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9 décembre 2015

Et la lumière fut! par Laurette Huan

Piste d'écriture: décrire un personnage à travers son rapport au paysage.

laurette

Elle avait été d’accord.

Nous avions programmé la sortie pour le lendemain.

Devant le guichet, une longue file attendait, je lui ai de nouveau demandé: Tu es sûre?

Elle dit Oui je suis sûre. Pourtant sa main dans la mienne restait tendue, son corps trainait des pieds, légèrement décalé en arrière.

Nous étions maintenant tout près du guichetier, je me suis retournée vers elle, mais elle a hoché la tête avec véhémence, agacée par mon insistance.

- Deux entrées s’il vous plaît!

Je payai.

Il a fallu attendre. La foule était nombreuse et nos numéros étaient loin de ceux affichés sur le tableau.

- On va prendre un verre, le temps paraîtra moins long.

Elle a secoué la tête de gauche à droite sans dire un mot et elle m’a entraîné vers un banc, s’est assise, a fermé les yeux, tout en emprisonnant ses mains dans les miennes. C’étaient de petites mains moites, froides, glissantes, des poissons pris au piège.

- Si tu ne peux pas…ai-je commencé

- Chut chut m’a-t-elle intimé.

Nous sommes restés là, silencieux., elle les yeux toujours fermés , moi les yeux grand ouverts.

Les numéros s’égrenaient, des groupes se formaient, montaient dans le wagonnet qui disparaissait dans un tunnel étroit .

La paroi verticale percée de petites grottes plus ou moins profondes arrêtait mon regard.

Je chantonnai, elle sourit, chantonna à l’unisson puis se tut en tressaillant.

Peu à peu ses mains se détendaient, j’ai fermé les yeux pour mieux en goûter la finesse, j’en caressais la paume, effilais ses doigts, glissais sur les ongles. Je découvrais le fuselage délicat  de ses mains que, pourtant il me semblait connaitre. Le pouls à son poignet battait calmement .

J’ai pensé: ça va aller! 

 ***

Quand notre tour est venu de monter dans le wagon, je lui ai murmuré: on y va?

Elle a ouvert les yeux, l’air étonné, absente, m’a regardé en souriant, a lâché mes mains, s’est mise en mouvement, a grimpé sur le siège qu’on lui indiquait. J’ai pris place à côté d’elle, confiant.

Ses mains étaient posés sur ses genoux, elle tenait sa tête droite, regardait loin devant avec l’air de ne rien voir.

En quelques secondes, le wagon s’enfonça dans le tunnel.

Des enfants se mirent à crier, de joie ou d’appréhension.

Je lui lançai un regard à la dérobée. Son visage avait pâli, ou était-ce la lumière qui avait changé?

Le guide, dans son micro, donna quelques consignes de prudence, puis entama la visite, racontant avec forces détails la perforation du tunnel, sa longueur, sa largeur, le dénivelé, la mise en place du rail, de la crémaillère.

Je regardai les mains de ma compagne, toujours calmement posées sur son jean.

À l’arrivée en haut du tunnel, elle se leva et me dit sur un ton monocorde :" c’est bizarre de monter pour descendre."

Le guide, l’entendant, expliqua que l’entrée de la grotte se trouvait très haut dans la paroi et que les ingénieurs avaient trouvé géniale cette façon de l’atteindre.

L’illumination qui nous attendait dans la première salle était digne des mille et une nuits.

Martine prit ma main avec un sourire radieux.

Tout allait pour le mieux.

Pour la seconde salle , il fallait franchir un passage  bas étroit sombre. 

Martine se tourna vers moi la panique au fond des yeux.

Les enfants passaient, le guide lui dit que de l’autre côté c’était encore plus beau et plus illuminé.

Dominant son appréhension, Martine passa.

Entraînée par la musique grandiose qui rythmaient les illuminations elle semblait avoir oublié que nous étions dans une grotte, elle descendait les échelles écoutant les commentaires du guide, posait des questions, je jubilai, pensant que j’avais bien fait d’insister. 

La demi-heure de visite fut terminée, on nous invita à nous regrouper et à remonter vers la lumière.

Martine me demanda de la prendre en photo devant une stalagmite, pour la postérité.

 ***

Le flash fuse …et c’est le blackout, le noir absolu, le silence absolu.

Le souffle de chacun est suspendu, la surprise est totale, j’écarquille les yeux et les oreilles, rien, pas un son, pas une once de lumière.

Pendant un court instant le monde n’existe plus, le néant emplit mon être, ma tête se vide de toute pensée, ma respiration s’arrête, tous mes sens s’annihilent, je ne suis plus. 

 ***

Un cri d’enfant, puis un autre, une mère qui appelle, un père qui s’affole, la vie revient.

Je joins mes mains, je palpe mon visage, mes yeux, je piétine, je suis bien là.

Le guide, d’une voix désormais fluette, donne des consignes: "Personne ne bouge, la lumière va revenir pas d’affolement" mais dans sa voix perce un peu de panique.

On entend quelques rires qu’on devine jaunes, quelques remarques saugrenues, les heurts de  ceux, sur les échelles, veulent remonter contre ceux tétanisés, figés sur place, on perçoit quelques sanglots, je distingue une voix rauque qui m’appelle.

Je la cherche, les mains en avant, heurtant hommes ou femmes qui me repoussent  avec un cri de peur ou s’accrochent à mes bras en gémissant. Mes pieds aveugles se tordent sur le sol inégal, je l’appelle à voix basse. Son cri rauque vient du sol me semble-t-il, je m’accroupis, elle est là. 

Ratatiné contre la sculpture de roche, son corps tremble , ses dents claquent, sa respiration se bloque, je crains que la panique ne la fasse hurler.

-Ferme les yeux,  écoute moi!

Son corps est aussi dur que la pierre, sa voix rauque m’appelle.

Je la soulève, la prends contre moi, je lui parle à l’oreille de soleil, de ciel azur, d’épis dorés dansant sous la brise dans la lumière, d’arc en ciel, de trilles d’oiseaux, du chant des cigales dans la chaleur de l’été, je lui raconte le ruisseau scintillant qui dévale en notes joyeuses, la prairie d’herbe et de fleurs enivrantes, de cimes enneigées empourprées de soleil couchant, des voiles blanches sur le port en plein midi se balançant au gré des vagues. 

Lentement, son corps se calme, son souffle s’apaise sur mon épaule, c’est doux , c’est chaud, je continue : 

- Écoute mon cœur, sens mon souffle sur ta bouche, prends moi dans tes bras, j’ai besoin de toi, que tu me caresses, que tu me parles.

Les portables muets s’allument, les briquets aussi, faisant quelques tâches de lumière.

Ce ne sont que de ridicules lucioles dans l’obscurité, le néant en est plus immense.

De nouveau le guide essaie de rassurer mais quelques voix s’insurgent:

- Ça va encore durer longtemps?

- C’est un scandale! Je vais porter plainte.

La tension est palpable, un seul cri de panique peut provoquer la débandade…les respirations emplissent le silence , des gémissements d’enfants en aggravent la profondeur.

Accrochés l’un à l’autre, nous voguons dans un autre univers fait de sensations nouvelles, nous nous sommes échappés , nous ne sommes plus prisonniers de cet endroit, nous roulons à vive allure les cheveux au vent, nous respirons à pleins poumons l’air iodé du bord de mer sur la corniche, nous batifolons dans le foin, sous le soleil, nos mains caressent, nos lèvres embrassent, nos corps sont soudés pleins de désirs.

Un autre monde existe, celui que nous fabriquons ensemble pour échapper à l’obscurité, à l’absence de bruissement de la vie. 

Nous sommes sur notre île, corps, esprits, bouches mêlés, attentifs à l’autre, à son désir de lumière, de chaleur, d’odeur et de chant de vie.

Autour de nous je perçois un bourdonnement de foule , murmures, grognements, sifflements, foule en attente…

***

Et la lumière fut!

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