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3 mars 2020

Errance, par Michelle Jolly

Piste d'écriture: la première phrase, tirée d'un livre de Ruiz Zalfon, Marina. 

En mai 1980 j’ai disparu du monde durant trois jours, nul n’a su où j’étais ; j’errais à la gare, un agent s’est approché de moi, m’a questionné avec des précautions de Série Noire, j’avais envie de rire et de pleurer… Puis l’on s’est assis sur un banc, il était silencieux, je n’avais rien à lui dire, à quoi bon, il ne m’aurait pas cru, comme les autres.

En fuyant la pension, je grimpai, assez loin, jusqu’au sentier de la Dent du Chat ; en marchant, j’avais remarqué lors d’une sortie en groupe, un champ, à gauche, et au fond une cabane qu’un arbre protégeait de toutes ses branches… J’y suis resté deux nuits, à pleurer, de rage, de peur, de colère. Comment leur dire, à ma famille, leur répéter, quand ils ne veulent pas entendre ?

julie-feuillas.over-blog.com Croquis d'une grange en ruine.« Ça fait partie de tes fantasmes, mon garçon », avait crié mon père en quittant la pièce , hors de lui ; quant à maman, elle n’avait rien dit, seulement murmuré à mon oreille, « Allons, François, retire ces idées de ta tête, et arrête de regarder n’importe quoi à la télé ! »

Là-bas, là où je dois vivre, Madame nous embrasse tous avant le coucher, 23 baisers froids sur le front, froids et brefs, elle nous sonde d’un regard qui glace, ne sourit jamais, et de ses mains blanches qui tremblotent, elle fait à chacun un signe d’énervement : « au suivant »…

Quant à Monsieur…. J’ai fui….

Là-haut j’ai tenu avec deux paquets de biscuits, la moitié d’un pain et quelques pommes, la cuisinière de la cantine s’en apercevra, mais j’avais tellement envie de partir.

Je suis descendu à la gare, je pensais : il faudrait aller voir Marina, on est allé en vacances chez elle, c’est la sœur de maman, elle s’est jamais mariée et vit librement, et papa ne l’aime pas ; elle a l’air de quelqu’un à qui on peut tout dire ; elle riait avec nous, nous a prêté des livres, chez nous on lit peu, et on parle encore moins ; mais elle habite si loin !

C’est ma dernière année de pension, me répète-on à la maison, « tiens-toi bien ….. et ne nous ennuie plus avec tes histoires ! »

Monsieur ? Il est gentil, plaisante, rit, mais nous suit partout... C’est à qui le sèmera, l’évitera, un jeu de cache-cache ; les grands de terminale s’en amusent, moi je n’ai ni leur taille, ni leur aplomb. J’ai peur de Monsieur, ses yeux, et surtout ses mains. Un soir, à la douche…

J’ai crié, et j’ai couru sans ma serviette jusqu’au dortoir ; Madame m’a grondé de faire tant de tapage, comme si j’avais six ans !

Alors que j’en ai quatorze. 

L’agent me regardait, je pourrais essayer de lui expliquer, à lui, me dis-je, tout ça, le dégout, les parents, mais comment lui expliquer la peur, surtout la peur……?

En mai 1980 j’ai disparu du monde durant trois jours, nul n’a su où j’étais ; j’errais à la gare quand on m'a repris.

Texte de Michelle Jolly,

illustration: Croquis d'une grange en ruine réalisé à l'encre au feutre pinceau, http://julie-feuillas.over-blog.com/article-un-sentier-d-initiation-au-dessin-a-bareges-81371681.html

 

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