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19 octobre 2015

Betty, par Coré

 

tuggener affiche

Piste d'écriture: en s'inspirant d'une photo de Jakob Tuggener, ancrer l’expérience, grâce à des détails qui vont amener le lecteur dans la sphère intime, physique, du personnage. Coré nous narre son histoire en conteuse...

Dans la vie il y a toujours au moins deux possibilités : courir ou marcher, se présenter de face ou de dos, être à l’heure ou en retard…
Betty court contre le temps, de dos, sans se poser de question. 
Droit devant elle il y a une ligne imaginaire : un fil tendu sur lequel elle se tient en équilibre, son expérience lui a prouvé que pour ne pas tomber elle ne devait à aucun moment regarder ses pieds. Une fois, une seule fois, elle a chuté. Elle ne veut pas que cela se reproduise. 
C’était un jour de novembre,  elle avait un train à prendre, un homme à rejoindre, sa valise était prête, pourtant elle a raté ce train.
Dans la vie il y a toujours au moins deux possibilités : s’en remettre au destin qui en a décidé ainsi ou se dire qu’on n’est bonne à rien, que cet homme était trop bien, que de toutes façons elle ne le méritait pas. 
Elle est remontée sur son fil tendu tout en accélérant son pas. 

 Ce matin elle ne se sent pas à son avantage, elle a manqué de temps pour se coiffer, dans l’idéal elle aurait aimé se laver les cheveux, les sécher afin de remettre bien en place sa jolie coupe au carré, et faire bouffer sa frange qui amène beaucoup de douceur à son visage . Au lieu de cela elle a préparé son repas pour la pause de midi. Hier elle avait pensé emporter un sandwiche avec du jambon et des cornichons; pourtant ce matin, après avoir pris son bol de café avec deux tartines de pain de campagne sur lesquelles elle a étalé de la marmelade d’orange, la question du déjeuner s‘est reposée : l’envie du jour était  autre. Après avoir longuement tergiversé avec sa raison, elle a fini par suivre cet élan qui au final a exigé un temps de préparation plus long. 

La durée nécessaire à sa coiffure est passée dans la poêle à frire !  C’est drôle mais ça ne l’a pas fait rire, elle s’est mise à se faire des reproches : « c’est toujours la même histoire, je m’organise mal, et au final je n’arrive jamais à faire tout ce que je voudrais faire », et patati et patata, la machine infernale s’était mise en marche, elle s’est dévalorisée, comme elle s’est appliquée à bien le faire ça lui a pris un certain temps, ce qui l’a mise davantage en retard. Un cercle vicieux qu’elle connait bien. Vite : elle  a ouvert le tiroir de sa commode, a pris le premier foulard qui lui est tombé sous la main, l’a mis autour de sa tête, et hop en route pour le travail. 

 Il est 8h, elle court dans l’allée centrale, elle distingue à peine les bâtiments sur sa gauche. Cela fait sept ans qu’elle travaille dans cette usine. L’habitude aveugle qu’elle a de ce lieu l’a peu à peu transformé en un parfait inconnu.  
Soudain sa course est ralentie par l’étrange sensation d’être presque nue, la fraicheur de cette heure matinale traverse ses pas pressés. Le fil du temps s’effiloche, il menace de céder : Abasourdie, elle réalise qu’elle est restée en chemise de nuit, sa blouse simplement enfilée par-dessus. En plus elle a oublié son repas. 
Tout ça pour ça, comment a-t-elle pu en arriver là ? 

 Betty ferme les yeux, elle respire intensément, une éternité semble s’écoulée, des larmes glissent sur ses joues, son regard se pose sur ses pieds. 
Dans la vie il y a toujours au moins trois possibilités : continuer à avancer coute que coute, se retourner, s’arrêter.
Après s’être arrêté, marcher, courir, se présenter de dos, de face, ou de profil,  sentir ce qu’il se passe dans son corps, s’habiller, respirer. Prendre enfin ce train…

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