qui bouge. Quand j'étais petite, il fallait tout le temps bouger. Un enfant, ça ne devait pas traîner dans les pattes des adultes. Soit ça dormait -et pendant ce temps, on pouvait s' avancer dans plein de choses- soit c' était réveillé et ça encombrait. Alors, nous autres, on avait vite compris qu'il valait mieux bouger, sortir du passage, se rendre invisible.

Heureusement, la nature était plus généreuse que les parents. Il y avait les saisons qui nous permettaient tantôt de courir dans les prés, de ramasser des champignons, de chasser les insectes, de nager dans la rivière, de faire des barrages, de jouer à cache-cache dans la grange sous les bottes de foin et tout un tas de choses que j'ai oubliées. Le pire, c'était en hiver car il n'y avait pas grand chose à faire dehors, pour les parents comme pour les enfants. Heureusement, ça ne durait pas bien longtemps. Moi, je fabriquais des trucs dans l'atelier du père. J'avais le droit parce que j'étais l'aînée. C'était mes petits moments à moi : pas de gamins dans les jambes.

En feuilletant les albums, je suis retombée sur une des photos du mariage de la tante Yvonne. Une photo marrante où je tiens la traîne de la mariée avec mes deux cousins, Jules et Pascal.

Jules, il était vraiment pénible. Il pleurait tout le temps comme un bébé. Je ne l'ai pas vraiment connu et je n'ai jamais cherché à créer un lien. Pascal, c'était différent. Il était un peu plus petit que moi. Mais il avait une telle bouille. Le pauvre, qu'est-ce que j'ai pu me moquer de ses dents  en avant et de ses oreilles décollées !  On est cruel quand on est gamin. C'est pourtant devenu un beau gars. On s'est perdus de vue mais c'est sans doute le seul de ma famille avec qui j'aurais pu garder un lien. Sur la photo, j'ai l'air joyeuse et insouciante. Pourtant, ce n'était pas le cas. Etre l'aînée de 7 enfants à la campagne, ce n'était pas la meilleure place. Je devais m'occuper des petits pendant que les parents bossaient pour faire tourner la ferme. Ça ne leur a jamais effleuré l'esprit de me demander si cela me plaisait. En fait, personne n'avait vraiment de choix dans cette vie-là...

Les mariages et les fêtes de famille, c'était en quelque sorte mes seuls moments de répit, alors, c'est vrai que j'en profitais. Je me rattrapais des bouts d'enfance que je grappillais ici et là, consciente d'avoir grandi trop vite, d'avoir loupé quelque chose d' important, d'essentiel. Je le voyais bien quand je regardais Pascal, le fils unique, l'enfant roi. Il pouvait tout faire, celui-là. On lui pardonnait tout. Moi, je n'avais pas intérêt à me rebiffer sinon, bonjour la torgnole ! J'étais une sorte de petite adulte, en tout cas, c' est ce que les grands attendaient de moi.

Aujourd’hui, quand j'y pense, je devrais peut-être remercier les parents de m'avoir imposé cette enfance là, parce que je mène ma barque toute seule sans l'aide de personne. Je déteste les rassemblements, je ne suis pas très famille. J'aime bourlinguer, découvrir d'autres façons de vivre. Je prends des photos du bout du monde. Je recherche la solitude et je voyage toujours seule. J'ai tellement de copains qui vivent en couple uniquement pour ne pas se retrouver face à eux-mêmes. Moi, ça me déprimerait. Dans un mois, je pars pour l' Inde. Je me demande comment je vais traverser ce vaste pays et surtout goûter ses inévitables bains de foule. Ce sera encore une belle découverte.

Jules

Les enfants m'ont demandé ce matin de leur montrer des vieux albums de photos de famille. Chloé garde tout, elle aime les choses du passé. Heureusement pour Rita et Tom, parce que pour ma part, j'aurais plutôt tendance à ne pas m' encombrer des vieilleries. Dans un des albums de mon père, ils sont tombés sur une photo de mariage. Celle de ma tante Yvonne avec mon oncle Patrice. Il a déjà fallu leur expliquer qui et quoi. Puis, lorsqu' ils ont aperçu ce petit bout de mon profil ( l faut dire que la photo avait été prise par ma tante Paulette et que l'élu c'était Pascal et pas Jules, le cousin) ils ont voulu savoir qui étaient les autres enfants qui tenaient le voile de la mariée. Du coup, j’ ai essayé de me projeter trente ans en arrière (eh oui, le temps passe vite...) tenant ce bout de tissu, flanqué de Pascal que je ne connaissais pratiquement pas et de la cousine Martine que je détestais franchement, je ne sais plus bien pourquoi, d'ailleurs. Je crois qu' elle ne m' aimait pas beaucoup et du coup, je ne faisais pas d'efforts. En plus, elle et Pascale se moquaient de moi parce que j' étais le plus petit des trois, sans doute. Ils faisaient des cachotteries et me roulaient dans la farine. J'ai un souvenir détestable de cette journée-là.

Je revois parfaitement la voisine, Mme Carlotta. Elle était pendue à sa fenêtre et regardait le cortège passer. Rien ne lui échappait. C'était une vraie bigote, doublée d'une réelle langue à crécelle. Si vous vouliez qu'un secret soit divulgué sur la place du village, il suffisait de lui raconter. Elle était portugaise, Mme Carlotta. C’est elle qui faisait le ménage à l'école et je me souviens qu'elle m'aimait bien. Elle m'appelait son petit Jésus ou son petit ange blond. J'obtenais des bonbons rien qu'en lui souriant. Ca, je savais bien faire le chérubin quand c'était nécessaire. Il faut dire que je n'avais pas le râtelier du cousin Pascal... Le pauvre, qu'est-ce qu'on a pu le charrier avec ça ! La dernière fois que je l’ai aperçu (c’était à l’enterrement de son père ) il portait les cheveux frisés. Ça cachait ses oreilles décollées. Ça lui allait plutôt bien.

Rita et Tom voulaient tout savoir de mon enfance. Je leur ai montré des photos de moi petit, prises par mes parents. Du coup, on voyait un peu plus que mon profil. Pour finir, ils sont allés se coucher. J'en ai profité pour faire défiler les pages et je me suis arrêté à nouveau sur la fameuse photo du mariage de Tante Yvonne. Les trois cousins, qui tiennent la traine de la mariée. Trois chemins très différents. Martine, la solitaire, toujours aux quatre coins du monde, l'appareil photo en bandoulière. C'est sûr que la perspective de reprendre la ferme familiale n'avait pas dû la chatouiller longtemps. Je crois qu'elle n'avait pas eu une enfance de rêve. Ses parents étaient durs à la tâche, ce n'était pas des sentimentaux. Et puis s'attacher aux enfants, ce n'était pas dans les mentalités comme maintenant. Elle en a mis des kilomètres, entre elle et la Lorraine. Pascal, lui, bosse dans les assurances. On ne peut pas dire qu'il ait le goût de l'aventure, lui. Il a repris l'agence de son père, du tout cuit. Vieux garçon, au grand dam de sa mère, il ne s'éloigne jamais beaucoup de l'enseigne familiale. Je ne l'envie pas. C'est un scribouillard, comme on dit par ici, tout le temps le nez dans les papiers.

La famille est assez éparpillée. Il n' y a jamais eu de réels attachements entre les cousins. Yvonne, Paulette, Marcel, le père de Martine et Mona, ma mère, ne se fréquentaient qu'occasionnellement aux obsèques ou aux mariages. Ça ne resserre pas les liens familiaux. Du côté de Chloé, c'est tellement différent. Lorsque les enfants nous questionnent, elle a toujours mille choses à raconter. Je reste muet la plupart du temps. Je n'ai pas de souvenirs, rien à partager. Ou bien c'est si lointain que c'est oublié. Il y avait une chanson de Renaud qui disait: « ...on choisit ses amis mais rarement sa famille... ».

Qu'est-ce qui décide de tout ça, finalement ? Avoir la volonté, ça ne suffit pas. C'est un engagement de chacun. Ou une histoire avec la généalogie. Il paraît que le passé influe sur les vivants de manière inconsciente. Il s'est peut-être passé quelque chose de mon côté … je devrais faire des recherches. Les enfants me poussent à leur raconter des souvenirs. Et cependant, rien ne vient. Heureusement, il reste les albums photos pour recouvrer la mémoire... 

 

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