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1 mai 2020

Trio, épisode 1, par Jean-Marc Occhuizz

Piste d'écriture: écrire un mini-roman, à partir de titres de chapitres d'Amy Sackville, « Là est la danse », Les Escales, 2012 (piste d'écriture du 31 mars)  Les 2 épisodes suivants seront publiés demain et après-demain.

Un baiser

 

Paris. Café Continental. 

Tête penchée vers l’avant, Victorine farfouille dans son sac à main, et sort un miroir à clapet. Installée en terrasse, elle attend son rencard, en effleurant sa coiffure laquée, puis admire dans la glace le noir intense de sa chevelure.  Ça la rassure. Elle retouche une brin son maquillage, de peur qu’il ne s’estompe trop vite sur son visage d’un naturel pâle. Une robe bleue Vichy moule son corps.

Doucement la terrasse vit, se remplit de gens hétéroclites, les chaises raclent le sol, tandis que des étudiants discutent fort, argumentent et déchirent Sartre ou Camus. Les verres et les tasses cliquettent en même temps. Maintenant, elle s’impatiente un peu, altière et mystérieuse derrière ses lunettes de soleil. Elle croise et décroise ses jambes rosies par quelques jours derniers de piscine à Bagatelle. Entre deux pressions, du fond de la salle le barman la mate, trop belle. Elle rayonne, c’est normal c’est le printemps qui sonne plein clairon. Victorine tourne la tête vers les boutiques de mode, au moment où un scooter rouge pétarade à sa hauteur. L’engin se gare, le pilote tait le moteur.

Max descend, chevaleresque comme toujours. Accroupi, il attache son canasson mécanique à un réverbère solitaire. Ne se fait pas prier, il embrasse la fille à pleine bouche, la papouille dans le cou. Elle est marquée. En s’enfonçant dans le fauteuil, il reprend un attitude plus sociale, puis il hèle un serveur feu-follet. Lequel expédie la commande au comptoir, deux Suze et de l’eau de seltz. 

Depuis cet hiver Max est fou d’elle.  L’accident qui les a réunis a eu lieu chez elle un samedi après-midi, rue la Pompe, dans le seizième. Ils se sont télescopés sans gravité, dans le grand escalier silencieux en marbre de Carrare. Le boulot l’avait appelé ici, mais lui préfère dire que c’est le destin. Il était venu aider d’un tâcheron, pour enlever des vieilleries et des meubles fatigués qui meublaient cet hôtel particulier, propriété séculaire de la famille de Victorine.

Lui turbine le jour à son compte, déménageur en tout, mais la nuit au Cercle c’est le poker qui l’enferme et l’enflamme.

Il a cette fille dans la peau, un tatouage dans le cœur, dit-il à ses potes du bistrot du Commerce. Tous deux rient de bonheur, il ose même des chatouilles en public, mais personne ne fait vraiment attention à eux, sauf peut-être ce type de l’autre côté de l’avenue, à l’angle du fleuriste, contre la borne d’appel de taxi…

Après des baisers au relent de Suze, le couple se lève pour faire quelques pas. Max laisse un pourboire, deux piécettes, dans l’espoir qu’on jette un œil sur son scooter. Ils filent insouciants sur le trottoir, le soleil les surveille de près. Faisant abstraction du monde en mouvement, ils se bisoutent devant l’hôtel de ville. Par surprise, il la soulève dans l’air comme une majorette, ses mirettes étincellent, sa robe Vichy remonte jusqu’aux cuisses. Ils s’aimantent, se persuadent que la passion va durer toute la vie…

L’inconnu traverse l’avenue, trottine sur la pointe des pieds, en évitant le trafic électrique. Un TUB Citroën, lancé bourdon, lui rase le blouson et expulse un coup de klaxon, l’étourdissant. Il esquive brillamment, à la manière d’un toréro, et part aussitôt à la chasse aux amoureux embrassés. Il porte un appareil à photo qui se balance autour du cou. Désormais en première ligne, le genou au sol, il mitraille la scène, immortalise ce fugace moment de bonheur à deux. Puis incognito, le type repart illico tel un moineau, « Beau boulot », se félicite Bob.

La main en visière sur son front, Max apostrophe le type, mais trop tard puisqu’il est déjà parti. Victorine perçoit un grand malaise dans le regard torve de son amant. C’est comme s’il avait revêtu un masque pas rigolo.

-       Qu’est-ce qu’il y a, chéri ?

-       Rien, c’est pas grave, t’inquiète pas…je t’aime mon cœur, surtout t’inquiète pas.

Max se rassure-t-il aussi ? Visiblement on ne l’avait pas oublié, depuis sa dernière apparition au Cercle de jeux du boulevard Haussmann… Il est persuadé, à moins de se faire une fausse interprétation de la réalité ?

 

le-baiser-de-l-hotel-de-ville-Doisneau

 

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