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29 mai 2018

Le coeur de Léon, par Michelle Jolly

Piste d’écriture : des photos de passants prises dans un parc

Léon s’assoit puis retire sa veste : « Bien installée ? dit-il à Jane, décidemment l’ombre de ce tilleul épaissit chaque année… pas trop fatiguée ? il y a longtemps que le printemps n’a été aussi sec ; cela nous permet de longues séances de farniente ! Chaque fois que je viens ici  je ne peux m’empêcher de penser à nos promenades, quand tu suivais tes cours rue des St Pères.

– Ce n’était pas le même jardin dit-elle, moins de monde, moins de jeunes surtout, notre jardin c’était le Luxembourg, le Luco, des bassins, des chaises peintes en vert, de longs bambous au milieu de l’eau, parfois des canards !

 – Quand je t’ai rencontrée, tu étais une habituée du coin, tu y avais tes rendez-vous, tes secrets ?

–  Oh ! J’étais timide, et sage, tu sais bien j’avais même l’air d’un garçon… »

Jane s’arrête de parler, le Luco ! Après les cours trois fois la semaine, elle y déjeunait, allait dessiner la nature, parfois en groupe, mais le plus souvent avec Hélène…

Ce nom l’émeut toujours, elle pense : Hélène, la fille venue du Nord, ses cheveux blonds et frisés, ses robes à fleurs, et son immense sac qu’elle remplissait de choses pour moi inutiles ; elle était ce que j’avais toujours rêvé devenir, moi, la brune, mal fagotée, cachant mon corps androgyne dans des vêtements trop larges. J’admirais Hélène, ne la quittais pas des yeux dans les instants précieux où l’on partageait nos repas, nos secrets, nos rires… Elle était en classe d’Archi, moi en Déco, je l’imaginais mal dans la rigueur des plans et des matériaux, mais j’étais bien dans les tissus et la mode malgré mon manque d’audace et mes complexes ! 

« Tu veux boire quelque chose ? demande Jane à son compagnon.

–  Non, merci…  Combien de temps avons-nous partagé ces rendez-vous au Luxembourg ?

– Deux ans, peut-être… »

Je me souviens, pense à nouveau Jane, j’avais donné rendez-vous à Hélène, qui repartait pour l’été chez elle près de Lille, j’ai pris sa main, un moment, sa peau était douce, tiède, elle tremblait un peu, elle a murmuré qu’elle avait rencontré quelqu’un ; j’ai eu tout à coup un creux dans l’estomac, pourquoi ? C’était mon amie ! Elle ne m’avait rien dit ! Je me suis sentie à l’écart, vide… Elle a ri, et m’a montré un cœur rouge découpé dans du carton, et un H qu’elle avait peint en or, « je lui envoie, c’est drôle, non ? » C’était puéril et pathétique ! Elle avait l’air d’une gamine faisant une blague. N’empêche, j’ai mis longtemps à m’imaginer Hélène et l’autre, puis j’ai pardonné…

« Il commence à faire frais, tu veux rentrer ? dit Léon. Si tu veux on prendra le chemin des écoliers… »    

Retour, les habitudes, les gestes lents et les oublis, chacun s’installe dans son monde, parfois un peu dans la vie d’avant, que l’on épluche pour remplir le quotidien ; quelquefois le hasard surprend, bouscule, et surgit au détour d’une phrase, d’un souvenir qui semblait sans importance…

Léon range ses livres, feuillette machinalement les collections, Proust, Gide, Colette, tiens ! Il manque un volume ? une erreur de rangement ? Un coup d’œil sur les étagères, en haut, tout en haut, dans des titres oubliés… Perdu parmi des livres de troisième zone, il retire le volume recherché, le feuillette… Il en tombe un petit carton, il le déplie, un cœur rouge avec un H au milieu… Il sourit,  les yeux dans le vague, hoche la tête, c’est si loin… puis remet le livre à sa place.

tuilerieNBconversation pour blog

 

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