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16 février 2016

Francis, par Danièle Chauvin

 

piste d'écriture: alterner focalisation interne et externe.

danièle301 (2)

Après une marche de plus d’une demi-heure sur une pente assez raide, se tordant les pieds tous les dix pas sur ce chemin caillouteux, Francis aperçut enfin la maison de Camille. Il regretta aussitôt d’avoir sué sang et eau pour arriver là, devant ce cabanon au crépi grisâtre, aux volets en attente d’un coup de propre, au toit recouvert d’une couche d’un vert inquiétant. Il avait dû y avoir autrefois une allée conduisant à la porte car l’herbe était rare et courte sur une bande serpentant entre des touffes de potentilles folles et d’asters rachitiques.

Il s’arrêta quelques instants pour reprendre sa respiration mais aussi son calme. En s’épongeant le front, il observa encore la bâtisse et ses abords, tentant d’y découvrir une note positive. Mais non, vraiment, rien ne plaidait en sa faveur. Le soleil basculait lentement mais sûrement derrière la montagne. Il consulta sa montre. Il ne serait pas de retour au village avant la nuit. La seule décision à prendre s’imposa : dormir ici, au bout du monde. Il serait temps demain d’envisager d’autres solutions. Mais y en avait-il ?

Francis poussa la porte de la maison. D’abord il ne distingua rien. Il se dirigea vers le mince trait de lumière qui filtrait sous une fenêtre, ouvrit celle-ci ainsi que les volets. Le jour déclinant de cette fin d’après-midi s’étala timidement dans la pièce, révélant un ameublement rudimentaire. Une épaisse table en chêne et ses deux bancs occupaient presque la moitié de l’espace. Dans un angle, des éléments de cuisine, évier, cuisinière et réfrigérateur à gaz, jouxtaient un placard haut renfermant la vaisselle, elle aussi réduite à l’indispensable. Il chercha la lampe de camping que Camille lui avait dit avoir rangée sur l’étagère. Il l’alluma juste au moment où Râ s’éclipsait sans autre formalité. Dans le fond de la pièce, une porte donnait sur une chambre contrastant avec la pièce précédente par un confort et une décoration qu’il n’espérait pas, à ce stade de l’aventure. Un grand lit et son matelas épais n’attendaient que les draps et la couette qu’il trouva dans l’armoire, enfermés dans un sac sous vide. Sous la fenêtre, un bureau d’une bonne dimension et son fauteuil ergonomique semblaient vouloir encourager l’écrivain en panne d’inspiration.

Francis soulagea son dos de son gros sac et se laissa tomber sur le lit. Finalement, Camille avait raison, c’était l’endroit idéal.

Camille avait toujours des solutions à tous les problèmes de tous ses amis. Et Francis avait le privilège de compter parmi ceux-ci. Camille, au terme d’une longue carrière d’assistante sociale, avait pris une retraite bien méritée. Elle s’était installée dans le quartier le plus vivant de sa ville, afin de ne manquer aucune occasion de spectacles, conférences, films, sans oublier les soirées partagée avec ses amis autour d’une bonne table, de préférence chez elle, car elle aimait cuisiner. Elle recevait au moins une fois chaque mois un groupe hétéroclite de convives dont le seul point commun était sans aucun doute leur affection pour elle. On rencontrait là, ensemble ou séparément, Rodolphe, le chef d’orchestre, Valentine, la réceptionniste de l’hôtel Bienvenue et mère célibataire, Adrien, l’apiculteur, Damien, le serveur du Mac-Do, Aurélie la buraliste et son mari le talonneur de l’équipe de rugby locale, et Francis.    

Comme chaque fois qu’il avait un coup de blues, Francis avait téléphoné à Camille. Dès les trois phrases de politesse échangée, la perspicace retraitée avait décelé l’humeur chagrine de son interlocuteur. « Viens à la maison, le café est prêt.» C’est ainsi que Francis, une tasse à la main, avait décrit la situation d’urgence dans laquelle il se trouvait. Son manuscrit, commencé depuis deux ans, ne comportait que cent vingt-trois pages de brouillon. Son éditeur lui laissait une ultime chance de trois semaines. Au terme de ce sursis, les jeux seraient définitivement faits : le pactole ou le remboursement de l’avance qu’il avait déjà dépensée, alourdi des frais d’indemnisation qu’il n’osait même pas chiffrer. Camille avait immédiatement réagi : « J’ai ce qu’il te faut : un endroit loin de la vie trépidante de la cité. »

Voilà pourquoi il se retrouvait ce soir assis sur un lit dans le fond d’une cabane, éclairé par une lampe à gaz, au bout du monde.

 

 

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Commentaires
C
bien décrit l'état de la maison qu'on découvre avec le protagoniste, avec les sensations et sentiments qui l'accompagnent
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