VOYAGE AU COEUR DE L'IMAGINAIRE, par Anne Juzaud

Inventer, ou réinventer un monde. La première phrase est de J.M.G. Le Clézio, in Voyages de l’autre côté (Gallimard, 1975)

            Tu vas très haut dans les cabines d'ascenseur. Les parois sont transparentes et la vitesse augmente de plus en plus. Les pieds se collent au plancher de verre, l'estomac remonte vers la bouche, la tête bascule en arrière et rentre dans le ciel. Tu traverses ainsi des couches et des couches de nuages gris, roses et blancs. Certains s'étirent, légers vers le haut, d'autres sont épais comme des buissons, on s'y déchire les doigts au passage ; ça freine pour se faufiler dans un endroit plus sombre, comme un tunnel gris anthracite. Le soleil a disparu, un sifflement sourd te fait fermer les yeux, tu as perdu l’équilibre et ne sais plus où tu vas, prisonnier d 'un voyage infernal.

            Tu as dû perdre conscience un instant, soudain ça ralentit et tu te sens flotter   entre de gros choux de nuages blancs que tu repousses doucement de la main, ils s 'écartent pour laisser voir l'espace bleu infini vers lequel tu avances librement.

            Tu cherches au loin les astres et en reconnais quelques-uns ; bizarre, les étoiles se regroupent pour former des mots, tu en déchiffres certains : giroflée, plénitude, chaufferette, mais d'autres te sont inconnus, fabinte, criban, mulois, ce sont de nouvelles constellations, on ne peut pas toutes les connaître... Attendons les étoiles filantes, cela va être l'heure, tu le sais, tu es là pour leur faire signe.

Les voilà, elles arrivent toutes à la fois dans un joyeux feu d’artifice, des rouges, des bleues, des jaunes, tu peux choisir. Une dorée te frôle, tu t'y accroches et te laisses entraîner.

            La traversée de l'espace crée un doux courant d'air agréable au visage. Tu sais que tu vas découvrir un monde encore secret fait de couleurs jamais vues, de nouvelles musiques venant du bout de l'horizon et de sensations fugitives qui créent un bien-être jamais ressenti. Ton corps se dilate, grandit et repose en apesanteur sur l'étoile dorée qui ralentit sa course. Tout est si beau, tu ne sais pas si tes yeux sont ouverts ou non ; tu veux rester là pour toujours quand tout à coup une sonnerie te secoue : « Mesdames, Messieurs vous arrivez au 64eme étage de la tour Trump, pas de chance aujourd'hui nous sommes en plein brouillard mais le bar est ouvert tout droit vers la gauche »

–       Tu en fais une drôle de tête, Julien ?

–       Je crois que j'étais dans les vaps… c'était si beau ..

Marsha Cottrell, Untitled, 2011

Marsha Cottrell, artiste vivant à Brooklyn, propose ses créations atypiques de constellations imaginaires et insoupçonnées. L’oxyde de fer et du papier sont les matériaux utilisés pour sa dernières série datant de 2011 / 2012. Source: http://dirtygrids.com/les-constellations-imaginaires-de-marsha-cottrell/