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12 février 2016

Août 1945, par Colette Rostan

 

Piste d'écriture : les photos de Denis Roche (exposition du Musée populaire, Montpellier).

colette aout 45

 C’est lui qui avait voulu faire ce voyage au Japon. Elle avait cherché à l’en dissuader car la situation était  dangereuse mais il avait insisté comme si sa vie en dépendait : il devait à tout prix partir pour   ce reportage et elle avait dû céder. Le temps allait s’écouler, mortel, sur ce bateau d’un autre âge mais elle échapperait ainsi à ces mondanités et ces rencontres que lui imposait X et sa passion de la photo. Il était maintenant célèbre et elle l’avait suivi, complaisante,  de cocktails en expos, elle avait enduré les remarques et les caquetages de ceux qui prétendaient souvent comprendre ce qu’il avait saisi de leur intimité, devenue son sujet de prédilection.

 Ils avaient dû embarquer sur un cargo, pour une traversée à la dure avec les hommes d’équipage affairés, loin des oisifs de toutes sortes que la notoriété attirait comme des mouches. Mais pour elle, ce  voyage serait peut-être une façon de faire le point car elle avait l’impression maintenant de n’être plus qu’un insecte dans le viseur de l’objectif. Au début, cela l’amusait d’être ainsi observée, regardée avec bienveillance, nue, vivante sous le soleil, pensive aussi. Il avait mis en scène ses courbes, ses lignes comme s’il pouvait saisir une part de son mystère ou écrire un peu de cette complicité entre eux. Elle ne s’était pourtant guère livrée et le jeu de l’illusion avait depuis peu cessé de la distraire. Tous ces instants fixés qui ne reviendraient pas, ils faisaient maintenant écho à une sourde angoisse qu’elle ne maîtrisait plus, insidieuse, comme si la vérité était là tapie, cruelle, au-delà de l’image.

X ne percevait rien, pas même son désarroi lorsqu’elle avait voulu revoir la maison de son enfance désormais livrée au lierre et aux racines, portes arrachées, tuiles envolées, avec l’odeur de putréfaction et la noirceur des pierres. Il avait fait quelques clichés, elle y courait légère au milieu des feuilles mortes. Il n’avait rien vu. Elle ne lui en voulait pas, il était heureux, attaché à ses petits rectangles de papier glacé noir et blanc, couverts de toutes ces choses trompeuses et éphémères qui finiraient au fond d’une boîte à chaussures ou dans le tiroir d’un vieux meuble, ou bien encore sous le regard de quelqu’un qui ne saurait plus de toute façon qui avait bien pu poser là et pour qui .

Elle était donc partie avec cette espèce de mélancolie qu’elle espérait n’être qu’une humeur passagère.

 Quand ils étaient arrivés sur l’île, elle avait voulu rester dans la chambre d’hôtel pendant que lui chercherait les clichés exotiques- c’est ce qu’elle lui avait dit - les plongeuses qui ramassaient les coquillages, une ombrelle colorée, le dragon d’un temple, une geisha au visage blanc, la bouche en forme de bouton de rose. Il avait répliqué qu’il avait bien droit à un moment de détente avant d’affronter la réalité d’un pays en guerre.

 Elle s’était accoudée face à la vitre de la fenêtre, elle y voyait son reflet puis au-delà, les branches échevelées et torturées des  arbres du jardin, les érables et les arbres taillés en forme de nuage  qui se balançaient ; elle soupira, apaisée devant l’harmonie qui se dégageait de l’ensemble, couleurs, et formes.

denis roche couple porte photo Un bruit sourd, inhabituel la tira de sa rêverie. Les arbres se pliaient sous les assauts inquiétants du vent qui s’était soudain levé et prenait maintenant des allures de bourrasque, sa violence la surprit et elle sentit l’angoisse l’envahir. Le grondement s’amplifiait, le ciel au loin était devenu incandescent et lorsque la pluie noire s’abattit sur le jardin et que la fenêtre se brisa sous l’effet de la déflagration, elle hurla son nom… Elle revit en un éclair leur première rencontre : l’appareil photographique masque le visage de X, elle, en souriant, écarte une mèche de son front, ils sont dans l’encadrement d’une porte face à un miroir et semblent s’amuser de ce jeu illusoire. Leur vie à deux commence.     

 

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