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27 janvier 2016

Jacasseries, par Laurette Huan

 

Dialogues

1334

Là, il y a la belle Charlène, avec son grelot, léger et cristallin. Son cerveau sous la choucroute de son chignon ne sait pas dire alors elle rit de tout et de rien. C’est une façon bien à elle de participer à la discussion.

Son mari Bertrand la couve du regard, sa Barbie, sa poupée, mais où donc l’a-t-il trouvée? il en est complètement cuit. Il ne parle que d’elle, n’a d’yeux que pour elle.

Et puis il y a  Benjamin, le frère jumeau de Charlène, il dit tout et n’importe quoi avec conviction, avec le sérieux de celui qui croit savoir ; il soliloque.

En face il y a Germain, c’est un Allemand, un blond, aux yeux bleus pointés d’argent , il écoute, hoche la tête, hausse les sourcils, c’est un taiseux.

Sa femme, Élodie, sourit à tout ce qui se dit, ses yeux en amande lui donne l’air d’un chat, elle ronronne tout en léchant sa cuiller à dessert.

La maîtresse de maison, Virginie, contrôle, règle la danse des plats, le service des vins, tout en relançant la discussion sur un sujet ou un autre.

Et enfin, il y a Monsieur , élégant bien que ventripotent, il virevolte d’une idée à l’autre, attentif à être écouté, indifférent à être compris, l’important c’est de donner illusion.

Margot et Sylvain, les voisins et amis, se sont excusés, et je les comprends. Moi je n’ai pas pu me soustraire, le Monsieur qui pérore est mon père.

– Simon, tu n’as rien dit de la soirée, raconte-nous ta virée dans le sud !

Obéissant j’ouvre la bouche et la referme aussitôt. Lui l’ouvre, il sait mieux que moi, ce que j’allais y faire dans le sud, le pourquoi et le comment de cette virée… Tous les yeux , les bleus, les fendus, les stupides, les silencieux se posent un moment sur moi, avec curiosité ou indifférence.

Seul, Benjamin continue à s’étaler, à s’écouter religieusement. Il raconte avec virtuosité sa traversée de la Méditerranée. J’en entends quelques bribes, le vent, la baume, la vergue, tout un vocabulaire de marin, lui qui n’a jamais quitté le plancher des vaches. Devant ce tableau, je souris, avec une moue désolée.

– Ce n’est pas exact ce que je raconte? interroge Monsieur, pourquoi souris-tu?

Je hoche la tête à son discours que je n’ai pas écouté, me retiens d’éclater de rire ou de…

Le dessert est enfin servi. 

Le rire de Charlène perle, roule, s’évapore tandis que la logorrhée de son frère s’effrite.

C’est un mille-feuilles doublement délicieux, Virginie sait choisir son pâtissier et un joli silence fleurit autour de la table, il me descend dans l’âme comme une goulée de miel.

Le pétillement du champagne emplit l’air et délie à nouveau langues et gorges, même le taiseux y va de son refrain et sa femme risque un "délicieux" susurré entre deux bouchées.

La pâtisserie est resservie,  nouveau silence…

La cuiller et le nez en l’air, la choucroute en déroute, Charlène le rompt :

– La coupe de cheveux de Fanny est réussie !

puis tranquillement, après un coup d’œil à son frère, elle reprend sa dégustation.

 

Le silence est pesant, j’en viens à regretter l’embrouillamini des jacasseries.

Seul un bruit de succion, Charlène dégustant son champagne.

Benjamin est resté coit. Immobile, les yeux rivés sur sa sœur, il semble statufié. Tous les autres s’interrogent des yeux, ouvrent les mains en signe d’ignorance, haussent les épaules d’impuissance…

Le champagne tiédit dans les verres .

Le millefeuille s’étiole dans les assiettes.

Charlène s’essuie minutieusement les lèvres, repose la serviette sur la table, regarde chacun cherchant les regards, sourit.

Puis elle ouvre sa jolie bouche et rit, rit ,rit encore , le grelot s’égrène, s’éteint et reprend de plus belle, elle en est toute rosie. 

Béat, son mari regarde sa poupée qui parle et rit.

 

À présent, les prunelles de Benjamin lancent des éclairs, de ses lèvres closes sort un filet de salive, les poings serrés et la mâchoire tendue il aboie :

– Fanny? Quand? Où?"

Il se lève d’un coup, renversant sa chaise, bousculant la table et répète en hurlant cette fois, s’avançant vers sa sœur:

– Quand? Où?

Le charivari qui s’ensuit est digne d’un film de Tati, le mari qui se pose en défenseur est balayé d’un revers à la mâchoire, il s’accroche à la nappe qui glisse sur la table emportant plats, verres, assiettes, couverts dans un concert de cris et de fracas.

Nouveau silence, court mais intense.

Le mari git, Charlène rit, Virginie crie.

On retient Benjamin qui éructe d’une colère que je ne comprends pas.

Charlène alors d’une voix fluette dit: – Chez le coiffeur, hier.

Benjamin en tombe assis, la bouche ouverte, le souffle coupé.

La tension diminue, de légers murmures sifflent, des rires contenus s’échappent.

On relève le mari, tout ce petit monde se rassoit et moi, je fuis.

La suite ne me regarde pas, je ne connais pas Fanny et vous non plus.

 

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Commentaires
F
L'écriture est sonore, musicale, rythmée, entrainante. Beaucoup de plaisir à lire ce texte, merci! Frédérique.
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